Les marchés sont en pleine confiance et si on avait besoin de vérifier la chose, il suffit tout simplement de revenir sur ces 11 derniers jours. Depuis le 1er août. Au-delà des 39% de taxes sur les exportations suisses qui bloquent tout le monde, il faut quand même se souvenir que les chiffres de l’emploi étaient immondes et pas seulement ceux du mois dernier. Et qu’en plus, la semaine dernière, nous avons eu l’ISM qui était pas terrible et qui hurlait « contraction » de toute la force de ses poumons. Pourtant, les indices américains sont au plus haut de tous les temps. Mais cette semaine, nous allons faire face aux chiffres de l’inflation. Et c’est là qu’on pourrait parler STAGFLATION LITE.

L’Audio du 11 août 2025

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Le mot qu’il ne faut pas dire

Bienvenue dans la stagflation lite : la version allégée du cauchemar économique. Pas assez pour tout casser, mais assez pour vous empêcher de dormir tranquille : la croissance mollit, les prix font de la résistance, et la Fed se demande si elle doit appuyer sur l’accélérateur… ou sur le frein.

Oui, peu importe comment on veut prendre les choses, si le chiffre qui sera publié demain sort au-dessus des attentes, il ne faudra pas y aller par quatre chemins et tout ça pourra très vite tourner en « reality check » pour les investisseurs que nous sommes. Le scénario qui inquiète le plus serait la stagflation « lite».

Quand on parle de “stagflation” tout court, on parle du scénario économique cauchemardesque : croissance économique à l’arrêt (voire en récession), chômage en hausse, et inflation élevée et persistante. C’est la double peine pour les décideurs (Powell et ses amis. Enfin, ceux qui restent) : si tu baisses les taux pour relancer la croissance, tu alimentes l’inflation ; si tu serres la vis pour calmer les prix, tu tues encore plus l’activité. C’est ce qu’on a connu dans les années 70, avec le choc pétrolier : un mélange de prix qui flambent, d’économie qui cale, et de chômage qui explose.

Stagflation Lite

La stagflation “lite”, c’est une version atténuée du scénario.

• La croissance ralentit, mais ne s’effondre pas. On reste techniquement en expansion, mais à un rythme mollasson (1 à 2% annualisé par exemple).
• L’inflation n’explose pas, mais elle reste au-dessus de la cible de la banque centrale (dans le cas actuel, autour de 3% au lieu de 2%).
• Le chômage monte légèrement, mais reste historiquement bas (par exemple ; passer de 3,5% à 4,2%, ce qui est haut pour la période mais bas historiquement).

En clair : ce n’est pas la crise ouverte, mais c’est un environnement économique qui “mange” la marge de manœuvre des banques centrales.

• Si la FED baisse les taux trop vite → elle risque de relancer l’inflation. (c’est méthode Trump et ses amis comme Miran)
• Si la FED ne baisse pas les taux et privilégie l’immobilisme → elle risque d’accentuer le ralentissement et de gripper le marché de l’emploi. (c’est la méthode Powell et ses amis – ceux qui sont encore ses amis et qui ne parient pas sur son départ avant le mois de mai 2026).

Dans la situation US actuelle, le mot “lite” vient du fait que :

1. L’inflation n’est pas hors de contrôle (on est loin des 10% des années 70).
2. Le chômage reste bas, même s’il a légèrement remonté.
3. La croissance n’est pas encore négative, mais elle perd du souffle.

Donc, on est dans un entre-deux : pas assez grave pour parler de vraie stagflation, mais suffisamment inconfortable pour que la Fed se retrouve avec des décisions impossibles à prendre… et un marché qui risque de passer en mode volatil dès que la réalité économique fera irruption dans la fête.

