L’inflation bricolée par le BLS a « presque » disparu, la BCE ne baissera plus les taux et le Japon monte les siens, sans provoquer de tremblement de terre et laisse à penser qu’il y aura d’autres hausses de taux au pays du soleil levant dans les mois à venir. Le marché reste imperturbable et à voir les jours qu’ils nous restent avant 2026, plus rien ne semble pouvoir nous arriver. Le Rallye du Père Noël a un boulevard devant lui. Même Oracle a rebondi hier parce qu’ils sont impliqués dans le deal Tik-Tok. Que demande le peuple des investisseurs ? L’année aura été bullish et volatile, la suivante sera bullish également et sûrement encore plus volatile.
L’Audio du 19 décembre 2025
TOUT va TROP TROP bien…
À quelques encablures de la fin de l’année, ce qui se passe sur les marchés mondiaux est le parfait reflet de ce qui s’est passé depuis le premier janvier. Toutes les mauvaises nouvelles se sont transformées en « bonne nouvelles », grâce à notre capacité d’interprétation absolument fabuleuse et à cette capacité fantastique à tout transformer comme étant une indication à une baisse des taux dans un avenir proche. Et, bien sûr, toutes les bonnes nouvelles sont carrément devenues extraordinaires. Je n’ai pas souvenir d’avoir vécu une période aussi faste dans le sens de l’optimisme de marché. Il fût un temps, où « être bullish » était considéré comme de l’entêtement et on nous reprochait presque de croire à un avenir meilleur. En 2025, on aura eu l’occasion de vivre une année qui nous aura plus ou moins démontré l’inverse. Aujourd’hui, pointer du doigt ce qui va mal ou ce qui pourrait aller mal, est devenu une bonne occasion de se faire lyncher par ceux qui sont convaincus que tout va bien et que ça ira encore mieux demain. Et ils sont visiblement légions.
Tout ça pour dire que ces dernières 24 heures, il y avait pas mal de choses à attendre. Tout d’abord ce vendredi c’est la fameuse séance des quatre sorcières. Autrement dit ; la grosse échéance de futures et des options. C’est une grosse échéance parce que c’est aussi la dernière de l’année et les volumes qui seront naturellement négociés sont énormes. Comme à CHAQUE QUADRUPLE ÉCHÉANCE, on va jouer à se faire peur en expliquant que, vu les montants, tout peut arriver et que CELA POURRAIT CRÉER des mouvements de volatilité extrêmement violent. Sauf que ça n’arrive jamais. En théorie ça POURRAIT arriver, mais je peux vous dire que ça fait des années que je traîne dans le quartier et à chaque quadruple échéance on se rejoue le même film, on joue à se faire peur, mais à la fin si vous n’êtes pas market maker au CBOE à Chicago, la quadruple échéance, ça s’appelle le troisième vendredi de décembre et puis c’est tout. Faut arrêter de se la jouer Gordon Gekko.
L’inflation qui s’envole (en théorie)
Mais revenons aux choses que l’on attendait. Tout d’abord, hier il y a eu l’inflation américaine et sur le papier, c’est la bonne nouvelle du mois : l’inflation américaine ralentit brutalement en novembre. Le CPI passe de 3 % en septembre à 2,7 %, et l’inflation sous-jacente (CORE) tombe même à 2,6 %, son plus bas niveau depuis… mars 2021. Autant dire que c’est limite l’euphorie et qu’on commence presque à croire que Trump avait raison ; nous sommes dans une nouvelle ère économique. Les taux baissent, le chômage monte, les salaires grimpe moins vite, la croissance va repartir et l’inflation baisse à toute vitesse. C’est génial. Oui, c’est génial, sauf que. Et là, le SAUF QUE, il est écrit en gras et en majuscule. Parce que cette baisse soudaine de l’inflation, ce n’est pas une victoire économique. C’est surtout une victoire administrative. Le problème s’appelle : shutdown.
Pendant 43 jours, l’État fédéral a été à l’arrêt. Résultat :
• Pas de chiffre d’inflation pour octobre
• Des données de novembre collectées en retard
• Deux tiers des prix normalement relevés… pas relevés
• Et un CPI bricolé avec tout le génie que le BLS est capable de nous offrir
Autrement dit : un chiffre bancal.
Les économistes sont unanimes (et c’est pas tous les jours que ça arrive) :
“Ne prenez surtout pas ce chiffre au pied de la lettre.”
