L’arrivée de 4’000 soldats de la Garde nationale à Los Angeles, renforcée par 700 US Marines, pour protéger la police de l’immigration, la US Immigration and Customs Enforcement - ICE - est une décision assumée de Donald Trump pour court-circuiter les autorités locales, en l’occurrence Gavin Newsom, gouverneur de la Californie et Karen Bass, la maire de Los Angeles. En général, ce sont les gouverneurs des Etats qui demandent l’aide de la Garde nationale.
Cette situation exergue l’escalade autoritaire de Donald Trump et les tensions croissantes sur les contre-pouvoirs aux Etats-Unis que sont les Etats, le Congrès (même s’il ne fait plus grand-chose depuis quelques années), la Cour suprême et les juges fédéraux, qui résistent malgré tout. On pourrait se souvenir de films de fiction sur l’émergence d’une guerre civile aux Etats-Unis avec des citoyens surarmés et le clivage croissant de la société américaine depuis l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 entre les conservateurs/complotistes/QAnon et les progressistes.
Pour l’instant, les perspectives d’une guerre civile restent éloignées. Les Démocrates ne sont pas assez bien organisés pour s’opposer à la politique migratoire de l’administration américaine. Mais si Donald Trump est un nationaliste, les penseurs de l’extrême-droite américaine – Steve Bannon, Stephen Miller – sont dans une logique de guerre civilisationnelle. Pour le moment, ils implémentent implacablement leur stratégie «inonder la zone», flood-the-zone, consistant à attaquer partout afin d’affaiblir les oppositions. Politiquement, Donald Trump fait exactement ce qu’il avait annoncé et il a été élu pour son projet, donc nous ne devrions pas être choqué, mais Donald Trump doit faire oublier son clash violent avec Elon Musk et la difficulté à faire passer son projet budgétaire, le Big Beautiful Bill Act. D’ailleurs, pour le moment, les succès pour Donald Trump ne sont pas au rendez-vous: sa guerre commerciale est laborieuse et ses interventions géopolitiques sont des échecs. Donald Trump fait ce qu’il sait faire de mieux, soit «inonder la zone» et utiliser l’art de la diversion.
Malgré tout, l’escalade de Donald Trump est dangereuse, surtout avec l’arrivée des US Marines équipés d’armes léthales. On perçoit une dérive autoritaire. Les Etats-Unis n’ont jamais été autant divisés. Donald Trump veut modifier les équilibres. Sa politique migratoire sans discernement commence à diviser les Républicains. La révolte californienne pourrait faire tache d’huile à d’autres villes et Etats démocrates comme Chicago et New York. Donald Trump a besoin du chaos pour asseoir sa dérive autoritaire, du moins pour la justifier. On pourrait avoir une crise constitutionnelle si Donald Trump ne tient plus compte des décisions des tribunaux fédéraux. Il y a donc des risques. Une guerre civile ne serait pas exclue dans une société où le 2e amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique reconnaît la possibilité pour le peuple américain de constituer des milices pour contribuer à la sécurité d’un État libre et garantit en conséquence à tout citoyen américain le droit de détenir des armes.
La Californie est un vieux sujet. Depuis la seconde partie du XXème siècle, il y a toujours eu des tensions entre l’ordre conservateur et une Californie progressiste, jugée subversive. En 1969, Ronald Reagan avait envoyé la Garde nationale en Californie pour écraser les révoltes de Berkeley – contestation sociale et politique liée au mouvement pour la liberté d’expression, Free Speech Movement – et n’avait cessé de dénoncer les communistes et les «beatniks» décadents, adeptes du rejet des conventions de la société industrielle qui aspiraient à une vie simple et dépouillée et rejetaient le conformisme bourgeois et la société de consommation. En 1992, face aux soulèvements des quartiers noirs de Los Angeles, le président George Bush avait envoyé la Garde nationale pour rétablir l’ordre. Décrites depuis un siècle par les conservateurs comme les Sodome et Gomorrhe de l’Amérique, Los Angeles et San Francisco doivent être domestiquées par tout responsable conservateur qui se respecte.
