Le SHUTDOWN est terminé et le marché a vendu la nouvelle. Enfin, je ne sais pas si c’est ça qui a provoqué une des séances les plus pourries de l’année aux USA, mais disons qu’au-delà de vendre la nouvelle, il y a surtout le fait que de moins en moins de monde croit en une baisse des taux en décembre – la probabilité vient plonger à 52% - et pendant ce temps-là, la tech est toujours trop chère, les licenciements continuent, le consommateur a des doutes et Wall Street se demande quels chiffres on va lui jeter en pâture et ce qu’on va bien pouvoir en faire. Bref, Tesla est baisse pour l’année, le Bitcoin est en Bear Market et les futures sont en hausse…
L’Audio du 14 novembre 2025
Pas un bain de sang mais quand même
La première chose qui m’a frappé ce matin, c’est l’ambiance délétère que l’on peut sentir sur les marchés. Ce que je veux dire c’est que l’on vient de se prendre une belle claque sur la séance d’hier, on remet en doute tout ce qui nous a fait monter jusque-là, on tombe tous les trois articles sur des explication sur « comment investir dans des titres qui paient des dividendes », on revient sans cesse sur les excès de valorisations et pour conclure, on est de moins en moins convaincu que la FED va baisser les taux. Mais les futures sont déjà en hausse comme si tout le monde avait déjà décidé que c’était le moment de racheter. Bon, après, il faut quand même admettre qu’indépendamment de ce qu’on peut dire sur Nvidia, l’IA ou la tech qui est trop chère, les indices sont toujours dans des tendances haussières, sur le bas du canal même et au-dessus de la moyenne mobile des 50 jours – moyenne qui a souvent fait office de pierre d’achoppement pour démarrer une nouvelle phase haussière.
Dans ce contexte-là, on peut comprendre que le marché ne veuille pas (encore) passer en mode panique. Et puis, il y a peut-être aussi qu’il y a un peu trop de commentaires dans ce sens. Tout le monde semble avoir admis que l’IA c’est trop cher et que certaines boîte (Palantir, pour ne pas la nommer), se traitent à des multiples qui donneraient envie de vomir à un statisticien. Comme d’habitude, quand « tout le monde sait que ça va mal se passer », c’est pas là que ça se passe. Toujours est-il qu’hier la journée aura été fort intéressante en Europe, puisque la région est encore et toujours immunisée contre la baisse ou presque. Puisque, comme je le disais hier et avant-hier, les Européens semblent plus excités à l’idée de savoir que l’administration fédérale américaine va rouvrir que les Américains eux-mêmes. La France a même affiché un record d’altitude historiq ue en séance. Siemens s’est fait défoncer. Mais pour le reste, on a tendance à se projeter sur les chiffres de l’emploi et autres CPI en retard, et comme le calendrier du BLS n’est pas très clair à l’heure actuelle, on se pose de questions.
La journée du sniper
Parlons un peu chiffres tout d’abord ; le Dow Jones a perdu 797 points sur la séance. Vous remarquerez cet élément de langage assez intéressant sur l’expression des variations des indices en séance : lorsque l’on parle du Dow Jones, on parle en « points » et quand on parle du S&P500 ou du Nasdaq, on parle en « pourcents ». Comme si – comme le Dow Jones vaut presque 50’000 points – on préfère parler en points pour que ça fasse « plus » peur ! Enfin bref, le Dow Jones a perdu 1.65%, le S&P500 a perdu 1.66% mais beaucoup moins de points et ça fait moins peur. Le Nasdaq se prenait une claque un peu plus violente avec un recul de près de 2.3%. Il faut dire que mis à part Meta, aucun des Magnificent Seven n’a terminé dans le vert. Ce qui n’aide pas. Sans compter qu’une boîte de semi-conducteurs japonaise Kioxia Holdings a annoncé une baisse de 60% de ses revenus. Dans la foulée, tous les concurrents qui font de la mémoire et du stockage se sont fait littéralement détruire. Seagate, Micron, Sandisk, Western Digital. Un bain de sang pour le secteur – ça plus Nvidia qui se prenait 3.6% dans les dents, le Nasdaq était au tapis pour le compte… D’ailleurs, ce qui est assez drôle à propos de Nvidia, c’est qu’hier nous avons pu assister à plusieurs upgrades de price target sur le titre, alors qu’il se faisait laminer par le marché. Quand ça veut pas, ça veut pas.
