Mine de rien, nous sommes pratiquement au milieu de l’année et fondamentalement, j’ai quand même le sentiment qu’on n’est pas plus avancé que le premier janvier. Alors oui, sans Trump, ça serait quand même vachement moins drôle, mais autrement nous en sommes toujours au même stade : personne ne peut dire ce qui va se passer sur les tarifs, personne ne sait quand est-ce que la FED baissera les taux en 2025 – même pas eux – et on ne sait même pas COMBIEN de fois les taux seront baissés. En résumé, et pour faire simple : je n’ai pas le sentiment qu’on y voie plus clair que le 1er janvier. Et visiblement, Powell pense la même chose.
L’Audio du 19 juin 2025
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Quoi de neuf, docteur ?
Donc hier soir, le patron de la FED, Jerome Powell, connu sous le nom de « Too Late » et également pire ennemi de Donald Trump (juste après son égo), a pris une décision dont il a le secret : il n’a rien fait. Il n’a rien fait, mais par contre il a très bien expliqué le pourquoi du comment et ses prévisions sont à peu près aussi claires et fiables que si je vous demande de me dire quel temps il fera le 19 juin, mais le 19 juin 2034. La Fed a donc maintenu les taux inchangés – pour la 4e fois de suite – les taux directeurs de la réserve fédérale américaine restent dans la fourchette 4,25% – 4,50%. Et elle persiste et signe : il n’y a pas d’urgence à baisser les taux vu l’incertitude ambiante, mais cependant ; deux baisses de taux sont toujours dans les tuyaux pour 2025. Du moins… officiellement. Oui, parce qu’il faut bien reconnaître que rien n’empêche Powell de changer complètement son discours au fur et à mesure que l’année avancera. Là, aujourd’hui. Par rapport à ce qu’il sait ; il est « POSSIBLE » qu’il puisse baisser les taux deux fois avant Noël, mais il faut quand même reconnaître que ces baisses à venir ne sont pas gravées dans le marbre et il suffirait de pas grand-chose pour que son discours de dans 3 mois soit aux antipodes de celui d’hier soir.
En effet, cette promesse de baisses à venir ressemble de plus en plus à un vœu pieux. Parce qu’en coulisses, les membres de la Fed sont plus divisés que jamais. 9 d’entre eux pensent qu’on aura une seule baisse ou aucune. Et Powell l’a dit clairement : « Personne à la FED ne tient ces prévisions avec beaucoup de conviction. » En gros, la Fed nous balance une vision du futur sans trop y croire elle-même. Si, si, je vous jure. En dehors de l’annonce que les taux ne bougeront pas d’un iota encore ce mois, les déclarations de Powell ne nous ont absolument rien apporté de nouveau. Les gars de la FED vont continuer à observer et, EN FONCTION de ce qui va se produire ces prochains mois au niveau de l’inflation, de l’économie et des décisions « douanières » de King Donald, Jerome Powell et ses amis prendront des décisions au jour le jour. Sérieusement. Ça fait près de 2 heures que je suis debout et j’ai beau tout relire dans tous les sens encore et encore, j’ai l’impression qu’on nous a donné un beau discours avec des vraies réflexions pour l’avenir tout en affirmant de l’autre côté qu’on a aucune idée de ce que sera l’avenir et que tout dépendra de ce qui va nous tomber sur le coin de la figure.
Powell aurait aussi bien pu venir nous dire : « Je ne fais rien aujourd’hui mais je n’ai aucune putain d’idée de ce que je ferais demain, la semaine prochaine ou même dans six mois, mais comme vous avez vraiment envie que je vous fasse un joli narratif sur ce qui va se passer cet automne, allons-y ». Techniquement le gars aurait aussi bien pu ne rien dire, ça n’aurait strictement rien changé. Le gars avance à tâtons dans le brouillard et n’a absolument aucune idée sur quoi il va marcher dans le 12 prochaines secondes ou les 6 prochains mois, s’en est presque choquant. En même temps, avec Trump au pouvoir, bien malin qui pourrait nous dire de quoi il est capable demain. Même lui ne le sait pas.
