On ne va pas se mentir, les deux sujets qui seront les priorités de la semaine qui arrive se résument en deux mots : Guerre et FED. Deux choses que l’on connait plus ou moins et que l’on maitrise en général mais également deux choses qui peuvent partir dans tous les sens parce qu’on ne sait jamais ce qui peut se passer. Je le reconnais, c’est un peu toujours comme ça dans le monde merveilleux de la finance, mais là on a deux gros morceaux qui nous attendent et il va falloir serrer les fesses pendant quelques jours – peut-être même plus. Les vacances approchent et c’est dernière ligne droite. Par contre le Moyen Orient semble bien parti pour nous prédire un été ultra-chaud.
L’Audio du 16 juin 2025
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La guerre
Commençons tout d’abord par le chapitre de la guerre. Je ne vais pas m’improviser expert sur le sujet. Cependant tout semble plutôt bien se dérouler pour le moment – et quand je dis « bien se dérouler » c’est pour dire que les deux camps se contentent de se parler par missiles interposés. Les Israéliens visent des sites militaires et les Iraniens visent des civils – c’est en tous les cas ce que les médias nous racontent. De l’autre côté de l’Atlantique Trump essaie de se transformer en Colombe de la paix et tente d’encourager les deux parties à trouver un moyen de limiter la casse – comme l’Inde et le Pakistan il a dit – mais pour le moment, au vu de ce qu’on entend, ça ne donne pas l’impression que Benyamin Netanyahou veut aller dans cette direction – lui ça serait plutôt l’intention de transformer Téhéran en grand parking qui lui conviendrait comme stratégie.
Quoi qu’il en soit, du côté des marchés financiers, on dirait que le premier choc est digéré et comme nous en avons parlé dans la chronique de vendredi dernier, on a tous compris que ça finit par remonter et qu’après le conflit, on sera plus haut – pour autant qu’il y ait un « après ». Non, dans l’immédiat, le gros problème qu’il va falloir gérer, c’est le problème du Détroit d’Ormuz. Parce qu’un blocage d’Ormuz, ça pourrait faire péter le baril à 120 dollars selon J.P. Morgan (qui aime bien balancer des scénarios catastrophe quand ça leur chante), et faire remonter l’inflation à 5%. Pas exactement ce que l’on a envie d’entendre en ce moment. Surtout si on s’appelle Jerome Powell. Et pas que Powell, parce que j’ai cru lire quelque part que Christine Lagarde « pensait » que c’était gérable de maintenir l’inflation à 2%. Mais attention : pour l’instant c’est que du stress anticipé. Les marchés ont souvent cette capacité incroyable à paniquer pour rien, puis à oublier 24h plus tard. Mais là, le combo est parfait : pétrole qui monte + tensions géopolitiques + inflation qui guette = cocktail pour les banques centrales.
Please someone call 9-1-1
Alors oui, en théorie il y aurait des pompiers potentiels, l’OPEP pourrait compenser une partie des barils qui n’arriveraient pas à bon port, les USA pourraient rouvrir leurs réserves stratégiques. Sans oublier que l’Iran, malgré sa rhétorique, n’a jamais vraiment bloqué le détroit (pas stupides non plus, vu que leurs clients, c’est surtout la Chine, l’Inde, le Japon… ils ont pas trop envie de les froisser). Néanmoins, ce détroit, c’est le goulot d’étranglement énergétique de la planète. 1 bateau sur 5 qui transporte du pétrole passe par là. On parle de 20 millions de barils par jour, et surtout de la moitié du pétrole exporté par les pays du Golfe. Si on ferme Ormuz, on coupes le robinet de l’énergie mondiale. C’est pas juste une mauvaise nouvelle pour Total et Exxon, c’est un séisme global.
Imaginez ne serait-ce qu’un instant :
Étape 1 : L’Iran balance des mines ou des drones marins dans le détroit.
Résultat : plus personne ne veut passer. Les primes d’assurance pour les navires explosent, les flux s’arrêtent net.
Étape 2 : Riposte militaire quasi immédiate.
Les États-Unis, qui ont la 5ème flotte juste dans le coin, ne vont pas regarder ça en mangeant des popcorns et en tant que spectateurs. Répliques, frappes ciblées, et hop : on passe du conflit régional à la crise géostratégique mondiale.
Étape 3 : Le pétrole flambe – il a déjà commencé, d’ailleurs.
120 $ le baril ? Peut-être. 150 ? Pas impossible. Et là, l’inflation fait un comeback version « Terminator numéro 8, je suis de retour et je suis pas content ». Les banques centrales paniquent. La Fed oublie toute idée de baisse de taux. L’Europe ? Déjà KO, prend une 2ème droite. Pour l’instant, le baril est volatile – si vous regardez le chart, jeudi dernier on clôture à 69 et des poussières. Vendredi on fait un top intraday à 77.62$ et dimanche soir, le WTI était à 71.29$ – ça reste du sport extrême en ce moment.
Mais revenons à nos étapes : Étape 4 : Les marchés plongent.
Les valeurs de croissance s’effondrent. Les défensives montent. L’or s’envole. Le dollar devient la dernière planche de salut (avec le franc suisse, bien sûr). Et les value-stocks se lèvent de leur lit après des années de coma.
Étape 5 : La Chine et l’Inde hurlent.
Pourquoi ? Parce que c’est leurs pétroliers qui passent surtout par là. Et pour eux, une pénurie de pétrole à 120 ou 150 $, ça veut dire croissance qui cale – déjà que c’est pas terrible en ce moment – puis des usines qui ferment et inévitablement des tensions sociales qui arrivent. Ça commence furieusement à ressembler à une guerre mondiale… économique.
