Il fût un temps, il y avait une chanson qui me trottait dans la tête quand je regardais mes écrans à longueur de journée. Cette chanson faisait : « En haut, en bas, tu sais pas où tu vas. À droite, à gauche, ah non ça, ça va pas »… Et cette chanson s’adressait à des marchés financiers qui ne savaient absolument plus où ils voulaient aller et où ils devaient aller. Depuis quelques jours ; cette chanson m’obsède à nouveau. Début de panique mardi, sérénité retrouvée mercredi et re-bordel total hier. Tous les beaux discours qui disaient : « non, non, l’IA n’est pas une bulle, gna-gna-gna »… se sont effacés et rebelote, on est de retour avec le « ah oui, mais non, c’est vachement cher… »

L’Audio du 7 novembre 2025

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Claque encore

Avant toute chose, on va quand même essayer de relativiser. Oui, hier les marchés se sont à nouveau pris une baffe. Les marchés européens ont « pris les profits » parce qu’ils avaient tellement gagné de pognon qu’il était temps de prendre un peu de repos. Paris baissait de 1.36%, le Dax de 1.31% et la Suisse restait la Suisse en ne reculant « que » de 0.52%. Aux USA c’était un peu plus compliqué. Un peu plus compliqué parce qu’à la fin de la séance le Nasdaq reculait de 1.9%, pendant que le S&P500 faisait du 1.12% à la baisse. Il faut donc tout de même reconnaître que c’est une baisse un peu plus marquée que celles auxquelles nous sommes habitués depuis que l’IA, c’est trop cool et que Jerome Powell y va baisser les taux, mais ça n’est pas non plus une baisse du style. « Euh, je crois que Lehman Brothers ils ont fait faillite »…

Tout est donc resté globalement contenu et on a – pour l’instant – limité la casse. Mais comme on a plus trop l’habitude des baisses, il faut quand même reconnaître que ça fait bizarre – à moins que ça soit le ton des communications médiatiques qui ont tendance à sombrer dans le mélodramatique à la première occasion. On a l’impression parfois « qu’on va tous mourir » au moins trois fois par semaine en ce moment. Moi-même personnellement tout seul, ce qui me choque le plus en ce vendredi matin, c’est notre capacité à se prendre une tarte le mardi, puis à montrer une sérénité à toutes épreuves le mercredi pour resombrer dans la semi-panique en hurlant dans tous les sens pour dire que « c’est quand même trop cher », en hochant la tête de manière désordonnée pour accentuer l’effet dramatique.

C’est cher et l’emploi est tout pourri

Tout ça pour dire que si l’on doit retenir DEUX choses – en plus du package à 1’000 milliards d’Elon Musk (mais on y reviendra plus tard) – c’est le fait que 1) les intervenants géniaux et visionnaires que nous sommes ont décidé d’un commun accord d’estimer que la tech était quand même vachement chère et que c’était quand même vachement mieux d’alléger la barque avant qu’elle chavire sous les coups de boutoir des vendeurs qui ont vu une seconde opportunité de donner de la voix cette semaine. Non, parce qu’il faut quand même bien comprendre qu’une GROSSE PARTIE des clients individuels américains qui traitent en bourse actuellement (les « retailers » comme on les appelle), cette grosse partie est actuellement investie en « levier », c’est-à-dire qu’ils ont EMPRUNTÉ de l’argent pour investir. Par exemple ; vous avez 10’000 francs, vous empruntez 100’000 francs qui sont garantis par vos 10’000 et vous achetez des montagnes de Nvidia avec – parce que Nvidia, c’est quand même l’avenir – et vous pouvez en acheter 10 fois plus qu’avec vos 10’000 balles de base. Ce qui fait que quand Nvidia va doubler dans 6 mois, vous aurez fait une performance de fou avec de l’argent que vous n’aviez pas…

