Hier, pendant que Wall Street profitait d’un jour férié bien mérité – le Juneteenth, journée de la liberté – l’Europe, elle, était au bureau. Et pendant qu’on regardait nos écrans clignoter dans tous les sens, entre deux frappes de missiles au Moyen-Orient, un baril de pétrole qui allait dans tous les sens et des banquiers centraux qui révisaient leurs dossiers, on s’est brièvement demandé pourquoi on est vraiment venu au bureau quand les Américains sont à la plage. Et puis on s’est rendu compte que la FED c’était derrière, que devant il n’y avait plus que la guerre. La guerre et l’omniprésence de Trump qui fait des plans de bataille et qui en parle ouvertement sur X.
L’Audio du 20 juin 2025
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Pétrole bouillant, missiles volants
En l’absence des Américains nous nous sommes donc improvisés EXPERTS EN GUERRE ET EN MISSILES et aussi un peu en pétrole. Nous avons digéré le discours de Powell, on a compris que l’on va pouvoir parler taux pendant des mois avant de voir une baisse effective se produire sur les marchés et depuis hier, notre seule obsession c’est de savoir si la guerre est là pour durer, si ça va s’éterniser pendant des mois ou si la solution viendra des States et de leur fantasque Président. En attendant, on regarde le baril qui est devenu l’asset le plus sexy du moment, bien loin devant le Bitcoin ou une autre cryptomonnaie quelconque. Durant toute la séance d’hier, le brut a eu des vapeurs et on se retrouve gentiment à des niveaux qu’on avait plus vu depuis le mois de janvier.
Alors il est vrai que le fait qu’un hôpital israélien ait été touché par un missile iranien a provoqué la réponse d’Israël qui est allé cibler un réacteur nucléaire en Iran. Il n’y avait pas besoin d’avoir fait West Point pour savoir qu’à ce rythme-là, non seulement nous étions en train de partir en mode « escalade » militaire et loi du talion à gogo et qu’en plus, la guerre risquait bien de coûter plus cher en pétrole qu’en bombes. Et puis, il n’y avait surtout pas besoin d’avoir fait West Point pour savoir que si ça continuait comme ça, les Iraniens pourront venir à Genève tant qu’ils veulent pour négocier la paix, mais tout ce qu’ils pourront faire « à la limite », c’est de mettre les pieds dans l’eau du lac pour se rafraîchir. Mais pour ce qui est de négocier la paix, autant essayer de traverser Genève en voiture à 17h30 en moins de 4 jours, ils ont plus de chance de réussir.
Réflexion avant action
Bref, lse tensions pétrolières ne sont jamais bonnes et même si les experts sont tous d’accord pour déclarer unanimement que fermer le détroit d’Ormuz serait la connerie suprême à ne pas faire pour les Iraniens – puisque cela correspondrait à un suicide commercial et économique – le trader moyen n’écoute pas et préfère paniquer tout en s’angoissant sur le sujet – ce matin le WTI est à 73.71$ et le Brent frise les 77$ et tout le monde a les yeux rivés sur Trump et ses réseaux sociaux, histoire de savoir s’il va bombarder l’Iran ce week-end ou s’il va d’abord attendre que la fête de la musique soit derrière nous. Selon les dernières informations que l’on possède, le génial président Trump se donne deux semaines pour prendre une décision. Dire que si Obama était encore là, Téhéran serait déjà un parking et on réfléchirait à construire un parc d’attraction avec uen souris qui danse et des burgers à 35 balles pour amuser les foules.
Quoiqu’il en soit, tant que Trump est en mode « le penseur de Rodin », les marchés sont sur leurs gardes, parce qu’ils sont parfaitement conscients que le jour où Trump se décide peut arriver à tout moment et que s’il décide d’y aller – au moment où il l’annoncera, les bombardiers et lance-missiles seront déjà en place depuis longtemps. La tension sur le pétrole est donc palpable et lorsque le pétrole monte, on reparle d’inflation qui va monter aussi et plus on parle d’inflation qui va monter, plus on se dit que les deux baisses des taux de la FED que l’on attend pour cet automne, on va pouvoir bien se les accrocher derrière les oreilles. Et quand tu penses que les taux ne vont plus jamais baisser, c’est jamais bon pour les marchés qui sont quand même remontés au plus haut de tous les temps sur le précepte que Powell allait faire comme Martin Schlegel (patron de la BNS) : ramener les taux à zéro, c’est tellement plus simple.
