Si l’on en croit les statistiques, les mouvements des indices américains étaient les plus « petits » depuis janvier 2017. Pour faire simple, ça fait 8 ans qu’on s’était pas emmerdé pareillement. Pourtant je me rappelle plusieurs séances ces dernières années où je me suis demandé ce que je foutais-là, plus d’une fois par jour. Mais bon, si c’est les statistiques qui le disent… Enfin, une chose est certaine ; les intervenants se demandent sur quel pied danser et ce, même à 1% des records. On veut croire au cessez-le-feu, mais en même temps y a comme un doute. Et on espère que Powell va baisser les taux, mais quand on l’écoute, on se dit que c’est pas gagné. Bref, la journée a été longue.

L’Audio du 26 juin 2025

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On y croit sans y croire

On ne va pas se mentir, les marchés vont bien et ils sont raisonnablement optimistes. Ils sont raisonnablement optimistes parce qu’ils ne se concentrent que sur les « bonnes nouvelles ». Il est vrai qu’à l’heure actuelle, on n’aime pas trop regarder ce qui ne va pas – on sait qu’il y a des trucs qui ne vont pas, mais on se dit que si on n’y pense pas, si on n’en parle pas, si on les ignore : ça devrait bien se passer. Mais le problème – dans les séances comme celle d’hier – c’est qu’il y a tellement rien à dire de neuf que nous sommes obligés de nous concentrer sur vieux trucs pour ne pas prendre le temps de regarder ce qui ne va pas.

Donc le sujet principal d’hier c’était : est-ce que le cessez-le-feu peut tenir ? Le problème avec les cessez-le-feu, c’est qu’ils arrivent toujours à un moment où les deux parties sont quand même bien chaud-patates et qu’elles ont vraiment envie d’en découdre, même si ça doit se finir à coups de fourchettes parce qu’on n’a plus de munitions. Et quand t’as un mec qui vit à 10’000 bornes de chez toi dans une grande baraque toute blanche qui t’envoie un mail pour te dire d’arrêter tes conneries où il te refait la déco de ta maison, tu reposes la fourchette que tu avais dans la main à sa place, dans le tiroir et tu fais semblant d’avoir envie de trouver une solution pacifique. Pourtant, ton père, ton grand-père, ton arrière-grand-père et son père à lui t’ont toujours dit que les gars d’en face était ton pire ennemi et que ta priorité dans la vie c’était d’en faire du steak tartare. C’est pas facile de rester calme et de retourner au bureau le lendemain dans ces conditions

Sur la défensive

Et ça, je crois que le monde merveilleux de la finance et de l’investissement où tu gagnes à tous les coups, a très bien compris le concept. Tout le monde est conscient que le moindre mégot jeté par terre à Téhéran ou le moindre regard de travers à Tel Aviv, à le pouvoir de relancer la musique et ce même si le type de la grande maison toute blanche hurle au micro de CNBC pour ordonner d’arrêter. Les deux parties sont encore capable de laisser les fourchettes dans le tiroir et de finir la guerre des 12 jours avec le service à thé. La seule chose que l’on se souviendra c’est que terminer un génocide à la cuillère à café, ça sera super-long. Mais passons.

À l’heure actuelle, nous sommes bien installés dans nos fauteuils à observer ce qui se passe sur nos écrans et chaque minute qui passe est une minute gagnée en faveur de la paix. Pourvu que ça dure, mais en revanche, qu’est-ce que c’est chiant. Donc, mercredi, le S&P 500 a bougé d’un demi-cheveu. L’indice est resté collé à 1% de son plus-haut historique, avec un mouvement quotidien aussi palpitant qu’un dimanche pluvieux : le plus petit – donc – depuis janvier 2017. Autant dire qu’il y avait une ambiance fabuleuse qui rappelle un peu un apéro au Kombucha dans un club de végans. Le Nasdaq lui s’offrait un petit +0.3% grâce aux usual suspects de l’IA : Nvidia, Super Micro Computer et compagnie, qui tiennent à bout de bras un marché qui donne quand parfois l’impression d’avoir le souffle court, même si Nvidia termine au plus haut de tous les temps et que sa market cap est quasiment indécente à 3’760 milliards, contre 3’660 pour ces « petits amateurs » de chez Microsoft. On notera quand même que depuis le point bas du mois d’avril, Nvidia a repris 1’420 milliards de market cap. Rien que ça. Pourtant on a quand même l’impression que le marché a le souffle court et qu’en plus il se traîne un sac à dos de 200 litres de chez Décathlon qui est remplis de cailloux.