Powell, toujours la prudence

Dans cet environnement actuel, Powell joue la prudence et espère que l’effet des tarifs Trump sera passager… mais admet qu’il pourrait durer – en gros, il n’en sait STRICTEMENT rien et nous non plus. On navigue à vue et il y a un paquet de nuages qui ne nous rendent pas la tâche la plus facile. Pendant ce temps, entre 90 et 95% du marché parie encore sur une baisse de taux en septembre, même si Michelle Bowman, ce week-end, poussait pour agir encore plus vite et encore plus fort. Et ça c’est peut-être un nouveau joker pour Trump dans la guerre de tranchées qu’il mène contre la FED. Et surtout contre Powell.

La semaine dernière, on l’a vu, Trump a placé son agent infiltré dans les murs de la FED. Stephen Miran a été désigné comme « l’élu » pour remplacer Adrian Kugler qui a décidé de retourner à l’Université pour expliquer aux futurs Hedge Funds manager comment la FED fonctionne. Miran est un homme de Trump qui bosse déjà en tant que patron du Conseil Économique de la Maison Blanche. En gros, les gars qui brassent de l’air, pour que Trump ne les écoute pas à la fin. Et Miran pourrait être celui qui mette la pression sur Powell. Oui, parce qu’aujourd’hui nous avons Bowman et Waller qui insistaient pour baisser les taux lors du dernier FOMC Meeting – le début de la scission – et qu’avec l’arrivée de Miran dans le Board of Governors de la FED, il n’y a plus d’union… Si l’on tient compte de ce qu’il s’est dit lors du dernier meeting de la FED, il y a 3 membres qui veulent baisser les taux VITE et 3 qui « suivent » Powell dans son attentisme. Pour le moment. Après, il reste bien sûr les 5 autres membres votants, mais si les 7 disent qu’il faut couper, ils sont majoritaires et c’est plié… Bref, tout ça pour dire que cette semaine, entre CPI qui pourrait faire mal et la FED qui est en train de se repenser de l’intérieur, ces prochains jours pourraient être plus qu’intéressants.

En résumé : pour l’instant, les marchés surfent sur l’optimisme. Mais mardi, le CPI dira si on reste dans la fête… ou si on commence à ranger les coupes de champagne.

Encore une semaine de tous les dangers

En ce lundi matin, on attend donc tous le chiffre de demain. Les futures sont déjà orientés à la hausse, mais ça ne devrait pas être LA SÉANCE de l’année en termes de volumes et d’excitation. On « sait » plus ou moins que le CPI qui sortira demain ne captera pas encore l’effet complet des nouveaux tarifs entrés en vigueur jeudi dernier. L’impact pourrait d’abord apparaître dans le PPI qui est attendu jeudi, avec +0,4% sur le global et +0,5% sur le core. Si ça sort plus haut que prévu, la Fed aura moins de marge pour baisser ses taux dès septembre. Pour l’instant, le marché y croit encore dur comme fer, mais l’arrivée des taxes douanières et son impact sur l’inflation reste un mystère. On sait qu’en « théorie » ça a de l’impact, mais comme on sait aussi que le travail du BLS a été remis en question par Trump depuis 10 jours, vous reconnaitrez qu’il y a de quoi se poser des questions.

Côté obligations, prudence : les adjudications de Treasuries ont été molles, rappelant que la dette US reste énorme et que les rendements pourraient vite remonter si les investisseurs demandent plus de primes de risque. Et pourtant… Wall Street est euphorique et reste EUPHORIQUE. Oh bien sûr, il y a bien des banques d’affaires qui prévoient une correction de 7 à 15% cet automne et qui recommandent de se protéger sur l’IA avec des puts, mais pour être franc, on a quand même l’impression que personne n’y croit. À moins que la formule correcte soit : PERSONNE NE VEUT Y CROIRE. Et puisque l’on parle d’IA, parlons de Nvidia : la star pèse désormais 8% du S&P 500, un record historique depuis 1981. Apple n’avait atteint “que” 7% en 2023. Même à l’époque de la bulle internet, Microsoft et General Electric plafonnaient à 4%. Autrement dit, jamais une seule boîte n’a eu autant de poids dans l’indice. Je ne sais pas si c’est important, mais il faut le savoir et c’est énorme.

