Pour la deuxième année consécutive, Natixis Investment Managers, Ossiam et Barclays Investment Bank ont réuni deux sommités économiques, l’un américain et l’autre européen, pour avoir un échange de vues sur le catalyseur potentiel de la prochaine récession.

Dans un article paru en 2018 dans le Washington Post, l’économiste Jared Bernstein a déclaré: «Les expansions ne meurent pas de vieillesse: elles sont assassinées par des bulles, des erreurs des banques centrales ou un choc imprévu sur l’offre et/ou la demande dans l’économie». L’état de santé de l’économie mondiale demeure certes satisfaisant et les États-Unis enregistrent leur plus longue période d’expansion ininterrompue depuis plus de 100 ans, mais certaines menaces possibles se profilent toutefois à l’horizon.


Robert Shiller, Professeur d’économie à l’Université de Yale
Patrick Artus, Chef économiste et membre du comité exécutif de Natixis
Ce débat a été animé par Esty Dwek, Directrice de la Stratégie de Marché de Dynamic Solutions.


Sur la politique à taux zéro…

Robert Shiller
Lorsque les taux d’intérêt sont à zéro, c’est généralement le symptôme de la stagnation séculaire, comme l’illustre la décennie perdue du Japon dans les années 90. L’histoire pourrait bien être sur le point de se répéter dans la mesure où des taux d’intérêt nuls représentent un acte de désespoir. Et des taux d’intérêt négatifs… c’est encore pire.


Patrick Artus
Les banques centrales ont perdu la bataille face aux marchés de capitaux. A présent, elles sont contraintes d’agir conformément aux attentes des marchés. Ni Jerome Powell ni Mario Draghi n’ont dit aux marchés financiers qu’ils n’agiront pas nécessairement dans leur sens.

Sur l’inflation obstinément faible…

Robert Shiller – L’histoire du Japon accrédite l’effet de Fisher, mais il en existe d’autres qui se manifestent par intermittence. Ce qui me frappe, c’est que les gens ne se soucient plus de l’inflation. Auparavant, les gens craignaient que l’inflation ne soit l’un des plus grands problèmes auxquels le monde était confronté. Aujourd’hui, ils s’inquiètent davantage de l’immigration que de l’inflation.

Patrick Artus – J’ai examiné l’effet de Fisher qui avance que ce sont en fait les taux nominaux à long terme qui déterminent l’inflation. Ainsi, des taux nominaux faibles entraînent à la longue une inflation faible. Si vous pensez que cette théorie est crédible, tout indique dès lors que ce sont les banques centrales qui sont en fait à l’origine de la faiblesse de l’inflation et qui, par conséquent, rendent le monde plus pessimiste. Mais, bien sûr, je ne pense pas que la BCE apprécierait une telle étiquette.

Sur l’impact réel des tarifs douaniers…

Robert Shiller – Dans mon récent livre intitulé «Narrative Economics: How stories go viral and drive major economic events», j’ai fait des recherches sur les droits de douane durant la Grande Dépression qui n’ont pas, en fait, été incluses dans le livre. J’ai trouvé des rapports affirmant que la mise en œuvre de la loi Smoot-Hawley Tariff Act avait provoqué une guerre commerciale qui avait exercé des pressions supplémentaires sur l’économie internationale pendant la Grande Dépression. L’économie change parce que les mentalités et les raisonnements changent. Il y a plus d’un siècle, les inversions de la courbe des taux n’étaient pas considérées comme un indicateur avancé et, dans la plupart des cas, elles faisaient à peine l’objet de commentaires. Mais les gens aiment les histoires apocryphes. Aussi, la récente inversion de la courbe des taux pourrait-elle conduire à une récession? Oui, je pense qu’elle le pourrait.

