Jackson Hole c’est censé être la colonie de vacances des banquiers centraux : on parle un peu d’économie en se baladant dans les champs et on fait une randonnée devant les montagnes du Wyoming. Sauf que cette année, il n’y pas eu de rando. L’ambiance était tendue. Au-delà du fait qu’aucune décision ne serait prise, les participants se devaient d’affirmer leur indépendance, surtout depuis que Trump s’en prend à la FED environ toutes les cinq minutes. Powell a tenté de faire croire qu’il contrôle encore la situation. Vendredi le patron de la FED a ouvert la porte à une baisse des taux – ce que le marché voulait entendre – de quoi célébrer. Mais pourtant il n’a jamais semblé aussi fragile.

L’Audio du 25 août 2025

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Indépendance et porte ouverte

Sur scène à Jackson Hole, Powell a avoué que le risque sur l’emploi devenait plus préoccupant. L’économie US ralentit, le marché du travail n’est pas au mieux, mais l’inflation persiste. Et pour couronner le tout, les tarifs douaniers de Trump se voient déjà dans les prix. Powell a bien tenté de le minimiser en parlant d’un effet « court », mais pour l’instant, on ne va pas se leurrer, l’effet inflationniste des droits de douane est bien présent et ça ne va pas aider à ramener le CPI ou le PCE en direction des 2% tant espérés par la FED.

Résultat : il doit jongler entre une inflation qui refuse de retourner au panier et un marché du travail qui commence à donner des signes de fatigue. Mais si l’on se place du côté des marchés, ils ont eu ce qu’ils voulaient. Ils voulaient avoir confirmation comme quoi la FED allait bien baisser les taux en septembre. Les plus pinailleurs admettront qu’il n’a pas donné la moindre confirmation officielle, mais Powell a laissé la porte grande ouverte et ça a largement suffi pour déclencher un rallye de fin de semaine qui a effacé tous les doutes que nous avions mis sur la table depuis lundi dernier. Encore une fois, les marchés ont su trouver l’argumentaire pour se motiver au milieu du discours de Powell. Il faut dire que nous sommes experts en la matière, puisque cela fait bientôt près de 2 ans que nous montons en s’accrochant au fait que les taux baisseront, mais plus tard. Un autre jour, une autre semaine, un autre FOMC Meeting.

Le grand jeu de septembre

Cett efois, nous nous sommes concentrés sur le mois qui arrive. On ne va pas se précipiter tant notre vision est devenue « court termiste ». Même Powell l’a dit dans son discours ; il veut bien baisser les taux, mais il doit encore tenir compte des chiffres économiques qui vont sortir avant le 17 septembre. Et il y aura de quoi faire, puisque dès ce vendredi, nous aurons les chiffres du PCE – histoire de remettre la thématique de l’inflation sur la table – et dès la semaine prochaine, on va parler de l’emploi, sans compter que le 11 septembre, les chiffres du CPI seront également de sortie. Pour le moment, les chiffres économiques à venir ne sont pas une préoccupation immédiate, puisque la seule chose qui compte, c’est l’espoir de voir une baisse des taux en septembre et puis c’est tout.

Aujourd’hui, si l’on prend 30 centimètres de recul par rapport à ce qui se passe, il n’y pas besoin d’avoir fait 15 ans d’études uniquement sur l’inflation pour se rendre compte que l’équation n’est pas simple et que la décision des banquiers centraux américains n’est pas facile. Ce week-end, même Bloomberg commençait à se dire que la baisse du mois de septembre ne va pas non plus être très facile à justifier. En effet, les sociétés commencent à faire passer le surcoût des tarifs directement aux consommateurs, ça ne va pas être simple de trouver logique baisser les taux alors que l’inflation repart comme une balle. Les prochaines données économiques seront donc visiblement décisives. Mais en attendant, au-delà de l’état de l’économie dans son ensemble, les marchés financiers, le monde de l’investissement, eux, ils avaient besoin de trouver des raisons pour recommencer à monter. Et les mots de Powell ont visiblement suffit à tout le monde pour venir racheter des Magnificent Seven, puisque dès qu’on parle Bull Market et records historiques, c’est la seule chose qui nous passe par la tête.

L’indépendance en question

Et puis, tirer des plans sur la comète pour parler de l’avenir des taux et chercher à savoir si le S&P500 va atteindre les 7’000 avant la fin de l’année, c’est bien sympathique, mais le symposium de Jackson Hole a aussi permis aux banquiers centraux de parler de leur indépendance. Alors oui, ça n’était pas dans le discours officiel de Powell, mais Largarde l’a tout de même mentionné, mentionné le fait que : « « L’indépendance de toute banque centrale est d’une importance cruciale. » – nul besoin de suivre attentivement les comptes de Trump sur les réseaux sociaux pour comprendre que la remarque de la patronne de la BCE pointe directement aux agissements de Trump contre la FED. Trump qui ne laisse aucun répit à Powell, puisqu’il veut virer Lisa Cook, gouverneure de la Fed, sur fond d’accusations de fraude. Un activiste pro-Trump a même dû être sorti manu militari du lodge où se déroulait le symposium après avoir tenté de l’agresser verbalement. Powell, lui, tente de sauver la face – tout en se prenant des boulets de canon politiques en pleine figure. Et ça ne va pas s’arrêter là. Même si Powell baisse EFFECTIVEMENT les taux le 17 septembre, je peux vous jurer que Trump va hurler à la mort parce que 25 basis point, ça ne sera pas assez !