Reste juste à voir si l’Iran va le faire ?
Et franchement, selon les experts, ça paraît peu probable. Peu probable parce que ça leur coûterait cher. Très cher.
• Tout d’abord ce serait un acte de guerre pur et simple, qui isolerait totalement le pays.
• Ensuite, leurs clients principaux sont en Asie. Ils ne vont pas couper leur propre business.
• Et pour terminer, ils savent très bien que l’armée US n’attend que ça pour leur rentrer dans le lard. Ça fait depuis la crise des otages de 1979 que les USA attendent une bonne occasion pour mettre la pâtée aux Mollah – alors Trump a beau ne pas être un « va-t-en guerre » comme Obama, il ne faudra quand même pas le pousser trop loin et trop fort.
Mais attention : un verrouillage temporaire, même de 24h, pourrait suffire à mettre le feu aux poudres. Les marchés réagissent plus aux titres de presse qu’aux faits. Il suffit d’un missile bien placé, d’un tanker touché, d’une rumeur de mine flottante… et c’est parti pour un rallye du pétrole et une panique des indices.
En résumé, voici ce qu’il faut retenir pour ces prochains jours :
• Ormuz, c’est le talon d’Achille de l’économie mondiale.
• Le verrouiller, c’est couper l’arrivée d’essence du moteur de l’économie.
• Les marchés y pensent tout le temps
• Et l’Iran, même s’il menace souvent, sait que la punition derrière serait brutale.
Ce qui nous amène assez logiquement à l’autre axe principal de la semaine : LA FED, Jerome Powell et Trump qui va lui hurler dessus.
Le FOMC de juin, ne rien faire ou ne rien faire ?
Petit rappel rapide de la situation dans laquelle nous nous trouvons : tout d’abord on ne sait plus trop quoi penser des droits de douane, s’ils sont inflationnistes ou pas, les économistes ne cessent de nous repousser la date à laquelle nous allons vraiment sentir la chose dans nos dépenses de tous les jours. Mais pour l’instant, force est de constater que l’impact semble gérable. Les chiffres de l’inflation qui sont sortis récemment montre tous un léger recul (c’est le cas du dernier PCE) ou alors ou une légère hausse, mais moins violente que les attentes (c’est le cas du CPI et du PPI qui sont sortis la semaine dernière.
Du côté emploi et croissance, les données montrent que l’emploi se porte bien, même si certains oiseaux de mauvaise augure (dont je fais partie), estiment quand même que certains chiffres sont un peu trop beaux pour être honnêtes et que nous avons tendance à vouloir cacher la merde au chat – histoire que l’électeur américain ne se sente par trop en danger de voir son mode de vie se transformer de manière un peu trop drastique. Dans cet environnement la tâche de Powell n’est pas simple. Tout d’abord, le patron de la FED à le cul entre deux chaises : s’il baisse les taux trop vite et que les droits de douane – en conjonction avec un hausse du baril – nous tombent dessus ; on sera parti pour une période de sur inflation qui ne sera pas piquée des vers et qui sera surtout difficilement récupérable. La raison voudrait de laisser les taux tels qu’ils sont en d’attendre de voir comment les choses se déroulent. Et c’est probablement ce que Powell va faire.
Mais de l’autre côté, Powell a son patron sur le dos qui ne cesse de lui demander de baisser les taux de 100 bp. Soit un 1% d’un coup d’un seul. Et Trump commence à être assez vindicatif sur le sujet, puisqu’il accuse ouvertement Powell d’être pas loin de l’ennemi numéro un de la nation. Et même si t’es chef de la FED, parfois ça doit être compliqué de vivre sous la menace et les insultes permanentes du Président. Et cet état de fait va indubitablement peser dans la balance. Ne serait-ce que la balance psychologique de Jerome Powell. Les marchés ont largement anticipé l’immobilisme de la FED, mais on ne sait jamais ce qui peut se passer – entre les discours de la FED et les tweets de l’Oncle Donald.
En résumé
En conclusion de tout cela, la semaine commence donc dans la gestion de la crise militaire entre Israël et l’Iran, ainsi que dans l’attente du verdict de la FED qui sera annoncé mercredi soir. D’ici-là, la tension devrait rester maximale, même si les marchés ont déjà anticipé une bonne partie de ce qui se passe et, sans escalade militaire, les choses devraient être gérables. Et puis, il y a un sujet dont on ne parle que très peu – ou en tous cas beaucoup moins depuis trois jours – c’est les droits de douane avec la Chine et aussi avec le reste du monde. Oui, parce que souvenez-vous, juste au moment où Benyamin Netanyahou a décidé d’aller jouer au tir aux pigeons, Trump avait annoncé qu’il allait envoyer une lettre d’amour aux pays qui ne négociaient pas assez vite à son goût et que dans ces lettres parfumées à la poudre à canon, il allait leur proposer un deal – un deal à prendre ou à laisser. Et puis au passage, la Chine n’a toujours pas validé le super-deal de Londres…
Tout plein de sujets qui vont nous garder en alerte pendant toute une semaine qui promet d’être bien tendue comme on les aime. Et puis, pour ce lundi matin, nous aurons le PPI en Suisse, le niveau des salaires en Europe, le rapport de l’OPEP et le New York Empire State Manufacturing Index.
Passez un excellent début de semaine. Un très bon lundi. Et nous on se retrouve demain matin pour de nouvelles aventures passionnantes dans le monde merveilleux de la finance.
À demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
“The first panacea for a mismanaged nation is inflation of the currency; the second is war. Both bring a temporary prosperity; both bring a permanent ruin.” — Ernest Hemingway