Et puis y a Tesla qui s’est fait massacrer. La boîte à Musk vient de se prendre sa plus grosse gamelle depuis des mois, un joli -6,6% en une séance, largement suffisant pour la mettre dans le rouge sur l’année, la seule des Magnificent Seven qui est dans cette situation.
Alors pourquoi tant de haine ? Tout d’abord, Musk lui-même avait prévenu : les prochains trimestres seront “compliqués”. Il l’a répété neuf fois en juillet. Le marché ne l’a pas cru. Hier, il a commencé à comprendre. Ensuite en Chine, ça ne se passe pas bien du côté des voitures électriques, ventes en baisse de 10% et BYD se prend pour Verstappen qui arrive à toute vitesse dans le rétroviseur. Et puis, comme si tout ça ne suffisait pas, Tesla doit rappeler 10’500 systèmes d’énergie résidentiels à cause de risques de surchauffe, voire d’incendie. Du déjà vu en Australie, où certaines unités faisaient carrément… de la fumée. Et puis, trois cadres important (Cybertruck, Model 3, Model Y) se barrent. Sans oublier que Cathie Wood qui ADDOOOOOOORE Tesla, because it’s AMMAAZZZZZING, eh bien Cathie elle réduit ses positions en Tesla. Elle aime toujours, ne vous méprenez pas, mais elle aime un peu moins. En résumé, ça plus ça, plus ça, ça fait une sale journée pour Tesla.
En conclusion
En résumé, le marché a vu que le SHUTDOWN était terminé, mais il est déjà en train de passer à autre chose. Les problématiques auxquelles nous faisons face sont les suivantes : tout d’abord, la foule pense que tout est trop cher. C’était le moment, mais est-ce que quand tout le monde est au courant, ça va vraiment baisser ? Pas sûr. Ensuite, il y a les chiffres économiques. Hier la Maison Blanche a laissé entendre que les chiffres de l’emploi sortiront bien dans quelques jours (ou semaines), mais tronqués du taux de chômage – histoire de pas décevoir. On sent quand même que ça va être moche, mais si une partie de la vérité nous est cachée, ça peut le faire. Tiens by the way, Verizon a annoncé hier qu’ils viraient 15’000 personnes. Ça devrait bien aider les chiffres de novembre. Et puis y a l’inflation, il n’y a pas encore eu de CPI, mais les experts ont déjà commencé à bosser dessus, il en ressort que l’on devrait monter de 0.2% sur le mois d’octobre. En gros, ça ne veut pas baisser, ce qui prêche encore une fois en défaveur d’une baisse des taux.
Quand tu mets tout ça bout à bout, t’as quand même un peu l’impression qu’on est dans le brouillard depuis un peu trop longtemps. Bref, le marché doute, le marché a un peu peur quand même et de temps en temps il l’exprime. Pour l’instant, il fait tout pour que ça ne dure pas plus de 24 heures, mais si jamais un jour ça venait à se prolonger trois-quatre jours de plus, il va falloir éponger les gouttes de sang sur les murs. Et puis, tenez, je suis tombé sur un chiffre ce matin. Un chiffre qui devrait vous permettre de briller en société ce soir à l’apéro :
Si l’on se base sur la capitalisation boursière de Nvidia ces derniers jours, elle représente 16,2% du PIB des États-Unis. Oui, un seul fabricant de GPU pèse l’équivalent d’un sixième de toute l’économie américaine. Et le plus dingue, c’est que ce ratio a doublé en moins de 2 ans.
