Nous sommes le 15 décembre 2025. C’est la dernière semaine complète de trading. À priori, après l’année qu’on vient de traverser, on devrait en avoir terminé et finir en pente douce en attendant de se goinfrer de dinde, de chocolat et d’alcool en attendant le premier janvier, de se jurer d’arrêter de boire et de faire du sport. Mais en fait, pas du tout. Pas du tout parce que la semaine qui nous attend pourrait bien être plus surprenante que d’autres semaines de cette année qui nous avaient pourtant promis de bien nous secouer. Comme la semaine dernière, par exemple. Alors on attache sa ceinture et on se prépare à « peut-être » vivre la semaine feux d’artifice de 2025. On peut rêver.
L’Audio du 15 décembre 2025
La dernière
Tout d’abord, je vais vous le dire la dernière fois : la FED, elle a baissé les taux la semaine dernière. Elle a baissé les taux en nous disant qu’elle pourrait très bien le refaire encore, mais qu’elle n’était pas sûre du tout que ça soit nécessaire, donc elle pourrait aussi très bien ne pas le refaire. Ou pas autant qu’on aurait pensé qu’elle le ferait. Pour faire simple, la FED n’a aucune idée d’où elle va, ni de ce qu’elle doit faire. D’ailleurs si l’on en croit les avis des votants, on peut clairement dire qu’ils n’étaient pas du tout d’accord entre eux. Je crois que même que ça fait un paquet d’années que les membres de la FED n’avaient pas aussi peu été d’accord entre eux. Mais bon, en conclusion la banque centrale américaine a baissé les taux et ils ont annoncé qu’ils baisseraient les taux encore une fois l’année prochaine, mais que c’était pas vraiment certain, même si les « experts à Wall Street » attendaient au moins deux baisses en 2026.
Le marché a donc profité pour battre de nouveaux records en oubliant de mettre en avant deux sujets qui me semblaient pourtant assez importants. Le premier c’est que la semaine dernière, tout le monde a regardé la FED baisser les taux. Mais le vrai truc important, c’était ailleurs. Oui, parce qu’au milieu de la baisse des taux, la FED a discrètement recommencé à acheter de la dette américaine. Officiellement c’est pour améliorer la liquidité. Officieusement, on nous laisse entendre que ça pourrait plutôt être pour aider à financer un déficit hors de contrôle. Les taux courts sont sous perfusion, mais les taux longs n’obéissent plus. Malgré les baisses de taux, le 10 ans monte encore, il est à 4.18% ce matin et le 30 ans se rapproche dangereusement des 5%. Le marché ne croit plus au pilotage monétaire, il commence à regarder la dette. On appelle ça de la “gestion technique”. En réalité, c’est de la répression financière. On peut commencer à dire que la FED et le Trésor bossent ensemble. Et quand la politique budgétaire prend le dessus sur la politique monétaire… ça finit rarement en happy-end. Mais peu importe, la FED a baissé les taux et c’est ce qui nous fait le plus plaisir depuis mercredi dernier, même si la visibilité est la même qu’un matin de décembre quand tu vois plus le capot de la voiture.
On sait qu’on ne sait pas
Et puis l’AUTRE TRUC qui semble ne choquer personne, mais qui moi me choque parce que ça ne choque personne, c’est le DOT-PLOT de la FED. Bon, alors depuis le temps, vous connaissez le principe du DOT-PLOT, c’est un graphique qui projette les intentions de vote des membres de la FED et qui nous laisse supposer ce qu’ils feront dans les 12 prochains mois au niveau des taux. On sait tous que c’est du pipeau, puisque les membres de la FED ne savent même pas eux-mêmes, ce qu’ils feront demain au niveau des taux, sachant que les informations de santé sur la macro-économie est devenue aussi complexe que la quête de l’arche d’alliance. Mais peu importe le fait que l’on sache tous que c’est impossible de savoir ce qui va se passer dans 12 mois étant donné le merdier macro-économique et géopolitique dans lequel nous sommes. On pense sérieusement que les mecs de la FED, ils savent ce qu’ils font…
Et pourtant, au milieu de tout ça, personne ne semble vouloir tenir compte du fait que d’ici l’été, nous allons avoir droit à un immense coup de sac à la FED. Un immense coup de sac qui pourrait bien remettre en question l’intégrité même de la FED. Non seulement l’intégrité, mais aussi l’indépendance de la Banque Centrale Américaine. Oui, on le sait : L’indépendance de la FED est indispensable pour éviter que la politique monétaire serve les intérêts politiques à court terme. Sans cette distance avec le pouvoir, la tentation est grande de baisser les taux pour financer les déficits, au risque de relancer l’inflation et quand la banque centrale obéit au gouvernement, la crédibilité de la monnaie finit toujours par se payer cash sur les marchés. Ça ne date pas d’hier, puisque c’est le Federal Reserve Act de 1913 qui lui a donné une indépendance opérationnelle vis-à-vis du pouvoir politique et surtout le Treasury–Federal Reserve Accord de 1951 qui mettait fin à la subordination de la FED au Trésor après la Seconde Guerre mondiale et sépare clairement la politique monétaire de la gestion de la dette publique. Pourtant, la nomination du successeur de Jerome Powell qui devrait être annoncé dans les jours qui viennent pourrait bien tout changer et remettre en question l’indépendance même de la FED. Et donc, comment tu veux prévoir ce qui va se passer sur les taux, alors qu’il y a 9 chances sur 10 que le prochain patron de la FED soit un suppôt de Trump qui lui obéisse au doigt et à l’œil, comme un berger malinois et qui n’a qu’une seule mission : baisser les taux massivement et très très vite… ???