Tarifs douaniers + Inflation = cocktail stagflationniste light
Il y a une expression anglaise que l’on utilise souvent pour exprimer quelque chose que l’on préfère ne pas voir ou un sujet que l’on ne veut pas aborder, c’est l’expression : « the elephant in the room ». Dans le cas qui nous occupe aujourd’hui, Trump, c’est le gros, gros éléphant au milieu de la pièce. Tout le monde le voit, tout le monde sait que c’est lui qui fout le merdier partout avec ses droits de douane, mais à la Fed, on préfère parler météo, salaires réels ou de croissance du GDP, plutôt que d’appeler Trump par son prénom. Pourtant c’est bien lui avec sa guerre commerciale qui plonge la FED dans cet épais brouillard qui ferait pâlir de jalousie un automne londonien.
Depuis le fameux “Liberation Day” d’avril, les taxes douanières – ou plutôt les SURTAXES douanières n’ont pas encore vraiment commencé à produire leur effet. Mais pourtant on nous promet une hausse des coûts dès que les entreprises américaines vont cesser d’amortir le choc, on parle de l’anticipation d’une inflation qui va repartir bientôt (mais on ne sait pas quand). Du coup, l’ambiance générale se traduit par une méfiance économique exacerbée, tout en n’ayant aucune idée de ce qui pourrait bien se passer, puisque virtuellement, tout est possible. Si l’on en croit le discours de Jerome, la Fed prévoit désormais une inflation core PCE à 3,1% fin 2025 (contre 2,5% en avril) et une croissance du PIB qui ralentirait à 1,4%. Cerise sur le gâteau : le chômage devrait grimper à 4,5%, signe que le marché du travail n’est plus aussi fort qu’auparavant. Mais Powell temporise et botte en touche en se voulant « rassurant »: ce ne serait pas une vraie stagflation selon lui, car les hausses de prix restent « transitoires » – oups, le fameux transitoire !!! HE DID IT AGAIN !!! – et selon le patron de la FED l’économie reste « solide ». Traduction : on voit la fumée, ça pue le brulé, les canadairs ont déjà décollé et les pompiers sont équipés, mais on n’est pas encore sûrs qu’il y a le feu. Et tant que la baraque n’est pas en train de cramer du sol au plafond ; « y a pas l’feu au lac », comme on dit chez nous !
La Maison Blanche va péter un cable
Pendant ce temps, à la Maison-Blanche, Donald Trump fulmine. Il accuse Powell de saboter volontairement l’économie pour des raisons politiques et va jusqu’à plaisanter sur le fait qu’il devrait lui-même devenir président de la Fed. Une blague qui ferait rire… si elle ne donnait pas aussi des envies de paniquer. Powell, lui, il a répondu de façon assez « smart » : calme, posé, mais chaque mot avait dû extrêmement bien choisi, puisqu’il a quand même expliqué que s’il ne coupait pas les taux, c’était SURTOUT à cause de l’incertitude générée par les tarifs douaniers — autrement dit, Trump lui-même est responsable de l’immobilisme monétaire. Et pan. Dans les dents.
Après, si l’on va plus loin dans les déclarations de Powell, il a aussi parlé de la suite de l’année. Bon. D’accord, c’était pas vraiment convaincant. Mais le gars qui a écrit son discours nous a tout de même laissé de quoi interpréter le message global. Un message que l’on peut interpréter de deux manières :
La façon implicite : « On ne sait pas trop où on va, mais pour l’instant, on tient bon et on y va. »
Et la façon explicite : « On veut bien baisser les taux, mais pas n’importe comment. On veut être sûrs que l’inflation est vraiment en train de baisser – et on est plutôt convaincu qu’elle va remonter d’ici l’automne ».
La Fed est donc dans une attente prudente. Elle sait que le contexte géopolitique (Chine, Iran, pétrole) peut faire flamber l’inflation à tout moment. Elle sait que Trump peut nous refaire un tarif surprise en plein week-end. Et elle sait que le marché obligataire, lui, n’achète pas la panique : les taux longs restent stables voire en hausse. Il n’y a donc pas de panique à Wall Street… pour l’instant. Mais attention aux surprises. Si les prix à la consommation repartent fort à cause du pétrole, ou si les données sur l’emploi dérapent, le scénario des deux baisses de taux pourrait s’évaporer aussi vite qu’une promesse du Président américain.