Quand on te dit que les loyers et les loyers implicites n’ont quasiment pas bougé, alors que tout le monde sait que se loger coûte toujours un rein et demi… tu comprends vite qu’il y a un souci. Même remarque côté consommation : si l’inflation avait vraiment autant ralenti, tu l’aurais senti à la caisse du supermarché. Mais pour avoir fait les courses cette semaine, je peux vous dire que c’est pas le cas. Donc oui, l’inflation ralentit. Mais pas aussi vite, et pas aussi proprement que le chiffre ne le laisse croire. Évidemment, la Maison-Blanche a sauté sur l’occasion pour sabrer le champagne et parler de “boom historique”, d’inflation maîtrisée et de salaires en hausse. Mais les marchés et les économistes regardent déjà plus loin.
Et le consensus est clair, le chiffre de décembre risque de rebondir, parce ce que les données mal collectées finissent toujours par se venger.
En résumé :
• L’inflation baisse, oui
• Mais ce chiffre est bidon et imparfait
• Le shutdown(encore lui) a faussé la photo
• Et décembre risque de rappeler à tout le monde que la vie n’est pas devenue subitement « bon marché ».
Bref, il ne faut pas confondre un bug statistique avec un miracle économique.
Les banques centrales du moment
Et puis, cette dernière semaine complète de 2025 nous aura aussi valu pas mal de choses du côté des banques centrales. Dans l’ordre, hier nous avions la BCE et la BOE et ce matin, nous avions la BOJ. Beaucoup de « B » de « O » et de « E » pour pas grand-chose. La BCE a dégainé 8 baisses de taux et s’est donc arrêtée à 2 %, pile en zone neutre. Pendant des mois, on a parlé d’une ou deux baisses de plus, puis le scénario a changé. L’économie européenne tient mieux que prévu, l’inflation remonte un peu, et les faucons ressortent du bois. Officiellement, Lagarde ne promet rien…mais le statu quo devient la nouvelle stratégie. Sauf accident macro ou euro trop fort, la BCE reste immobile — et regarde le monde bouger autour d’elle. La Banque d’Angleterre a baissé ses taux à 3,75 %, mais à l’arraché : 5 voix contre 4. Le Royaume-Uni reste coincé entre inflation la plus élevée du G7 et croissance qui s’essouffle, un grand écart inconfortable. Bonne nouvelle : l’inflation ralentit plus vite que prévu, pendant que le chômage grimpe à son plus haut depuis 2021. Résultat, les baisses de taux devraient continuer en 2026… mais sans calendrier clair, et avec beaucoup d’hésitation. Message perçu comme hawkish.
Et puis cette nuit, il y avait le Japon. Le Japon c’est le gros truc qui pourrait éventuellement nous péter à la gueule. Un yen ultra-faible, l’histoire du carry-trade qui pourrait imploser à la face du monde. Un pays qui vit à taux zéro depuis la nuit des temps et qui se retrouve face à une hausse de l’inflation qu’il va falloir gérer. La première hausse des taux annoncée cette nuit, n’aura surpris personne (visiblement) et comme on aime à le dire, parce que dans le monde merveilleux de la finance nous sommes tous des visionnaires : « c’était déjà dans les prix ». Le yen est toujours aussi faible, le rendement du 10 ans japonais passe au-dessus des 2% et la BOJ devient officiellement la première banque centrale à monter ses taux, pendant que le reste du monde va dans l’autre direction. Le 10 ans n’avait plus été aussi haut depuis 2006 et les taux directeurs qui sont désormais à 0.75% sont au plus haut depuis… 30 ans.

Le Nikkei en hausse
Les taux sont donc en train de monter, mais le patron de la banque centrale estime que les taux réels restent cependant négatifs. La BOJ vise désormais un taux terminal autour de 1 %, probablement mi-2026, histoire d’atteindre enfin ce fameux point “neutre” que le Japon n’a plus vu depuis une éternité. Ueda reste volontairement flou — le neutre serait quelque part entre 1 % et 2,5 % — parce que même la BOJ avance en terrain inconnu. Problème potentiel : si l’inflation retombe gentiment vers 2 %, une nouvelle hausse pourrait coincer politiquement avec Takaichi. Mais le yen faible et la crise du coût de la vie ont changé la donne : l’idéologie recule, la réalité marche en tête. Résultat nous avons une hausse des taux d’un côté, un plan de relance massif de 21’000 milliards de yens de l’autre — le Japon est en train de serrer la vis… tout en tenant la perfusion.