Sauf que si sur le chemin des 100% sur Nvidia, le titre venait à baisser violemment de 10%, vous auriez déjà perdu vos 10’000 balles de mise de départ. Donc la banque va vous faire ce que l’on appelle : un appel de marge. En gros vous remettez la main au portemonnaie où on vous liquide la position sans autre forme de procès… Et comme il y a des millions de personnes dans la même situation, ça fait boule neige et c’est comme ça qu’on a des bains de sang sur les marchés. Là, nous n’en sommes pas là. Mais il se peut que – dans ces phases de baisse un peu plus forte que de raison – les Bears qui ont un peu de munition essaient de taper fort sur un marché ou sur un titre en particulier pour provoquer des appels de marge… Hier, Nvidia s’est pris 3.65% dans les dents et est en baisse de 12% sur 4 séances et à 5 dollars de sa moyenne mobile des 50 jours qui coïncide avec son support haussier qui date de 7 mois. Pourquoi je vous parle de Nvidia déjà ? Ben parce que depuis hier, on nous dit que les valorisations de la tech sont très chères et que Nvidia en fait partie – Tesla est bien plus cher, mais c’est pas pareil parce que Tesla c’est un autre business model – un business model que personne ne comprend, mais c’est pas le sujet, l’important c’est le narratif. Bref, Nvidia et la tech étaient sous pression, parce que Jensen Huang a dit que la Chine allait remporter la course de l’IA, mais aussi que le gouvernement US allait encore interdire d’exporter des puces destinées à l’IA en Chine, ou encore juste parce que certaines boîtes se paient des multiples de débiles. On en parlait déjà mardi, mais entre-deux on s’était calmé. Mais c’est revenu et oui, peut-être que finalement la tech, c’est trop cher et ce matin personne ne parle d’achat sur faiblesse.

L’autre raison

Après il y avait une autre raison pour la baisse : les chiffres économiques et plus particulièrement les chiffres de l’emploi. Alors non, le SHUTDOWN n’a pas été levé et on ne nous a pas balancé les NFP du mois dernier pour nous occuper la journée. Non, c’est bien plus subtil que ça. Hier on est allé chercher des chiffres de l’emploi qui sont publiés par des sociétés indépendantes, qui elles travaillent pendant le shutdown, histoire d’avoir une estimation à peu près claire de ce qui se passe sur le marché de l’emploi. Et alors – SPOILER ALERTE – c’est la merde totale… On nous a donc sorti deux boîtes du chapeau. Des boîtes qui ont pour vocation de faire la même chose que le BLS, mais en mieux. Ce qui n’est techniquement pas très compliqué. La première société s’appelle Revelio Labs, et se définit comme une société d’« intelligence sur la main-d’œuvre » : elle collecte, standardise et analyse des centaines de millions de données publiques liés à l’emploi (profils professionnels, annonces de poste, données de licenciement, etc.). Et hier ils ont déclaré que – selon leurs datas à eux, les États-Unis ont perdu 9’100 emplois en octobre. Alors c’est difficile d’en penser quoi que ce soit, vu qu’il n’y avait pas « d’attentes » de la part du marché, mais une chose est certaine, si les NFP’s avaient été publiées début octobre, elles n’auraient pas DU TOUT été en négatif…

Ça n’était donc pas une très bonne nouvelle. Mais c’était pas tout, parce que dans la foulée, il y a une AUTRE société qui s’appelle : le cabinet Challenger, Gray & Christmas, qui eux, ont annoncé que les licenciements avaient bondi de 183,1% en octobre par rapport à septembre, leur plus haut niveau pour un mois d’octobre depuis plus de vingt ans. Là, encore on ne sait pas trop quoi en faire. Mais dans le doute, en mettant bout à bout la tech qui est trop chère, les 9’100 emplois qui seraient passés à la trappe en octobre, plus les licenciements qui explosent de 183%, il paraissait difficile de résister à la tendance baissière. Après, il faut l’avouer, c’est un peu con que l’on ne prenne pas le temps de réfléchir avant de vendre, parce qu’au vu de notre capacité à se tenir à la même opinion pendant plus de 34 secondes, le tout avec la capacité de concentration d’un labrador de 8 semaines devant une boîte de Pedigree Pal, je ne suis pas loin de me dire que le narratif de ce vendredi sera :

« Bon, ben on va pouvoir racheter le marché, parce que si l’emploi va mal et que les licenciements augmentent, Jerome Powell, il va pouvoir baisser les taux »

Bref, hier on a baissé parce que c’était trop cher et que l’économie, elle est pas au top…

En Asie

Les marchés asiatiques se sont vautrés vendredi, plombés par une nouvelle vague de ventes sur la tech et par le retour de tensions US–Chine. Le Japon et la Corée du Sud ont mené la chute: le Nikkei perd 2,3% sur la séance et frôle -5% sur la semaine, avec SoftBank et Advantest en mode toboggan. Le KOSPI décroche de près de 3%, emporté par Samsung et Hynix. La nervosité monte face à des valorisations jugées délirantes dans la tech, alors que plusieurs dirigeants de banques américaines parlent ouvertement de risque de correction. Même si ça date de mardi dernier, il y a le décalage horaire, forcément. En parallèle, les chiffres du commerce chinois déçoivent : exportations en baisse, importations en berne, demande interne mollassonne. Et la guerre techno repart: Washington veut empêcher Nvidia de vendre ses versions “downgradées” de puces IA à la Chine, pendant que Pékin prépare une interdiction des puces étrangères dans ses data centers publics. Résultat : CSI 300, Shanghai Composite et Hang Seng reculent encore. Le pétrole est à 59.76$, l’or est à 4’000$, le Bitcoin est à 102’400$ et le rendement du 10 ans est de retour à 4.10%.