En résumé, c’est cher, c’est haut, c’est très cher et c’est très haut si l’on parle de Palantir par exemple. Mais les marchés continuent de monter et refusent de rendre les armes même si l’emploi se dégrade, même si l’inflation ne veut pas baisser, la seule chose qui nous intéresse c’est de savoir si la FED va baisser les taux et à moins d’une inflation extrêmement forte et de signes évident que les droits douane vont lui faire encore plus de mal en août, on ne voit pas comment Powell va faire pour tenir encore plus la pression. Le marché devrait donc avoir ce qu’il veut pour satisfaire sa faim de justifications haussières. Après, il faudra monitorer l’état de santé de l’économie, mais ça, ça sera pour le mois d’octobre. Et octobre, c’est dans HYPER-LONGTEMPS. Octobre c’est aussi le mois des krachs. Mais on n’est pas là pour gâcher la fête.

Et l’Asie retient son souffle

L’Asie démarre la semaine en apnée : tout le monde attend de voir si la trêve tarifaire US–Chine sera prolongée ou va nous péter à la figure, pendant que l’Australie, elle, s’offre un record boursier en pariant sur un cadeau de la part de sa banque centrale. Ce lundi, les marchés asiatiques ont démarré en mode pause café : pas grand-chose à signaler, volumes faibles (jour férié au Japon) et investisseurs en mode attente avant l’échéance cruciale du “tariff truce” USA–Chine prévue… demain… Cette trêve, qui empêche les droits de douane de s’envoler, pourrait être prolongée… ou pas. C’est encore une fois Trump qui a la main et on ne sait pas si c’est rassurant ou pas. Une chose est sûre, c’est que si vous aimez les sensations fortes et le suspense insoutenable, c’est la semaine qu’il vous faut. En attendant, les exportateurs chinois n’ont pas traîné : les exportations de juillet bondissent de +7,2% sur un an, probablement pour expédier un maximum de marchandises avant un possible retour des hausses de tarifs.

Côté indices, la Chine ne fait rien et Hong Kong non-plus. Le dossier corporate du jour, c’est SK Hynix qui prend 3% après avoir annoncé que le marché des puces mémoire pour l’IA pourrait croître de 30% par an d’ici 2030. On l’avait pas vu venir celle-là… Il paraît aussi que l’eau ça mouille, mais ça reste à vérifier. En Australie – on en parle, une fois n’est pas coutume – tout le monde parie sur une baisse de taux. Pendant que l’Asie piétine, Sydney a pris +0,5% pour atteindre un record historique, porté par les attentes d’une baisse de taux de la RBA demain. Le marché anticipe une baisse de 0.25% pour ramener le taux directeur à 3,60%, justifié par une inflation molle et un marché de l’emploi qui commence à refroidir. Au moins l’inflation est molle là-bas… Le pétrole s’enfonce à 63.50$ et il est plus devenu un indicateur géopolitique qu’autre chose en ce moment – surtout depuis que Trump a dit qu’une baisse de 10$ mettrait Poutine à genoux. Depuis qu’il l’a dit, on en a perdu 6, de dollars. Personne n’ose racheter – surtout en attendant le meeting du 15 entre les deux rois du monde en Alaska. L’or cherche à tester ses plus hauts historiques pour la 5ème fois et se traite à 3’438$. Le Bitcoin est à 121’700$ au plus haut de tous les temps… Maintenant qu’il va pouvoir rentrer dans les caisses de retraites américaines, il n’y a plus de questions à se poser. Et si ça intéresse encore quelqu’un, le rendement du 10 ans US est à 4.27%.

Les nouvelles du jour

Pour commencer au chapitre « nouvelles du jour », on va un peu parler IA pour changer, puisque Nvidia se retrouve une nouvelle fois au cœur du bras de fer techno entre Washington et Pékin. Ce week-end, les médias chinois ont accusé les puces H20 de Nvidia – conçues spécialement pour contourner les restrictions américaines à l’export – d’être non seulement technologiquement dépassées et pas écolo, mais aussi dangereuses, en affirmant qu’elles pourraient contenir un “backdoor” permettant un arrêt à distance. En gros, un « kill switch » intégré.