La Californie est un Etat lucratif pour la traque aux migrants, à la surveillance et aux arrestations arbitraires grâce à la présence du complexe militaro-industriel et des géants de la technologie. Ils sont les sous-traitants zélés de la police des frontières et de l’ICE. Google, Amazon, Palantir, la compagnie d’intelligence artificielle Babel Street, mais aussi Microsoft a passé ces dernières années des contrats lucratifs avec les services policiers du pays afin de mettre leurs capacités à collecter et à traiter les données personnelles au service de la chasse aux migrants. La compagnie Anduril a vendu des drones de détection de présence humaine à l’agence fédérale chargée de la frontière avec le Mexique; Palantir, la compagnie du doctrinaire d’extrême droite Peter Thiel, fournit l’ensemble de l’appareillage logistique permettant la déportation d’étrangers, ainsi que leur surveillance et leur localisation biométrique, où qu’ils soient dans le monde. La Silicon Valley a historiquement accompagné l’appareil punitif et militaire de l’Etat américain, tout en présentant au monde la promesse d’une émancipation numérique.
Le président américain, Donald Trump, a signé, jeudi 12 juin, une résolution pour mettre fin à la politique ambitieuse en faveur des voitures électriques de la Californie. Il veut empêcher l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves en 2035. La Californie compte le plus grand nombre de voitures électriques du pays et bénéficie depuis plus d’un demi-siècle de dérogations qui lui permettent de fixer des normes environnementales plus strictes que la législation fédérale.
Les données personnelles de dizaines de millions d’Américains qu’Elon Musk a rassemblées avant de quitter le DOGE serviront sans doute à quelques opérations commerciales. Mais elles seront aussi l’arme par excellence de détection et de persécution des indésirables. Le projet de l’extrême droite américaine dispose aujourd’hui d’une technocratie algorithmique dévouée et inédite dans l’histoire du pays. Cette alliance matricielle entre la Californie et Washington vaut bien une réconciliation: alors qu’on le disait irrémédiablement fâché, Elon Musk a salué l’envoi des blindés à Los Angeles et a exprimé ses regrets d’avoir «agressé» Donald Trump.
En conclusion. Les craintes sur la santé économique américaine, la guerre commerciale de Donald Trump, les probables nouvelles taxes pour les étrangers sur les investissements financiers faits aux US – le Big Beautiful Bill Act -, les attaques régulières sur les alliés et le patriotisme hors des US ont lancé une nouvelle tendance dans l’investissement: «Anywhere But the USA (ABUSA)/Partout sauf aux US». Ce n’est pas un renoncement aux achats d’actifs américains, mais c’est un rééquilibrage mondial, une reprise cyclique et une croissance multipolaire. L’exceptionnalisme américain, va-t-il disparaître? En réduisant la part US, on diminue le risque sur le dollar, sur les taux US et sur la volatilité. Il y a maintenant deux jeux sur les marchés financiers: ABUSA et TACO (Trump Always Chickens Out). Le sujet sur le plafonnement de la dette américaine va revenir entre juillet et septembre. La perte du AAA incite les caisses de pension internationales à réduire leurs expositions en obligations souveraines US. En 2025, face à l’incertitude américaine, la plupart des bourses internationales ont surperformé les indices américains. Il y a tout de même des facteurs positifs pour les actions américaines, en absolu: l’analyse technique est favorable, l’économie est résiliente, Main Street bat Wall Street et sous la pression de Trump, la Fed pourrait baisser prochainement les taux. Donald Trump pourrait annoncer prochainement le remplaçant de Jerome Powell que certains appellent déjà «the shadow Fed chair», l’idée étant d’influencer les marchés des taux et pousser la Fed à baisser les Fed Funds et éviter ainsi l’option nucléaire consistant à tenter de renvoyer Jerome Powell avant la fin de son mandat.
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