Ce matin le Nikkei est en hausse de près de 1% et pour l’instant, la crainte mécanique que nous avions de voir les taux monter au Japon n’aura été qu’un feu de tatami. Shanghai est en hausse de 0.59%, Hong Kong avance de 0.65% et hier, New York a repris 0.79% sur le S&P500 et 1.38% sur le Nasdaq. Le retour de la tech – grâce à Micron – aura permis au marché de vivre une belle journée et finalement, tout ce qui pouvait nous faire peur : financement de l’IA, baisse de la demande de l’IA, peur de l’inflation et craintes d’une mauvaise réaction des banques centrales, tout ça n’aura été finalement qu’une nouvelle fausse alerte et une encore meilleure raison de Buy The Dip. Et si je devais ne retenir qu’une seule chose de tout ce qui se passe, c’est que PLUS RIEN ne nous fait peur et que même quand on nous dit qu’un chiffre comme le CPI est plus faible MAIS PARCE QU’IL EST COMPLÈTEMENT FUCKED-UP, on le prend quand même comme UNE BONNE NOUVELLE !!! J’en conclu qu’on marche dans le noir au bord d’une falaise tout en s’obstinant à vouloir croire qu’au pire si on tombait, on apprendra à voler avant de toucher le sol.
Dans les autres nouvelles…
Pour le reste des news, on notera quand même qu’on a eu Nike qui a fait mieux que prévu sur son trimestre, mais pas assez pour séduire Wall Street. Les ventes dépassent les attentes, le bénéfice aussi… mais la rentabilité recule, le direct-to-consumer cale et la Chine reste un boulet. Malgré le discours optimiste du patron, le marché tranche net — l’action décroche, parce que la reprise n’est pas encore crédible. FedEx a pulvérisé les attentes, porté par le retour des volumes domestiques et une machine à maitriser les coûts bien huilée. Le bénéfice explose, le chiffre d’affaires surprend à la hausse, Wall Street applaudit et l’action grimpe après clôture. Seul bémol : le fret reste poussif… mais avec la scission imminente, la suite du voyage devrait être intéressante.
Et puis,on avance sur l’affaire TikTok. Oracle mène un groupe d’investisseurs pour racheter TikTok US et créer une joint-venture américaine, juridiquement indépendante, avec un board majoritairement US. Sur le papier, Washington est rassuré : données, modération et algorithmes sous contrôle local. Sur le terrain, ByteDance ne lâche pas tout : 20 % du capital, une grosse part des profits, et surtout l’algorithme… sous licence. Autrement dit : TikTok change de passeport, pas vraiment de cerveau. Le deal valorise TikTok US autour de 14 milliards de dollars et doit se conclure en janvier 2026, si Pékin dit oui. Et c’est là que ça coince : la Chine n’a encore rien validé, et elle détient toujours la clé. Oracle bondit en Bourse, les politiques applaudissent, mais les sceptiques restent méfiants. En conclusion : un compromis géopolitique élégant… mais juridiquement et technologiquement encore très fragile.
Conclusion
Au final, si on prend un peu de recul — mais pas trop, parce qu’on risquerait de voir le vide — le message des marchés est limpide : on s’en fout de tout. Des chiffres bancals ? On achète. Des banques centrales perdues en terrain inconnu ? On achète. Des taux qui montent au Japon pour la première fois depuis l’époque du Walkman de chez Sony ? On achète. Des deals géopolitiques bricolés à la va-vite entre Washington, Pékin et Oracle ? On achète aussi. La peur a disparu, remplacée par une foi quasi religieuse dans le fait que quoi qu’il arrive, quelqu’un finira par baisser les taux, injecter du cash ou changer les règles du jeu. Tant que la musique joue, tout le monde danse. Le problème, ce n’est pas que le marché soit euphorique — c’est qu’il soit devenu incapable d’imaginer autre chose. Et historiquement, c’est rarement à ce moment-là que tout se passe bien.
Aujourd’hui nous aurons encore les chiffres du PCE et du Personal Spending – mais inutile de s’inquiéter, tout va bien se passer. Il y aura également le PPI en Allemagne et pour le reste, les futures sont légèrement en hausse, le pétrole remonte un peu, le Bitcoin est dans le coma et dans 5 jours c’est Noël. Son sapin, ses rennes, sa barbe blanche et les marchés qui montent jusqu’à l’an prochain, parce qu’en fait, tout va bien. Tout va trop bien.
Excellente journée à tous et à lundi pour de nouvelles aventures et les dernières chroniques de l’année !
Thomas Veillet
Investir.ch
“We all die. The goal isn’t to live forever, the goal is to create something that will.”
― Chuck Palahniuk