La molle attitude

Le meilleur exemple de cette « molle attitude » c’est peut-être la publication des chiffres de Micron. Hier soir après la clôture le géant des semiconducteurs a publié ses chiffres trimestriels. Et puis alors ce matin, en lisant la presse, les HEADLINES étaient dithyrambiques, extatiques et panégyriques – oui, alors moi non plus je ne savais pas que le mot panégyrique existait et pendant un bref instant j’ai cru qu’il avait été inventé pour gagner au Scrabble, mais c’est fou ce qu’on trouve dans un dictionnaire des synonymes. Panégyrique existe et ça veut dire dithyrambiques avec un poil de flagornerie – en gros ça laissait supposer que Micron avait fait un CARTON et qu’ils surfaient sur la vague de l’IA tout en pulvérisant les attentes.

Et effectivement, les chiffres étaient TOUS au-dessus des attentes.

• Chiffre d’affaires : 9,3 milliards $ (+37 % sur un an), un record.
• Bénéfice par action : 1,91 $ contre 1,60 $ attendu.
• Marge brute ajustée : 39 %, avec une prévision à 42 % pour le trimestre prochain.

Ce carton est dû aux puces de Micron qui sont essentielles pour l’IA, ces mêmes puces ont vu leurs ventes exploser de 50%. Le segment data center a doublé et pour faire simple : ça crame du GPU et ça stocke de la donnée comme jamais. Le CEO est tellement méga-confiant qu’on dirait Brad Pitt sur le tapis rouge et les guidances son phénoménales. La tag-line de conclusion pourrait être : « Micron s’impose comme un pilier stratégique de l’infrastructure IA, ça n’est pas juste un suiveur du boom IA, mais un moteur à part entière ».

Donc, compte tenu de tout ça, je me dis : « damned ! le titre doit prendre 15% after close !!! ». Je me précipite donc sur mon clavier, je tape le code de Micron et j’apprends que le titre est en hausse de…1.6%. Tout ça pour vous dire que ce marché ne veut pas baisser, c’est une certitude. Par contre là tout de suite, il va lui falloir un peu plus qu’un milkshake Lexomil-Xanax pour avoir envie d’aller à 7’000 sur le S&P500 dans cet environnement.

L’Europe, la Suisse et Nestlé

Ailleurs dans le monde, l’Europe a « consolidé ». Consolidé c’est pour ne pas dire « baisser ». La France reculait de 0.76%, l’Allemagne de 0.61% et la Suisse continue de déprimer et perdait près d’un pourcent. Nestlé pesait sur l’indice après avoir reçu une nouvelle amende. Nestlé Waters Suisse a été condamnée à verser 500’000 francs pour avoir utilisé des filtres à charbon non autorisés à Henniez entre 2008 et 2022, tout en continuant à vendre son produit sous l’appellation trompeuse « eau minérale naturelle ». Le ministère public vaudois estime que cette pratique a induit les consommateurs en erreur et procuré un avantage économique illégal. L’amende tient compte de l’absence de danger pour la santé et de la collaboration totale de Nestlé. En parallèle, des scandales similaires éclaboussent la marque en France, notamment sur Vittel et Perrier. Mais pour un groupe réalisant plus de 93 milliards de francs de chiffre d’affaires, cette sanction, c’est un peu comme si on t’interdisait un sucre dans ton café : ça change rien à ta journée. Mais on a quand même réussi à faire baisser Nestlé de 2.7%.