Et pour vous donner une idée de l’amplitude du délire dans lequel nous sommes, au sommet de la bulle internet en 2000, le Nvidia de l’époque qui s’appelait Cisco ne pesait “que” 3,9% du PIB US.
En clair, aujourd’hui Nvidia c’est 4 fois Cisco au pic de la folie Dot-Com.
Et on ne veut toujours pas déclarer officiellement que nous sommes dans une bulle. En résumé et pour être très clair, actuellement, l’économie tourne autour de Nvidia et pas l’inverse.
L’Asie suce la roue
L’Asie s’est réveillée avec la gueule de bois ce matin : les marchés ont commencé à enterrer l’idée d’une baisse des taux en décembre, et les techs ont continué de plonger en suivant la raclée de Wall Street. La Chine n’a rien arrangé : des chiffres économiques mous, une industrie qui tousse, des investissements en chute libre… le géant asiatique donne toujours l’impression d’être collé dans un ralentissement sans fin. La vente massive sur l’IA à New York a enflammé les bourses tech d’Asie : KOSPI -2,5%, Nikkei -1,9%, même SoftBank dévisse de presque 6% après avoir déjà perdu 20% la semaine dernière. En Chine, c’est un peu moins violent, faute d’exposition similaire à la tech, mais les indicateurs industriels plombent quand même l’ambiance. Et au-dessus de tout ça plane une inquiétude supplémentaire : la Maison-Blanche pourrait retarder les stats d’inflation et d’emploi.
Résultat : les marchés asiatiques avancent dans le brouillard, la Fed aussi, et tout le monde navigue en mode « brace, brace, brace ». On donne l’impression de savoir qu’on va se prendre un mur, mais comme on ne voit rien il faut être prêt à l’impact…
Le pétrole remontait un peu dans la foulée de chiffres rassurants sur les inventaires du côté US. L’or est à 4’200$ et le Bitcoin est dans le territoire des ours, à 97’000$ et des poussières…
Les choses à retenir
On retiendra que la journée n’a pas été simple et que les valeurs tech se sont faites défoncer, les stars, comme les nouvelles stars, on signalera au passage des boîtes comme Rigetti qui perdait 11% sur la journée et 43% depuis le début du mois de novembre. Et puis il y a des sociétés comme Korro Bio, qui sont en baisse de 79% depuis quelques jours. On a l’impression que le seuil de tolérance n’est plus le même et qu’à la moindre alerte, on ne vend pas tranquillement ses positions avec parcimonie, c’est plutôt la méthode à la tronçonneuse et ne fait pas de prisonnier. Disney a sorti ses chiffres du quatrième trimestre et c’est un peu le syndrome “tout va bien… mais pas assez”. Le bénéfice ajusté ressort à 1,11$ par action, légèrement en-dessous de l’an dernier, mais au-dessus des attentes — Wall Street misait sur 1,05 $. Le chiffre d’affaires, en revanche, glisse à 22,46 milliards, en baisse par rapport à 2024 et inférieur aux prévisions. En gros : Disney gagne mieux que prévu, mais vend moins que prévu. Le groupe promet pourtant une croissance à deux chiffres de son bénéfice en 2026, histoire de montrer que la magie n’est pas morte.
Mais le marché y croit moyen – voir pas du tout : l’action plongeait de plus de 8% en milieu de séance. Et si l’on doit retenir qu’une seule chose, c’est que les gens – autrement dit les consommateurs – vont moins dans les parcs à thèmes et hésitent un peu plus à acheter des oreilles de Mickey en plastique made in China à 24$, encore un indice sur l’état de santé du consommateur qui n’est pas des plus encourageants.

Et puis, pendant que l’on s’attache à gérer la problématique de l’intelligence artificielle et qu’on se demande quand est-ce que Musk touchera son bonus de 1’000 milliards, Trump a lancé une opération “make your food affordable again”, une sorte de Black Friday diplomatique : il prépare des réductions de tarifs douaniers sur la bouffe pour calmer la colère des Américains face aux prix délirants de certains biens de première nécessité, comme la bouffe. Washington a dévoilé des accords-cadres avec l’Argentine, le Guatemala, le Salvador et l’Équateur : moins de taxes sur le bœuf, les bananes, le café… bref tout ce qui remplit un caddie US depuis 30 ans. Objectif avoué : faire baisser les prix, montrer que le président agit, et reprendre la main après les victoires démocrates locales qui ont tapé là où ça fait mal : l’inflation du quotidien.