Conclusion : La Fed est en mode “on temporise jusqu’à ce que ça brûle vraiment, mais en attendant, on temporise”
• Pas de changement de taux, mais une Fed qui se garde toutes les portes ouvertes.
• Deux baisses prévues en 2025, mais plus par principe que par conviction.
• Un Powell lucide, ironique, qui rend Trump responsable du merdier actuel sans jamais le nommer – un numéro d’équilibriste dans le politiquement correct.
• Un marché qui digère l’info sans s’écrouler, mais qui doute quand même un peu à la longue.
• Et un DOT-PLOT qui laisse à penser que la plupart des membres de la FED ne pense même pas à DEUX BAISSES ; mais à une seule. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais.
Le vrai rendez-vous maintenant, c’est septembre. Si d’ici là les chiffres sont corrects, on pourra parler de baisse. Sinon, préparez-vous à une fin d’année où la Fed jouera encore les gardiens de la stabilité dans un monde instable. Sans oublier qu’entre les deux, il y aura Jackson Hole et un autre FOMC Meeting le 29 et 30 juillet, mais qui oserait penser que la FED puisse « faire quelque chose » au milieu de la chaleur de l’été.
Et après quoi ?
Donc voilà, hier nous nous sommes levés pour aller écouter Powell et nous l’avons entendu hier soir. Et après l’avoir entendu, on s’est dit qu’on aurait mieux fait de rester couché. Les marchés n’ont strictement rien foutu en attendant Powell, ils n’ont rien foutu pendant que Powell parlait – parce qu’on ne peut pas faire deux choses à la fois – et ensuite on n’a rien foutu jusqu’à la clôture parce qu’on n’a rien appris de neuf et qu’en plus, jeudi les marchés américains sont fermés pour cause de Juneteenth. On a donc vécu une de ces journées totalement inutiles où l’on se demande même pourquoi on avait tellement attendu de voir ce que Powell nous dirait, sachant qu’il ne nous dirait rien. Le S&P500 a terminé en baisse de 0.03% et le Nasdaq était en pleine bourre avec une hausse de 0.13% de la FOLIE !!! En Europe c’était pas mieux avec l’Allemagne qui reculait de 0.5% en attendant ; je cite : « des nouvelles de la politique monétaire US » – ils ne vont pas être déçus d’avoir attendu pour rien ce matin – et la France faisait pareil, mais ne reculait « que » de 0.36%.
Bref, une fois la thématique de la politique monétaire laissée derrière nous, il ne restait plus qu’une chose à gérer : la guerre entre l’Iran et Israël. Et là aussi, ça passe par Trump. La guerre vient de monter d’un cran. Et cette fois, ce n’est pas une simple salve de missiles de plus. C’est un virage potentiellement explosif, puisque Trump envisage publiquement de s’impliquer militairement aux côtés d’Israël. Initialement, la Maison-Blanche jouait la carte du « ce n’est pas notre guerre ». Mais depuis que Trump a quitté prématurément le sommet du G7 au Canada, les signaux ont changé de ton. Des voix influentes, à l’intérieur et à l’extérieur de l’administration, laissent entendre que l’engagement militaire des États-Unis est sérieusement sur la table.
Communication explosive, conséquences réelles
Trump, fidèle à lui-même, a balancé ses menaces sur les réseaux sociaux :
• Il qualifie l’ayatollah Khamenei de « cible facile » – mais précise qu’il ne le tuera pas « du moins pas encore ».
• Il exige la « reddition sans condition » de l’Iran.
• Et dans la foulée, il convoque son équipe de sécurité nationale en salle de crise pendant plus d’une heure.
Et là, que fait l’Iran ? Elle observe, elle calcule. Et elle commence à se dire que si les États-Unis vont frapper, autant tirer les premiers. Comme l’expliquait un expert ces derniers jours, : « Si ta vie va devenir un enfer de toute façon, tu préfères choisir le moment où l’enfer commence. » Mais entre deux, l’Iran joue aussi à « ça s’en va et ça revient sur X », puisqu’un jour ils veulent aller à Washington pour négocier et le lendemain, voire même l’heure d’après, ils menacent ouvertement les USA – en fait l’Iran c’est Trump avec un turban sur la tête et une robe taillée dans les rideaux du salon en guise de costard.