Et puis en France on avait aussi son petit scandale, puisque Worldline s’est pris une méga claque ! L’action s’est vautrée de 38% après des révélations explosives sur des paiements douteux opérés pour des arnaqueurs, casinos illégaux et sites pornographiques pendant une décennie. L’enquête menée par Mediapart, Le Soir et d’autres médias dévoile un passé pas très « compliant ». Le boss, Pierre-Antoine Vacheron, tente de calmer la tempête en criant au lynchage médiatique et en promettant une « tolérance zéro » désormais. Problème : 130 millions d’euros de chiffre d’affaires viennent justement de ces clients à haut risque. Et avec un titre qui a perdu 95% en 4 ans, les marchés ont déjà tranché : la confiance ne se recharge pas par carte bancaire.

Powell persiste et signe

Et puis, pendant que nous passions notre journée à pagayer dans les sources de Nestlé et à faire nos paiements via Worldline, tout en nous demandant combien de temps les « bonnes intentions » allaient tenir au Moyen Orient ; Powell est revenu parler devant les politiciens américains – mais cette fois devant le Sénat.

Et si c’était un film, on aurait pu appeler ça : « Powell attend pour baisser les taux – ou l’homme qui ne voulait pas se faire avoir deux fois ».

Imaginez un pilote d’avion. Aux commandes vous avez Jerome Powell. Dans le cockpit il y a des voyants rouges qui clignotent dans tous les sens et des alarmes qui vous disent que vous perdez de la vitesse et, pendant ce temps-là.. vous avez Trump qui donne des grands coups de poing dans la porte en lui hurlant d’accélérer, d’aller plus vite. Avant qu’il ne soit trop tard. Et puis derrière, dans la cabine, les passagers (les marchés) qui réclament du champagne, du calme, et une température ambiante de 2 % d’inflation. Bref : un vol compliqué.

Cette semaine, le patron de la Fed est allé s’expliquer devant le Congrès et le Sénat américain. Et s’il y a bien une chose qu’il a martelé, c’est :

« Je ne couperai pas les taux sous la pression politique. Pas maintenant. Pas comme ça. »

En effet, Powell a une hantise : faire une erreur de jugement. Une erreur qui pourrait coûter cher, très cher. Selon ses propres mots :

« Si on se plante, ce sont les gens qui paieront la facture. Et pour longtemps. »

Alors il attend. Il observe. Il temporise. Il regarde. Il guette. Il jauge. Il ausculte le moindre signe. Il retient son souffle et il attend le moment juste.

En résumé, avant de couper les taux, il veut voir jusqu’où la fièvre monte. La fièvre des tarifs bien sûr. Il attend les chiffres de l’inflation de juin, puis ceux de juillet. Pas avant. S’il voit un +0,2 % ou plus dans le CPI, il ne fera rien. S’il voit encore un +0,1 % comme en mai ? Alors là… peut-être qu’il appuiera sur le bouton. Mais attention : pas de promesse. Pas de calendrier. Powell refuse de se lier à une date. Et hier encore, il a répété les mêmes choses. Il craint pour l’emploi, pour l’inflation, les droits de douane l’inquiète et le fait de rien savoir au sujet des droits de douane n’arrange rien.

DONC, si l’on doit faire le résumé de ces deux jours :

• Pas de cut en juillet sauf miracle statistique
• Le CPI de juin sera le juge de paix (ou pas)
• Le marché de l’emploi est sous surveillance rapprochée
• Powell veut éviter une erreur qui pourrait lui coller à la peau… comme celle de 2021.

Rien de neuf sous le soleil et rien qui n’a pu fournir la moindre dynamique à la séance d’hier qui va rester longtemps au top des séances chiantes.