Réponse immédiate de Nvidia : “Faux. Pas de backdoor chez nous. Point.” L’entreprise rappelle que la cybersécurité est critique et qu’elle ne fabrique pas de puces pouvant être désactivées à distance.

Cette polémique intervient alors que :

• Les ventes d’H20 viennent tout juste de reprendre après un bannissement imposé en avril par l’administration Trump.
• Les H20 sont des versions “dégradées” des H100/B100, créées pour satisfaire les règles d’export US de fin 2023.
• Nvidia a déjà passé une provision de 4,5 milliards de dollars sur les stocks invendus d’H20 et estime avoir perdu 8 milliards de revenus potentiels sur le trimestre à cause des restrictions.

Pendant ce temps, Pékin pousse pour que Washington allège ses contrôles sur les mémoires haut débit dans le cadre des négociations commerciales, alors qu’un sommet Trump–Xi pourrait avoir lieu – mais ça reste un serpent de mer – Jensen Huang, le boss de Nvidia, joue sur deux tableaux : soutien affiché à Trump tout en plaidant pour pouvoir vendre des puces plus puissantes en Chine, convaincu que “si nos puces deviennent la norme mondiale, c’est l’Amérique qui garde la main sur l’IA”.

L’incroyable deal

La nouvelle de ce lundi devrait indubitablement être l’annonce que Nvidia et AMD qui vont payer une taxe sur leurs revenus générés par les exportations en direction de la Chine. Dans le sillage de l’affaire des médias chinois qui râlent contre les puces de Nvidia, Washington vient d’inventer la taxe 3.0 : Nvidia et AMD viennent d’obtenir des licences d’export pour vendre leurs puces IA H20 (Nvidia) et MI308 (AMD) en Chine. Super nouvelle… sauf que c’est sous condition de lâcher 15 % de leurs revenus chinois à l’oncle Sam. Et là, on parle bien de chiffre d’affaires, pas de bénéfices.

Aucun groupe américain n’avait encore accepté de partager ses recettes avec le gouvernement juste pour obtenir un permis de vente. Les analystes appellent ça un “partenariat public-privé”. Certains préfèrent le terme de « racket » — le bon vieux racket mafieux, mais version diplomatie techno et Make America Great again. C’est énorme parce que le marché chinois est vital pour les deux géants. Pour Nvidia, les ventes H20 en Chine devraient vraiment décoller l’an prochain et booster les résultats. Pour AMD, certains estiment que la Chine pourrait rapporter jusqu’à 3 milliards de dollars par trimestre. Sauf que maintenant, avant même de payer les salaires, les usines ou les actionnaires… il faudra passer à la caisse de Washington. Traduction géopolitique : ce n’est pas qu’une histoire de business, c’est aussi un coup de pression dans la guerre technologique USA–Chine. Les Américains verrouillent l’accès à leurs puces les plus avancées, mais ne veulent pas non plus laisser les milliards chinois filer sans en croquer au passage.

Le reste

Pour ce lundi matin bien chargé en termes de réflexion, il n’y aura pas de chiffres macro dignes de ce nom. Du côté des publications trimestrielles, ça se calme et c’est pas ce lundi qu’on va s’exciter et pour faire simple on va surtout réfléchir à des multiples scénarios pour les chiffres de demain !

Demain, c’est simple : soit le CPI joue les figurants et on continue à boire du champagne, soit il pète un câble et Powell se retrouve à devoir choisir entre flinguer l’économie ou flinguer sa crédibilité. Et là, avec Trump qui lui souffle dans la nuque et Miran prêt à lui tirer la chaise, Powell est peut-être en train de vivre ses derniers mois de paix relative… et demain, le CPI pourrait être le premier coup de tonnerre.

Excellent début de semaine à tous et on se voit mercredi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“If stock market experts were so expert, they would be buying stock, not selling advice »

Norman Ralph Augustine