L’Europe baisse la tête… et les taux
Pendant que les bombes tombaient là-bas, les banques centrales, elles, déminaient ici. La Banque nationale suisse a baissé son taux directeur à 0%. Oui, zéro, comme en 2015. Martin Schlegel, président de la BNS, a même dit qu’il évitait de repasser dans le négatif, mais qu’il n’hésiterait pas à le faire si le franc continuait de jouer les Rambos côté devises. En parallèle, la Riksbank suédoise a aussi coupé son taux, tout comme la Norges Bank (première fois en 5 ans, champagne !). Et la Banque d’Angleterre, ben elle, elle a tenu bon… pour l’instant et faisait comme Powell : rien, en attendant de voir. Mais avec un marché du travail qui part en sucette et une inflation qui s’inquiète aussi des droits de douane, tout le monde s’attend à ce qu’elle lâche l’affaire d’ici août. Pendant ce temps, la BCE fait du surplace – ce qui était attendu – mais François Villeroy de Galhau commence à parler de baisses de taux « d’ici six mois ». Traduction : « On attend de voir si ça pète pour appuyer sur le bouton. Et Jerome Powell dans tout ça ? Bah lui, il a pris sa journée. Enfin, presque. Puisque Trump a encore balancé dans la presse que le taux directeur devrait être « 2,5 points plus bas » – oui, bien sûr – je dirais même direct à zéro comme ça on n’en parle plus.
Pendant que les Américains faisaient griller des hot-dogs, l’Europe grillait tout court. Le CAC 40 a perdu 1,32%, le DAX 0,92%, le Footsie 0,43%, et même le Stoxx 600 était en mode dépressif. Le message était clair : « Pas de nouvelles de Wall Street = pas de repères, pas de repères = panique molle. » Ajoutez à ça un baril de pétrole qui grimpe, des banques centrales qui toussent, qui s’inquiètent, et des missiles qui tombent, et on obtient une journée rouge foncée sur les indices qui étaient ouverts. À Paris, Kering s’est fait découper à la machette : –3,1% après une note d’un broker qui voit les Chinois snober le luxe pendant un moment. Richemont et Swatch se sont pris la même claque en Suisse, où le SMI a perdu 0,74%. Côté lumière dans les ténèbres, Eutelsat a bondi de 13,9% après avoir signé un joli contrat avec l’armée française. Comme quoi, parfois, les satellites sont plus sexy que les sacs à main.
Et en Allemagne ? Ambiance morose. Zalando a lâché 4,4%, SAP 2,1%. Seul rayon de soleil : MTU, le fabricant de moteurs d’avion, qui a récolté des commandes record au Bourget.
Et maintenant ?
On se retrouve dans une situation où les marchés n’ont plus aucune illusion :
– La géopolitique est en feu.
– Les banques centrales sont paumées et tentent de limiter la casse sans aucune vision d’avenir.
– L’inflation est un serpent de mer ingérable qui peut nous péter à la figure en fonction de la couleur de l’or noir. Le pétrole qui a la capacité d’aller n’importe où en fonction d’un tweet.
Et le plus flippant justement, c’est que tout peut basculer en une phrase, une frappe ou une rumeur. La prochaine étape ? Si Trump envoie réellement des bombardiers sur Téhéran, il faudra oublier les 80 dollars sur le Brent, et commencer à parler de montant à trois chiffres sur le baril… et du coup, les banques centrales vont commencer à transpirer à grosses gouttes.