Du côté de l’Asie

Les marchés asiatiques ont reculé ce matin. Les investisseurs restent prudents face à la trêve entre Israël et l’Iran, et à l’approche de la date limite du 9 juillet pour les nouveaux tarifs douaniers américains. Le KOSPI sud-coréen a chuté de 2,2 % après un fort rallye ce mois-ci, tandis que les indices chinois et hongkongais perdaient légèrement du terrain. Le Japon a fait exception : le Nikkei a grimpé de 1 %, porté par la tech et l’effet Nvidia. La Fed reste prudente sur les taux, attendant de voir les effets réels des tarifs sur l’inflation, ce qui pèse sur les actifs à risque. Le Japon a également affirmé qu’il poursuivrait les négociations avec les États-Unis pour éviter les nouveaux droits de douane. Ou comment répéter les mêmes choses encore et encore en donnant l’impression que c’est de la nouvelle neuve.

Du côté des matières premières, on notera que le pétrole remonte un peu mais les experts précisent bien que « c’est pas à cause du Moyen Orient », mais plutôt à cause des taux qui vont baisser (un jour), des inventaires et du short covering sur les contrats futures. En gros : pour justifier les mouvements du pétrole tu as le droit de raconter n’importe quoi, tout est valable. Le WTI est à 65.14$. L’or est à 3’350$, le Bitcoin frôle les 108’000$ et le rendement du 10 ans est à 4.287%.

À retenir

Circle, l’ex-star des IPO crypto, s’écrase violemment : –25 % en deux jours, après avoir fait du fois 10 en trois semaines. Pendant ce temps, Coinbase cartonne avec +15,5 %, porté par ses revenus sur l’USDC (298 millions $ au T1). Circle, trop chère ? Oui, selon les pros : « Irrationnelle » dit l’un, « Surévaluée » dit l’autre. Le duo reste lié : Circle verse la moitié de son chiffre d’affaires à Coinbase grâce au stablecoin. Et si la régulation US passe, surtout sous Trump, Coinbase pourrait rafler encore plus. Et puis, on notera que BP s’envole en Bourse après des rumeurs de rachat par Shell, même si ce dernier nie officiellement. L’idée emballe les marchés : BP, affaibli mais bien doté, serait une proie idéale. Shell, recentré sur le gaz, apparaît comme le chasseur stratégique parfait. Une fusion créerait un mastodonte dans le Golfe du Mexique. Mais l’opération reste floue et pourrait déclencher des alarmes antitrust.

On notera aussi que pendant que Powell témoignait devant le Sénat, Trump affûtait déjà son choix pour remplacer Jerome Powell à la tête de la Fed, alors que le mandat de ce dernier expire en mai 2026. Il a réduit la liste à 3 ou 4 noms, dont Kevin Warsh, proche du président et artisan du sursis accordé à Powell ce printemps. Figurent aussi Christopher Waller, partisan assumé de baisses de taux dès juillet, et Scott Bessent, son Secrétaire au Trésor. Kevin Hassett, stratège économique de la Maison Blanche, complète le casting. Trump pourrait annoncer son poulain bien plus tôt que prévu, histoire de montrer qui commande la planche à billets. Et puis surtout, il fallait ABSOLUMENT qu’il dise quelque chose PENDANT que Powell s’exprimait. Si la guerre des 12 jours est terminée, la guerre des égos ne l’est pas encore.

Les chiffres du jour

Du côté des chiffres du jour, il y aura les Durables Goods, le CORE PCE Prices du Q1 (à ne pas confondre avec le PCE de demain qui lui est mensuel – l’important c’est celui de demain). En plus de ça, il y a aussi le GDP américain et les Jobless Claims. Nous aurons aussi droit à une avalanche de membres de la FED qui parleront…

Alors voilà, on a eu du Powell qui temporise, du Trump qui marque son territoire, du Nestlé qui bricole ses filtres, du Micron qui cartonne pour que dalle, et du marché qui bouge autant qu’un panda sous Lexomil. Bref, tout le monde retient son souffle en attendant les chiffres de demain. En attendant, passez une excellente journée et on se voit demain, pour boucler la semaine !

Thomas Veillet
Investir.ch

« On est à 1% des records, mais avec l’excitation d’un documentaire sur la reproduction des huîtres. »

– Un chroniqueur boursier qui s’est levé trop tôt