Mesdames et messieurs, c’est aujourd’hui le grand jour, le très grand jour. Le jour de la grande messe de Jerome Powell. Ce soir, à 20h, on va avoir droit au numéro habituel : discours monocorde, regards fuyants, et cette phrase culte, toujours la même, que tu pourrais mettre sur un t-shirt : « Nous restons dépendants des données. » Traduction libre : « On fait au jour le jour, et si ça foire, c’est la faute des chiffres. » Pour autant que les chiffres soient justes. ON sait tous que Powell va baisser les taux de 0.25%. Pas de suspense, pas de surprise, même les pigeons de Central Park sont au courant.

L’Audio du 17 septembre 2025

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Lundi euphorie, mardi gueule de bois

Ça fait trois semaines que l’on ne vit que dans la perspective de la baisse des taux et soudainement, hier, on s’est crispé. Pour bien comprendre, il faut rappeler rapidement ce qui s’est passé depuis le début de la semaine. Peut-être même depuis le début du mois.

Vous l’avez tous compris, cela fait maintenant des semaines que nous avons des œillères et que nous sommes incapables d’interpréter une nouvelle économique, macro-économique, géopolitique ou même un résultat sportif, sans le passer par le prisme de la « BAISSE DES TAUX ». Depuis le début du mois de septembre, on se dit que si ça ne va pas, c’est bien parce que la FED va baisser les taux. Ça fonctionne pour les chiffres de l’emploi, ça fonctionne aussi pour les chiffres de l’inflation et même pour mon taux de cholestérol. À l’heure actuelle, les intervenants trouvent toujours un moyen de voir le verre à moitié plein, histoire de faire monter le marché. C’était encore le cas lundi. Je n’invente rien, vous pouvez reprendre toutes les chroniques boursières du monde, le marché était monté parce que la FED allait baisser les taux. Nouveaux records sur le Nasdaq, nouveau record sur le S&P, fin de la discussion.

Et puis hier, tout s’est grippé pendant quelques minutes. Surtout en Europe. Mais aussi un peu aux USA. Les marchés européens se sont littéralement pris les pieds dans le tapis avec des théories que l’on avait utilisé la veille pour faire monter les mêmes marchés. Sauf qu’hier en plus, il y avait l’effet Euro/Dollar. Alors oui, j’en conviens, l’argumentaire du FOREX, on ne nous l’avait pas sorti depuis un moment. Il faut dire que l’on était bien empêtré à essayer de comprendre les implications et les effets pervers d’une inflation forte quand l’économie est en train de s’embourber au fond du jardin. Mais toujours est-il qu’hier, on est revenu sur le sujet… Hier, l’euro a grimpé à son plus haut niveau depuis 4 ans face au dollar. Mauvaise nouvelle pour les exportateurs européens. Très mauvaise nouvelle. Soudainement, on s’est rappelé qu’un Euro fort allait considérablement compliquer le concept de vendre à l’étranger. Plus l’Euro est fort, plus c’est cher d’acheter en Europe (pour les Américains au hasard) et qu’en plus quand tu colles 15% de droits de douane pour compliquer encore peu le calcul… Pour faire simple, les marchés européens se sont effondrés devant cette prise de conscience et il était ensuite assez facile de trouver des explications comme par exemple : « les banques étaient en baisse parce qu’avec les taux qui vont baisser, elles vont faire moins d’argent avec les crédits ». L’important n’est pas la véracité des raisons de la baisse, mais le narratif. Et hier en Europe, on avait un bon narratif pour tout vendre à quelques heures de cette fameuse baisse des taux providentielle.

Un peu différent aux USA

Pendant ce temps, aux USA, on baissait aussi. Mais pas pour les mêmes raisons. Non parce qu’eux, de leur côté, le dollar faible arrange bien leurs exportatrices. Par contre on peut facilement trouver une excuse officielle en cherchant du côté des ventes de détail qui ont grimpé de 0,6% (au lieu des 0,2% attendus). Donc ça prouve que le consommateur américain est toujours debout, encore capable d’acheter des sneakers, des iPhone 17 plats ou pas plats, ou encore des burritos, des tacos et des burgers. Mais en même temps, si le consommateur va bien, pourquoi est-ce qu’on baisserait les taux ? Ouch. La petite réflexion qui dérange à 24 heures de la décision sur laquelle on compte depuis trois semaines pour changer nos vies.