Trump semble s’inspirer de la « madman theory » : faire croire à ses ennemis qu’il est imprévisible, voire dangereux, pour les dissuader. C’est une tactique qui avait été utilisée par Nixon en son temps. Sauf que là, si l’on veut faire croire à l’ennemi que Trump est imprévisible, voire dangereux, ça va surprendre qui ? Sauf que bon, avec l’Iran, ça risque d’être contre-productif. Plus Trump souffle le chaud, plus les Iraniens pourraient se sentir obligés d’en découdre, de montrer qu’ils sont « plus fous que les fous ». On est bien entouré.
Le Président américain se retrouve donc dans une posture paradoxale : il dit vouloir un cessez-le-feu, mais fait tout pour le rendre impossible.
• S’il bluffe : il déstabilise tout le monde, sans contrôle sur les réactions.
• S’il ne bluffe pas : c’est un engrenage militaire sans issue claire, surtout face à un pays de 90 millions d’habitants, très différent de l’Irak 2003.
En face, l’Iran se demande si un deal avec Trump a encore un sens, ou s’il faut au contraire l’amener à un point de rupture. Le monde est suspendu à une ambiguïté volontaire : Trump est-il fou… ou seulement un fin stratège ? Et les marchés ? Pour l’instant, ils tentent de garder leur sang-froid. Mais si une seule roquette atterrit sur un tanker dans le détroit d’Hormuz, la donne change et on va reparler pétrole à 100 dollars, l’inflation qui redémarre et la Fed rangera ses deux baisses de taux pour l’année – 2025 sera plié avant l’heure.
Et pendant ce temps-là
Ce matin c’est le rouge qui domine sur les écrans, les traders transpirent à Tokyo, à Hong Kong et même à Jakarta. Pourquoi ? Parce que le spectre d’un conflit direct entre les États-Unis et l’Iran devient très réel. D’après Bloomberg, Washington prépare un éventuel bombardement sur l’Iran dès ce week-end. Rien d’officiel, évidemment. Mais dans la bouche de Trump, le conditionnel a toujours un petit goût de « Je le ferai, mais je veux que tu me supplies de ne pas le faire. » Et là, il a déclaré qu’il décidera « une seconde avant ». Merci pour la sérénité… Résultat : Hong Kong : -1%, Tokyo : -0,7% sur le Nikkei, -0,6% sur le Topix et la Chine recule de 0.3%, pendant que les futures américains préparent la séance de vendredi avec une baisse de 0.13% à l’heure où je vous parle.
Dans cet environnement, le baril n’a pas le choix et se traite à 73.40$, l’or est à 3’390$ et refuse de battre son propre record. Le Bitcoin est à 104’860$ et le rendement du 10 ans est à 4.396%. Pour le reste, on va parler de la BNS – vu que les Ricains ne sont pas là – La Banque Nationale Suisse s’apprête à baisser ses taux à zéro ce jeudi, et le mot « taux négatifs » commence déjà à ressortir du placard. En mai, l’inflation est redevenue négative, tirée vers le bas par la force du franc et la chute de l’énergie. Problème : une devise trop forte flingue les exportations, mais dévaluer le franc serait vu d’un mauvais œil par Washington. Or la Suisse veut éviter de fâcher Trump, surtout avec 31% de droits de douane qui pendent au nez. Résultat : la BNS marche sur des œufs, avec un œil sur les taux… et l’autre sur la Maison-Blanche. Réponse « un peu plus claire » dans la journée.
Voilà, la FED d’hier, les vacances d’aujourd’hui, la guerre de ce week-end et la triple échéance de demain. C’est ainsi que l’on peut résumer nos 24 dernières heures et nos 48 prochaines heures. On se revoit demain pour faire le point et en attendant : soyez forts, rationnels et surtout optimistes, c’est important l’optimisme !!!
À demain et très bonne journée !
Thomas Veillet
Investir.ch
« Quand la banque centrale navigue à vue, que le Président joue au poker avec l’Iran, et que le franc suisse prends des stéroïdes … tu te dis que finalement, le seul truc stable, c’est l’instabilité. »
Un type ordinaire dans un monde extraordinaire