Des prévisions tronquées et une nomination contestable
Le sujet du nouveau Président de la FED pourrait donc être LE SUJET incontournable de cette dernière semaine complète de 2025. D’ailleurs Trump a déjà commencé à chauffer la salle, puisqu’il y a encore trois jours nous étions tous plutôt convaincus que le prochain Powell s’appellerait Kevin Hassett – un type qui dit à tout le monde qu’il sera indépendant, mais qui, dans la réalité semble plutôt très dépendant des instructions du Président. Sauf que depuis ce week-end, Trump a jeté de l’huile sur le feu en disant que « selon ses propres réflexions à lui-même personnellement tout seul », le candidat numéro un au poste de patron de la finance mondiale, pourrait être attribué à Kevin Warsh. Si Hassett vous semble trop aligné dans la politique de Trump, Kevin Warsh, c’est le banquier central que le Président imagine dans ses rêves les plus fous. Ancien gouverneur, plein d’études, hyper-crédible, discours policé… mais logiciel 100% Trump-compatible. Pour Warsh, la FED a trop longtemps résisté, trop longtemps freiné, trop longtemps fait semblant d’être indépendante. Les taux doivent baisser massivement parce que la croissance, la Bourse et le pouvoir politique passent avant le reste. Warsh ne voit pas la banque centrale comme un contre-pouvoir, mais comme un outil. Un outil au service de l’exécutif, du marché, du narratif. Avec lui, la politique monétaire cesse d’être une boussole pour devenir un levier électoral. Ce n’est pas un banquier central : c’est un clone de Donald Trump, à la botte de Trump, avec un pin’s de la FED accroché au revers du costard.
Donc, dans les deux cas, le nouveau Président de la FED aura le pouvoir de foutre un bordel monstre à la FED, de remettre en question le but même de la FED depuis plus de 70 ans et de rendre potentiellement l’inflation hors de contrôle. Ce qui me ramène à ma stupeur de voir que la semaine dernière, tout le monde se tapait dans le dos en se disant que c’était quand même cool de savoir que la FED savait ce qu’ils allaient faire l’année prochaine, alors qu’en fait, non seulement ils n’en savent rien déjà pour des raisons macro-économiques, mais qu’en plus, en fonction du clown qui va prendre les commandes, l’avenir est encore plus opaque et instable. Mais bon, c’est pas grave, visiblement l’important c’est de croire que tout va bien se passer et de ne pas trop foutre le bordel dans la tête des investisseurs à 10 jours du passage du gros en rouge avec ses rennes. Tout ça pour vous dire que la nomination du remplaçant de Powell pourrait nous occuper un peu ces prochains jours. Mais c’est pas tout..
Les chiffres et du bricolage
C’est pas tout, parce que le BLS (bureau of labor statistics) a quand même pas mal bossé ces dernières semaines – enfin, depuis qu’ils sont revenus au bureau après le SHUTDOWN. Et donc, cette semaine ils vont nous publier un paquet de chiffres que l’on n’avait plus vu depuis un moment. Et comme ils sont à la bourre, ils vont devoir briser la tradition et publier les chiffres de l’emploi, les fameux non-farm payrolls, le mardi plutôt que le premier vendredi du mois. Demain ils vont donc nous publier les NFP du mois de novembre, même si nous savons tous que le BLS n’est déjà pas capable de nous sortir une statistique qui tient la route du premier coup et qu’ils ont besoin d’au bas mot trois mois pour être à peu près certain du résultat. En résumé, nous connaîtrons les vrais chiffres de l’emploi du mois de novembre à la fin du mois de février, dans le meilleur des cas.