Dans les valeurs individuelles, c’était pas une séance, c’était un champ de bataille. DoorDash s’est pris un 18% dans les dents après un bénéfice aussi maigre qu’un carton d’emballage pour pizza tiède à emporter. La boîte dépense comme si l’argent poussait sur les arbres et ça finit par se voir. Derrière, Elf Beauty a explosé en plein vol avec une chute de 35%. Visiblement, la magie du maquillage ne marche pas quand tu baisses tes prévisions de ventes, même avec trois couches de mascara. Et puis, la stratégie de Duolingo, n’a pas plus aux intervenants et l’oiseau vert a perdu des plumes, 25% de baisse, on voit clairement que les déceptions se font sentir de manière assez tranchée. Heureusement, il y avait aussi du feu d’artifice dans l’autre sens. Datadog a pris 23% parce que la cybersécurité cartonne, leurs prévisions partent à la hausse, et les investisseurs jappent de plaisir. Et puis pour garder une bonne ambiance quand même à la fin de la séance, il y a une rumeur qui circule dans le marché et qui provient de Bloomberg, qui dit que Softbank serait sur le point de racheter Marvell. Tout le secteur des semi-conducteurs est en émois. On notera encore que chez Airbnb, les réservations internationales explosent, le tourisme se porte mieux et que le titre prenait 4% after close. Et puis Take-Two s’est pris une volée en repoussant la sortie de GTA6.

LA NOUVELLE du jour

Et puis alors Tesla vient de voter le truc le plus délirant de l’histoire du capitalisme moderne: un package d’un trillion de dollars pour Elon Musk. 1’000 milliards de bonus. Un package qui pourrait littéralement transformer le CEO de Tesla en premier trillionaire de l’humanité. Et plus de 75% des actionnaires ont dit banco, malgré les hurlements des puristes de la gouvernance. Derrière ce chèque intergalactique, il y a un pacte faustien: Musk ne touchera tout que s’il réussit à propulser Tesla dans une nouvelle dimension. On parle d’un Tesla revalorisé à 8,5 trillions, un business auto ressuscité, et surtout… la montée en puissance des deux obsessions du patron: le robotaxi et l’humanoïde Optimus. Musk l’a dit lui-même, en mode rockstar sur scène: “C’est pas un nouveau chapitre. C’est un nouveau livre.” Le plan, c’est de produire voitures, robots et IA à un rythme encore jamais vu dans l’histoire industrielle.

Le vote tombe après des semaines de lobbying musclé du board, de Musk et de toute l’armée des petits actionnaires fans du gourou. Certains gros fonds, comme Norges Bank, ont résisté. Les proxy advisors ont crié au scandale. Bernie Sanders a parlé “d’absurdité totale” pendant que Musk, lui, demandait juste un truc simple: “25% de contrôle pour construire une armée de robots sans se poser de question.” Ce package, s’il se réalise, ferait de Musk un géant économique planétaire : 2,4 trillions de valeur de participation potentielle, soit plus que le PIB de presque tous les pays du G20. Son ascension a déjà été une montagne russe cette année, plombée par ses positions politiques puis reboostée par Tesla, xAI et SpaceX.
Et comme si tout ça ne suffisait pas, Musk a teasé la création d’un Tesla TeraFab, une méga-usine de puces “encore plus grosse qu’une giga”, histoire d’accélérer l’autonomie totale et son empire robotique. Bref, Tesla vient de tendre à Musk la clé d’un royaume économique jamais vu. Le plus dur commence : transformer ce vote en cash-flow, en robots et en domination mondiale. Et s’il y arrive… ça sera clairement un autre monde.

Et pour la suite…

Pour le reste, les USA sont toujours sous shutdown, les chiffres et les problèmes s’accumulent, prendre un avion, ça devient très compliqué, on parle de 5’000 annulations par jour et la fermeture du gouvernement coûte toujours 15 milliards par jour. Mais heureusement, la dette du pays est totalement gérable. Les futures sont inchangés et si j’en crois le rythme de la semaine, on devrait remonter parce que les chiffres sont mauvais… et donc va falloir aider le marché : Jerome, tu fous quoi ?

Excellent week-end à tous. On se revoit mardi, moi je suis off lundi.

À mardi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“It is wise to direct your anger towards problems – not people; to focus your energies on answers – not excuses.”

William Arthur Ward