Il faut aussi avouer que certains commencent à estimer que le marché est allé UN PEU trop vite en anticipant plusieurs baisses consécutives. Alors oui, on sait bien que le nouveau gouverneur Stephen Miran pourrait même plaider pour une baisse plus agressive de 0,50%, mais il reste encore un peu trop de monde à la FED qui sont préoccupés par une inflation qui refuse de rendre les armes. Du coup, comme les indices évoluent au plus haut, le risque est que la décision se transforme en un scénario “buy the rumor, sell the news” est relativement élevé. D’où les doutes d’hier soir. Mais bon, on ne va pas paniquer non plus, puisque depuis Liberation Day, même les fortes baisses ponctuelles n’ont pas eu de suite durable, ce qui montre une résilience remarquable des marchés, alimentée autant par l’optimisme que par l’absence d’autres solutions d’investissement. On va donc pouvoir assez facilement réutiliser cette bonne vieille phrase qui dit que « les intervenants ont ajustés leurs positions à la veille d’une décision importante de la banque centrale américaine ». Ça ne veut rien dire, ça n’explique rien, mais ça fait hyper-sérieux comme justification et ça masque le fait que là tout de suite, on ne sait plus vraiment si 25 points de base de baisse des taux va suffire pour continuer le bull market permanent dans lequel nous sommes. Sachant que l’excuse a été un peu trop souvent utilisée récemment et que ça aurait tendance – éventuellement peut-être – à être déjà incorporé dans les prix du marché.

Bref, hier le S&P500 a quand même perdu 0.13% et le Nasdaq ; 0.07% – on sent quand même bien le vent de panique qui souffle sur Wall Street.

Et ce soir

En gros, on n’est pas plus avancé qu’avant et plus personne n’ose vraiment bouger tant que la FED n’a pas parlé. Oui, elle va annoncer une baisse de 0,25% tout à l’heure, mais l’attention se portera surtout sur les projections des banquiers centraux et sur le discours de Powell. Et tant qu’on n’en saura pas plus là-dessus, tant que l’on ne verra pas un peu plus clair dans la vision à 5 semaines de la Réserve Fédérale, il ne sera pas simple de faire prendre une direction au marché.

Nous en sommes donc au stade où :

• Tout le monde sait que la FED va baisser les taux ce soir.
• Mais personne ne sait si c’est censé être bullish ou bearish.
• L’histoire nous dit qu’une baisse des taux quand les indices sont au plus haut, c’est rarement une bonne nouvelle.
• Les prudents estiment que ces baisses signalent surtout un ralentissement économique, ce qui pourrait peser sur les actions.
• Les optimistes voient dans les éventuels replis une opportunité pour renforcer l’exposition, misant sur la poursuite du bull market jusqu’en 2026, porté par la croissance des bénéfices (environ +10% attendus en 2025 et +13,7% en 2026).

Mais à la fin, personne ne sait réellement ce qu’il faut faire aujourd’hui. Ou ce soir. Alors oui, ce soir Powell va parler, les marchés vont bouger, les algos vont s’exciter. Mais la vraie question, c’est : est-ce que cette baisse de taux est justifiée, nécessaire, dangereuse pour l’inflation, ou pas ? Je ne sais pas si ce soir nous connaitrons la réponse, mais on y verra certainement un peu plus clair. Une chose est certaine, demain on trouvera bien une autre excuse pour monter… ou pour baisser. Retenons juste que si Powell laisse CLAIREMENT entrevoir le fait que cette baisse de taux est le début d’un cycle, on va battre de nouveaux records. Restera ensuite à voir ce qui se passera au niveau des chiffres de l’emploi et de l’inflation ces prochains mois. En même temps, on ne va pas se projeter dans 6 semaines alors que nous sommes déjà bien incapables de le faire pour les 6 prochaines heures.