En parallèle, les discussions avancent aussi avec la Suisse (montres, chocolat… l’essentiel, le strict minimum pour vivre). Mais derrière le storytelling, c’est surtout Trump qui retire les tarifs qu’il avait lui-même imposés quelques mois plus tôt, histoire d’effacer sa propre hausse des prix. Les cowboys américains, eux, râlent déjà : plus de bœuf importé, ça veut dire pression sur leurs marges — et ils votent Trump, en plus. Pour l’instant, Trump déroule son plan : réduire le coût de la vie, consolider ses alliances idéologiques, et relancer sa promesse fétiche : Make America Affordable Again. Mais ce qui est intéressant, vu de ce côté de l’Atlantique, c’est que le coût de l’inflation fait toujours mal et pourtant, elle baisse partout (ou presque). Sauf que l’on oublie toujours de parler de la hausse de l’inflation sur les 5 dernières années, c’est elle qui fait mal… pas celle de la semaine dernière.
Et puis, autre sujet que l’on aborde ce matin dans certains médias : l’IA est-elle devenue too big to fail ? Un think tank prévient : si la bulle IA explose, l’État devra peut-être racheter… non pas des banques, mais des infrastructures énergétiques en faillite. Oui, des centrales électriques. Et vu l’implication actuelle de Washington, on n’en est plus à une absurdité près. Alphabet, Amazon, Meta profitent du jackpot fiscal pendant que Wall Street finance l’euphorie comme si c’était la ruée vers l’or. Certains analystes parlent carrément d’un “AI arms race” : une course à l’armement version GPU. Trump, lui, a ouvert les vannes avec son AI Action Plan : “Vous construisez, on vous branche au nucléaire.”
Le problème, c’est que tout repose sur l’hypothèse sacrée que la demande pour les data centers va exploser… éternellement. Si ça cale, des régions entières — Texas, Midwest, Virginie — vont se retrouver avec des data centers fantômes et des compagnies d’électricité au bord du gouffre. On a donc recréé une sorte de système bancaire, mais avec des serveurs qui surchauffent à la place des banques. C’est peut-être aussi pour ça que la FED a réduit son bilan, juste pour pouvoir être capable de relancer un QE en cas de besoin.
Les chiffres du jour à attendre
Côté macro c’est toujours Waterloo, morne plaine à Washington, mais la France publiera son CPI et la cote de popularité négative de son Président en carton et l’Europe annoncera son PIB. Et puis côté société, il n’y aura pas grand-chose ; Siemens Energy, Swiss Re et Allianz.
Au final, on avance dans un marché qui ressemble à un mec réveillé mais encore à moitié endormi et qui se bat avec l’alarme du réveil : ça vacille, ça grogne, mais ça reste éveillé quand même. Le shutdown est fini, la tech brûle, Tesla plonge, Disney pleure, l’IA délire et Trump distribue des rabais sur les bananes… pourtant les indices tiennent la tendance comme si de rien n’était. C’est presque louche. On sent que tout le monde sait que ça pue — les stats arrivent au compte-gouttes, la FED avance à l’aveugle, Nvidia clignote en mode bulle XXL — mais personne ne veut quitter la fête tant qu’il y a de la musique et de la lumière. On achète les « dips » par réflexe, mais la vérité, c’est qu’on est en plein brouillard, et la première mauvaise nouvelle un peu trop désagréable pourrait transformer le marché en scène de crime.
Excellent café à tous, très bonne journée et on se voit lundi pour de nouvelles aventures ! Que votre week-end soit reposant, histoire de se préparer aux publications de Nvidia.
Thomas Veillet
Investir.ch
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Winston Churchill