Et puis – vu la situation explosive dans laquelle nous sommes, on ne va pas oublier non plus le fait que ce vendredi, c’est le triple witching : expiration massive d’options sur actions, ETF et indices. Et pas n’importe laquelle : plus de 6’000 milliards de dollars sont en jeu, et la plus grosse jamais vue. Sauf que cette fois, elle tombe juste après un jour férié — chose que l’on n’avait plus vu depuis l’an 2000. Ce qui pourrait signifier, soit un calme plat parce que tout le monde est en week-end prolongé, soit un bordel absolu à cause des volumes concentrés. Et puis si on rajoute à ça la VIX qui repart à la hausse, des tensions Iran-Israël qui montent, et le cocktail POURRAIT être explosif. Historiquement, le triple witching c’est du volume et de la nervosité. Après, il faut quand même bien se souvenir qu’à chaque triple witching, qu’à chaque quadruple witching et qu’à chaque witching tout court, on nous vend à chaque fois la même histoire. Et à chaque fois, il ne se passe rien. Je suis prêt à acheter des calls sur le fait qu’il ne va strictement rien se passer encore une fois, mais c’est toujours assez sympa de faire peur à tout le monde.
En Asie
Les marchés asiatiques étaient en hausse parce qu’ils sont « soulagés » par la décision de Trump de repousser de deux semaines sa réponse sur l’entrée en guerre contre l’Iran. Ce qui est bien c’est que l’ensemble de la planète sait que la parole du Président Trump est à peu près aussi fiable que volatile et que là tout de suite « on est soulagés parce qu’il a dit qu’il allait réfléchir »… Juste pour rire, c’est quand la dernière fois qu’il a dit la vérité et qu’il s’y est tenu ?? Nan, c’est juste pour savoir. Bon, au moins au Japon on se pose des questions, l’inflation qui flambe, les minutes hawkish de la BoJ et le riz…. Au Japon, le riz explose de 101,7% en un an, du jamais vu depuis plus de 50 ans. Résultat : l’inflation de base grimpe à son plus haut niveau depuis 2023. Quand même le riz devient un produit de luxe, tu sais que le Japon va devoir relever les taux (et vite). Et d’ailleurs, une hausse des taux est probable dès juillet. Résultat : le Nikkei et le Topix reculaient un poil. Pendant ce temps, la tech asiatique se réveille : +1,1% pour le KOSPI, +0,8% pour le Hang Seng. Les autres indices restent sous pression à cause de la guerre Israël-Iran, qui entre dans son 8ème jour de frappes. Et en Chine, les indices montent légèrement, malgré une PBOC immobile côté taux. Mais les marchés s’attendent toujours à un coup de pouce monétaire de Pékin pour relancer la machine, c’est même leur raison de vivre depuis de mois.
DU côté du reste, le WTI est à 73.77$, l’or est à 3’369$, le Bitcoin vaut 104’600$ et le rendement du 10 ans est à 4.39%, pendant que le future US recule de 0.2% dans l’attente de cette ÉNOOORME triple witching. Et puis on terminera avec Donald Trump qui a démoli Jerome Powell jeudi, le qualifiant de “destructeur” et de “vrai crétin” sur Truth Social.
Il lui reproche de ne pas baisser les taux, ce qui, selon lui, coûte “des centaines de milliards” aux États-Unis. “On devrait être 2,5 points plus bas” selon les calculs du Président. La Fed, elle, reste zen : Powell a dit qu’il fallait encore attendre pour décider… et Trump explose.
Il accuse Powell d’être “un gars politique, mais pas intelligent”. Le président compte d’ailleurs annoncer bientôt son propre candidat pour diriger la Fed.
En toile de fond : tensions géopolitiques, inflation résistante et Trump qui cherche un bouc émissaire pour l’économie. Bref, le duel Trump vs Powell repart pour un tour, version 2025 : plus violent, plus direct, et surtout… beaucoup plus dangereux, parce que du moment où le marché va comprendre que la FED n’est plus indépendante, je ne réponds plus de rien.
Il me reste à vous souhaiter un excellent week-end et je vous retrouve mardi prochain, parce que lundi, je suis à Maranello. Il y a des semaines qui commencent mieux que les autres. Très bonne journée et à mardi !
Thomas Veillet
Investir.ch
« Lorsque le doigt montre le ciel, l’imbécile regarde le doigt. »
— Proverbe chinois