Bref, on connait l’histoire et il n’y a pas eu non plus de grosse révolution qui a été annoncée la semaine dernière. La seule chose que l’on retiendra c’est que Powell s’est montré tendanciellement DOVISH, mais sans garantie et ça a totalement suffit au marché pour péter les plombs à la hausse encore une fois. Pourtant, si l’on gratte un peu dans les chiffres économiques et si l’on accepte de leur donner un peu de crédit, la semaine dernière, les chiffres du PMI nous ont quand même montré que ça allait plutôt pas mal au niveau économique et lorsque l’on observe les chiffres des Retailers, c’est pas la folie, mais le consommateur dégaine toujours sa carte de crédit. Alors, imaginez un scénario qui nous donnerait un PIB US moins moche que celui du premier semestre – chiffre qui sortira ce jeudi – et imaginez un PCE qui sortirait à 3% ce vendredi. Sans oublier la Confiance du Consommateur qui sortira demain qui consoliderait, sans empirer… Comment est-ce que la FED pourrait justifier une baisse des taux alors que l’inflation repart et que l’économie semble en forme ? Le juge de paix pourrait bien être les chiffres de l’emploi qui sortiront la semaine prochaine. En attendant, les bourses restent complaisantes et le « buy the dip » reste la stratégie la plus pratiquée en ce moment. En conclusion, Powell a ouvert une porte vendredi dernier, mais comme on ne sait pas s’il joue le rôle du pompier ou du pyromane, on va encore se poser des questions pendant trois semaines et je pense qu’il y aura encore des surprises et de nouvelles interprétations à se mettre sous la dent.

Une nouvelle semaine qui commence

En résumé, Jackson Hole, c’est derrière nous. Actuellement, on donne 85% de chances (plus ou moins) de voir une baisse des taux en septembre. Et ça suffit au marché pour atteindre des records. Ça n’est pas encore fait sur le Nasdaq, puisque certains Magnificent Seven sont encore en convalescence – mais en même temps, cette semaine c’est la semaine du trimestre, puisque Nvidia va publier ses chiffres trimestriels mercredi soir. Alors autant vous dire que taux d’intérêt ou pas, Meeting du 17 septembre ou pas et licenciement de Lisa Cook pour la remplacer par un cinglé qui a appris l’économie dans « The Apprentice », si Nvidia nous fait un truc, tout peut arriver. Entre le poids que ça représente dans les indices et la « hype » qui gravite autour, mercredi soir sera clairement le moment le plus intéressante de la semaine.

On va donc se garder Nvidia dans un coin, pour plus tard dans la semaine, mais demain matin à 6 heures du matin, je publierai une vidéo sur tout ce que vous devez attendre pour les chiffres de Nvidia de mercredi soir – la vidéo sera dispo sur Investir.ch et vous pourrez également la retrouver sur la chaîne YouTube Swissquote en français… On en reparle donc demain. Mais mis à part ça, la semaine sera longue et tortueuse et les valses des chiffres économiques ne font que commencer entre demain et la confiance du consommateur, jusqu’au 11 septembre, avec le CPI. En passant par le PCE, les NFP’s et les JOLTS, il y aura de quoi écrire une encyclopédie sur le sujet. Mais pour l’instant, il ne faut retenir qu’une chose : le marché est résolument bullish et ne cherche QUE la bonne nouvelle.

Et ce matin à l’autre bout du monde

Ce lundi matin, les Bourses asiatiques ont le sourire, et pour une fois, ce n’était pas à cause d’un miracle économique local, mais bien grâce à Jerome Powell encore lui. Comme vendredi le patron de la Fed a fait ce qu’il fait de mieux : parler assez vaguement pour qu’on y entende ce qu’on veut. Le S&P est au plus haut et on ne parle que de baisse de taux à venir, ça, vous l’aurez compris. Alors évidement, quand Wall Street saute de joie, l’Asie suit le mouvement.
Mais cette fois, l’histoire a pris une tournure particulière : la Chine et Hong Kong ont un peu volé la vedette aux Américains. Le CSI 300 est en train de s’approcher de niveaux qu’on n’avait plus vu depuis 2022. Le Hang Seng est au plus haut depuis quatre ans. Tout ça parce que les investisseurs ont trouvé un nouveau jouet : les puces chinoises. Pékin martèle son discours sur “l’indépendance technologique”, les développeurs d’IA locaux jurent que leurs modèles tournent mieux sur des semi-conducteurs made in China, et du coup, tout le monde se rue dessus. SMIC, le mastodonte local, s’envole de 6 %. Hua Hong tutoie des plus hauts de quatre ans et Cambricon, spécialiste des puces IA, explose littéralement un record historique. Ici, la consigne est claire : “consommez chinois”.