Patrick Artus – L’évolution du fonctionnement des marchés du travail est également à l’origine de la faiblesse de l’inflation. En glissement annuel, la croissance des salaires est aujourd’hui de l’ordre de 1%, tandis que l’inflation sous-jacente s’établit à 1,6%. Cela signifie que seulement 0,6% provient de tout le reste, y compris de l’impact des droits de douane. Si vous étudiez les périodes passées, à des moments du cycle similaires, la croissance des salaires était généralement de 4% à 5%. Le pouvoir de négociation des salariés s’est considérablement réduit. La Chine est en train de passer d’une économie manufacturière à une économie de services et la croissance des services nécessite généralement beaucoup moins d’investissements que la croissance de l’activité manufacturière. La seule composante du PIB chinois qui enregistre une croissance est celle des services. Cette transition aura probablement un impact beaucoup plus important sur le PIB mondial que les droits de douane.

Sur le catalyseur de la prochaine récession…

Robert Shiller – La Fed de Philadelphie a mené des recherches pour démontrer que les économistes sont assez bons pour faire des prévisions sur trois à six mois. Mais au-delà d’un an, l’exactitude des prévisions se détériore rapidement. En tant qu’économiste, il est quelque peu embarrassant d’entendre que nous avons du mal à prédire à l’avance des événements aussi graves que les récessions, mais, encore une fois, il existe une profonde composante psychologique dans les récessions et les krachs. Si vous regardez les ÉtatsUnis d’aujourd’hui, Trump est un fin analyste de l’opinion publique et il s’est fait le chantre du rêve américain avec son charisme oratoire. Cette belle histoire a 50 ans, mais a été un moteur puissant dans la réussite de l’économie américaine. La prochaine récession pourrait bien survenir lorsque le prochain récit trouvera un écho.

Si vous regardez la Bulle des valeurs TMT, ou plutôt la «Bulle du Millénaire» car il ne s’agissait pas seulement des valeurs technologiques, les ratios cours/bénéfices ajustés du cycle (ratios Cyclically-Adjusted Price-Earnings (CAPE) Ratios) ne reflètent pas nécessairement un comportement de type bulle à l’heure actuelle. Les ratios des prix des logements non plus, d’ailleurs. Lors de la récession précédente, le nouveau récit tournait autour du «house flipping» (l’opération consistant à rénover puis revendre dans un court délai une maison pour en tirer une plus-value). J’avais des chauffeurs de taxi qui me donnaient des conseils sur les marchés immobiliers, sans savoir qui j’étais à l’arrière. Je ne peux pas encore identifier le récit aujourd’hui qui causera la prochaine récession.

Patrick Artus – La mobilité sociale est un concept important. Ou plutôt, c’est l’idée qu’on en a. Si les gens considèrent que la mobilité sociale est élevée, ils ont tendance à accepter beaucoup plus les inégalités. Aux États-Unis, l’impression est que la mobilité sociale est élevée, mais en réalité, elle est relativement faible. En France, c’est l’inverse, ce qui est quelque peu cocasse quand on compare le rêve américain aux Gilets jaunes. Il n’y aura au moins pas de récession due à l’endettement compte tenu de taux d’intérêt à zéro. Quand les taux d’intérêt sont à 0%, tout le monde est solvable.

Il pourrait toutefois y avoir un ralentissement de l’économie mondiale dans le sillage de la Chine qui enregistre aujourd’hui une croissance de 4%, contre 8% historiquement. Ce que nous devons faire, c’est chercher quelque chose qui fera réapparaître l’inflation et, pour cela, j’ai examiné de près les programmes politiques des candidats de l’opposition à l’élection présidentielle américaine de 2020. Des politiques comme le doublement du salaire minimum ou l’instauration de taxes punitives sur le gaz de schiste américain sont les types de politiques qui pourraient faire de cette élection un catalyseur potentiel propice à une récession. Partout ailleurs, tout choc politique ayant tout particulièrement des répercussions sur les politiques du marché du travail des pays de l’OCDE pourrait également entraîner une récession.

 


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