Mais c’est pas grave. C’est pas grave que l’on se prenne la tête avec des chiffres qui sont bidons et qui sont d’abord validés par la Maison Blanche sous risque de licenciement immédiat. L’important c’est de pouvoir se faire des scénarios qu’on se racontera en chantant des chansons des Noël devant le sapin. Et puisque l’on a besoin de scénarios pour se faire des films, il ne faudra pas non plus négliger la publication du CPI du mois de novembre, histoire de voir si – comme prévu dans le scénario de la Maison Blanche – l’inflation est en train de très gentiment rentrer à la niche. Mais alors très très gentiment. Et puis, il ne faudra pas non plus négliger les ventes de détail qui devraient avoir bonne figure « because » Black Friday, Saturday & Sunday et Cybermonday, ça sera mardi aussi. Puis il ne faudra pas oublier non plus les Jobless Claims, le Philly Fed et deux-trois autres réjouissances du style qui nous permettrons de voir si nous avons toujours la même manière de fonctionner et d’interpréter les choses ; à savoir : si c’est pas bon, c’est bien parce que la FED elle va baisser les taux et si c’est bon, c’est bien parce que l’économie va trop trop bien.

Et le Japon
Et puis alors, en fin de semaine nous aurons la réunion de la Bank of Japan et eux, ça sera intéressant, parce que là tout de suite, il semblerait qu’il est dans le domaine du possible d’assister à une hausse des taux. Là aussi, la probabilité de voir une hausse de taux est dans le marché – on parle de 55% de chances, mais le problème n’est pas tant la hausse qui semble dans les prix, mais plutôt le discours que fera Ueda après la hausse. S’il laisse penser que c’est que le début d’un cycle, ça pourrait avoir des conséquences sur le carry trade et donc, in extenso sur les investissements sur les actifs risqués – comme la tech, l’IA et les cryptos – oui, parce que le carry trade, c’est le carburant discret de beaucoup d’actifs à risque… et quand on coupe le moteur, l’avion perd de l’altitude très vite. Le principe est simple : on emprunte en yen à taux quasi zéro, on vend le yen, et on investit cet argent dans des actifs plus rémunérateurs. Tant que le yen est faible et stable, tout va bien. Mais si le yen repart dans l’autre sens, ça pourrait créer des turbulences et je ne vous parle même pas des fonds de pension japonais qui pourraient avoir envie de rapatrier des fonds investis aux USA à la maison.
Bref, le Japon c’est une peu une épée de Damoclès au-dessus des bourses mondiales, c’est un peu notre faille de San Andreas à nous ; on sait que ça va nous péter à la gueule un jour, mais c’est pas simple de dire quand, où et comment. Mais c’est un monstre qui pourrait commencer son réveil le 19 décembre avec la décision de la BOJ. Et puis, ce plan de marche de ce début de semaine ne serait pas complet si l’on oubliait la tech qui est au plus mal après les publications d’Oracle et de Broadcom. L’endettement du premier et la guidance du second n’ont pas plu au marché la semaine dernière et depuis, on assiste à pas mal d’ajustements de positions qui pourraient mettre la pression sur le secteur IA/Datacenters, même si ça paraît hautement improbable que tout nous pète à la figure avant Noël. Après, oui, mais avant : non !
Avant que ça sente le sapin
En résumé, cette semaine que plus personne n’avait envie de regarder pourrait bien être celle qui décide de la manière dont on va digérer 2025. Entre une FED qui baisse les taux sans trop savoir pourquoi elle les baisse, une indépendance monétaire qui commence sérieusement à ressembler à un concept, des statistiques bricolées qu’on va analyser avec beaucoup de sérieux malgré leur fiabilité douteuse, un Japon qui joue avec des allumettes au-dessus du carry trade mondial et une tech qui fait la gueule juste avant Noël, le décor est posé.
Rien n’est encore cassé, rien n’a encore explosé, mais tout est sous tension. Et dans ces moments-là, le marché ne prévient pas toujours avant de prendre un virage à 180°. Alors oui, on peut faire semblant de croire que la dernière semaine complète de l’année sera calme, mais ce serait oublier que les pires surprises arrivent souvent quand tout le monde a déjà mentalement rangé l’écran, la souris et déjà sorti le foie gras. Bref, gardez quand même un œil ouvert entre deux portes du calendrier de l’Avent. Parce que si 2025 devait nous offrir un dernier show avant le final et les feux d’artifices… ça serait très clairement maintenant.
Nous on se retrouve demain et d’ici-là, on ne baisse pas trop sa garde. Bon café, belle journée et à demain !
Thomas Veillet
Investir.ch
“Facts do not cease to exist because they are ignored.”
― Aldous Huxley