Autour, les autres places asiatiques suivent le mouvement, mais sans éclat. Le Japon grappille, la Corée grimpe d’un bon 1 %, Singapour et l’Australie vivotent, et l’Inde fait bande à part : ses futures reculent, plombés par la perspective des 50 % de tarifs américains qui tombent cette semaine. En Asie, l’humeur du jour, c’est un mélange de rêve américain (merci Powell et ses baisses de taux à venir – peut-être) et de fierté technologique chinoise. Et tant pis si, derrière, l’inflation rôde, Trump menace, et que le décor ressemble plus à une poudrière qu’à un long fleuve tranquille. Le pétrole est à 63.77$, l’or est à 3412$, le Bitcoin est à 113’000$ et le rendement du 10 ans US est à 4.27%.

Des news

On notera encore que vendredi, Trump a frappé fort : l’État américain détient désormais 10% d’Intel, le dernier bastion des semi-conducteurs made in USA. Coût officiel : 8,9 milliards de dollars, payés avec des subventions du CHIPS Act et d’autres programmes déjà prévus. En clair : pas de cadeau, mais une prise de participation directe. Intel assure que le gouvernement n’aura pas de siège ni de pouvoir de gestion. Mais le symbole est énorme : Washington ne se contente plus de subventionner, il devient propriétaire. Pourquoi ? Parce qu’Intel reste la seule alternative à TSMC. Problème : ses usines phares dans l’Ohio ne verront le jour qu’en 2030, et technologiquement, le retard reste criant. SoftBank a mis 2 milliards de plus, preuve qu’il y a encore des gens qui y croient, mais la réalité est plus simple : Trump transforme les puces en enjeu géopolitique. Reste à voir si cet investissement sauvera Intel… ou si l’Amérique vient juste d’acheter à prix fort un rêve encore lointain. Mais une chose est sûre, ça pourrait bien ne pas s’arrêter à Intel, puisque Micron est toujours sur les rangs.

Autrement, on parle deal transcontinental ce matin – Selon le Wall Street Journal, Keurig Dr Pepper serait sur le point de signer un méga deal de 18 milliards de dollars pour avaler le néerlandais JDE Peet’s – le groupe derrière L’Or ou Tassimo ou encore Douwe Egberts.
Mais attention : l’idée ne serait pas de mélanger sodas et cappuccinos pour l’éternité. Une fois le mariage consommé, les deux mastodontes envisageraient de séparer les activités café et boissons. Bref, un mariage blanc à Las Vegas, suivi d’un divorce arrangé. En chiffres : JDE Peet’s pèse environ 15 milliards de dollars en Bourse, Keurig Dr Pepper autour de 50 milliards. Le café européen se défend plutôt bien : résultat opérationnel de 709 millions d’euros au premier semestre, au-dessus des attentes, malgré la flambée des prix du café.
Et côté soda, KDP continue de muscler son portefeuille. L’an dernier, ils se sont payés 60 % de Ghost Energy pour 990 millions de dollars, avec une option pour ramasser le reste d’ici 2028. Objectif : avoir aussi bien ton espresso du matin que ta boisson énergisante de l’après-midi.

Les chiffres et le reste

Côté chiffres du jour, nous aurons les chiffres de l’emploi en Suisse, les Business Expectations et l’IFO en Allemagne. Et puis nous aurons les permis de construire et les New Homes Sales aux USA. Pour l’instant, les futures sont légèrement en baisse et tout le monde retient son souffle pour une semaine qui pourrait être spectaculaire et annoncer (peut-être) le retour de la volatilité. On notera, sans spoiler la vidéo de demain, que les traders options s’attendent quand même à une variation de 6 à7% sur la publication des chiffres de Nvidia… et une variation de 6 à 7% sur un truc qui représente bientôt 10% du S&P500, ça pourrait être sport. Je dis bien : POURRAIT…

En résumé : Powell a ouvert une porte, les marchés se sont engouffrés dedans, et nous voilà repartis à courir derrière l’espoir d’une baisse de taux comme des gamins après un camion de glaces. Mais derrière les soupirs de soulagement, l’équation reste explosive : inflation qui résiste, emploi qui interroge, Trump qui souffle sur les braises et qui remue dans tous les sens. Septembre sera décisif – enfin, pourrait être décisif, reste à voir la décision… et d’ici là, on va continuer à s’inventer des raisons d’être bullish. La vraie question est simple : est-ce que Powell est pompier… ou pyromane ?

Belle journée à tous, bon début de semaine et on se voit demain à 6h00 du matin pour faire le point sur Nvidia.

À demain !

Thomas Veillet
Investir.ch

« Until you value yourself, you will not value your time. Until you value your time, you will not do anything with it” – Scott Peck