En Asie

À l’image de ce qui se passe ailleurs, les marchés asiatiques évoluent de façon mitigée ce matin. Inutile de vous dire que les investisseurs restent prudents avant la décision de la Fed. Au Japon, le Nikkei progressait de 0,2%, frôlant ses records historiques. Côté commerce extérieur, les données d’août montrent une résilience inattendue avec des chiffres des exportations qui étaient meilleurs que prévu, tout comme le déficit commercial. L’accord signé en août avec Washington, plafonnant les droits de douane américains à 15% sur les biens japonais, a soutenu les exportations. En revanche, la demande intérieure reste faible, toujours plombée par les coûts élevés des importations et l’inflation persistante. La question des décisions à venir de la part de la BOJ va nous occuper durant l’automne. La Chine ne fait rien et Hong Kong est en hausse de 0.8%.

Du côté du pétrole, la conjonction du dollar faible et des tensions avec la Russie a continué de faire progresser le baril qui se traite à 64.41$ ce matin. L’or est à 3’718$, le Bitcoin vaut 116’500$ et le rendement du 10 ans est à 4.02%.

Les diverses réflexions du matin

Vous l’aurez donc compris, la FED est, sera et restera l’évènement central de cette journée du 17 septembre. On peut donc prendre 5 minutes pour se plonger dans les archives du monde merveilleux de la finance et se souvenir que la décision de la Fed sur les taux arrive au pire moment – historiquement et statistiquement parlant. En effet, les 10 derniers jours de septembre affichent en moyenne une performance négative depuis 1928, et c’est encore pire lors de la première année d’une nouvelle administration. Actuellement, les marchés sont au plus haut alors que 100% des intervenants s’attendent à une baisse 25 bp. Sans oublier que beaucoup espèrent de nouvelles coupes en octobre et décembre. Mais de loin pas avec le même niveau de confiance… Autant dire qu’entre les niveaux de valorisations du moment et le fait que nous sommes à des altitudes très élevées, le discours de ce soir ne laissera que très peu de place à la déception. Dans les médias de ce matin, plusieurs analystes craignent que cette baisse ne soit pas accueillie positivement. Encore une fois ; dans l’histoire de la baisse des taux au travers des siècles, quand la Fed baisse les taux alors que le S&P 500 est proche d’un record, cela se termine souvent par une correction. La moyenne de ces corrections est de 15%. Jerome Powell a intérêt à ne pas faire de fautes de frappe dans son discours.

Et puis, puisque la FED est le sujet du jour, il ne faudra pas oublier non plus que dorénavant, Trump a trois membres de la FED qui lui ont voué allégeance. Ça tombe bien, parce qu’en se plongeant dans les lois fédérales américaines on y apprend qu’il suffit de trois gouverneurs de la FED pour demander l’organisation d’un FOMC Meeting d’urgence. Ce qui voudrait dire que dans un futur hypothétique où l’économie continuerait de montrer des signes de faiblesse, les hommes du Président auraient le droit de nous coller un FOMC de plus avant la fin de l’année. Ce qui nous permettrait d’envisager d’autre scénarios encore plus marrants que celui que nous avons actuellement. En résumé, je ne sais pas ce que Powell va dire ou faire ce soir, mais je suis certain que les 100 jours qui nous séparent de 2026, vont être passionnants…

Chiffres du jour

Du côté des chiffres du jour, il y aura le CPI en Europe et Lagarde qui parlera. Puis ensuite nous aurons les permis de construire aux USA, ainsi que les nouvelles mises en chantier et finalement, Powell montera sur scène à 20h00 et ensuite, plus rien ne sera jamais pareil.

On se revoit donc demain de « l’autre côté ». Pour l’instant les futures sont en baisse de 0.05% et dans quelques heures, l’attente sera terminée. Belle journée à tous…

À demain.

Thomas Veillet
Investir.ch

“Do one thing every day that scares you.”
― Eleanor Roosevelt