Le bitcoin est descendu hier sous la barre des 30,000 dollars pour la première fois depuis le mois de janvier. Quelles en sont les causes? Faut-il craindre encore davantage de baisse?
Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank
Les raisons du crash
Pour rappel, le bitcoin a amorcé sa chute au mois de mai après les tweets d’Elon Musk relatif à son aspect peu écologique. Après avoir annoncé en mars la possibilité d’acheter une voiture électrique Tesla en bitcoin, Elon Musk était revenu début mai sur sa décision. Le PDG justifiait son choix au nom de la lutte contre le réchauffement climatique. Il mettait alors en avant le fait que la création de la cryptomonnaie, très énergivore, provenait avant tout des «mineurs» chinois, dont l’électricité est produite en majeure partie avec du charbon.
L’amplitude et la soudaineté du mouvement baissier s’expliquait également par l’effet de levier très important utilisé par de nombreux traders. La baisse initiale du bitcoin a provoqué des appels de marge très importants qui n’ont fait qu’amplifier les ventes.
Depuis, les mauvaises nouvelles s’enchainent pour le bitcoin. La cyberattaque qui a visé un pipeline de pétrole aux Etats-Unis a débouché sur une demande de rançon à payer en bitcoin. Il n’en fallait pas davantage pour relancer le débat sur l’interdiction du bitcoin ou tout du moins une réglementation beaucoup plus stricte sur les cryptomonnaies. Mais plus récemment, c’est de Chine que proviennent la plupart des signaux négatifs.
La Chine s’attaque aux cryptomonnaies
En effet, les autorités chinoises ont décidé depuis quelques semaines de mettre un frein à la spéculation sur différentes classes d’actifs. Les matières premières sont dans le viseur mais également les cryptomonnaies.
Les autorités de la province du Sichuan, dans le sud-ouest de la Chine, ont ordonné vendredi la fermeture des mines de cryptomonnaies. D’autres régions, dont le Xinjiang, la Mongolie intérieure et le Yunnan, ont imposé dernièrement des mesures similaires.
Le Conseil des affaires de l’État, principale autorité administrative du pays, a promis le mois dernier de réprimer l’extraction et les échanges de bitcoins dans le cadre d’une série de mesures visant à contrôler les risques financiers.
La Chine représente plus de la moitié de la production mondiale de bitcoins et le Sichuan, où les mineurs utilisent principalement l’énergie hydraulique, est la deuxième province du pays pour l’extraction de la cryptomonnaie, d’après l’Université de Cambridge.
La fermeture de ces fermes de minage a déclenché presque de manière automatique une baisse du «hashrate», qui corresponds à la vitesse de calcul. Le «hashrate» a une forte corrélation positive avec le bitcoin car plus il est élevé, plus le réseau de la blockchain Bitcoin est robuste. Ce «hashrate» se situe actuellement au plus bas niveau depuis novembre 2020.
La Banque populaire de Chine (PBC) a déclaré lundi qu’elle avait récemment convoqué certaines banques et institutions de paiement, les exhortant à réprimer plus sévèrement les échange des cryptomonnaies.
La BPC a appelé les institutions à lancer une enquête approfondie sur les comptes des clients afin de fermer les canaux de paiement de ceux qui seraient impliqués dans les transactions en cryptomonnaies. Après cette annonce, Agricultural Bank of China, la troisième banque du pays, Alipay d’Ant Group ou encore China Construction Bank ont fait savoir qu’elles effectuaient des contrôles afin de déceler les activités illégales liées aux cryptomonnaies et de fermer les comptes suspects.
La hausse du dollar va-t-elle prolonger le «bear market» du bitcoin?
Les investisseurs institutionnels qui considèrent aujourd’hui le bitcoin comme un actif ayant sa place dans un portefeuille diversifié le font sur la base de deux arguments principaux.
Le premier est celui d’une réserve de valeur. C’est en tout cas le raisonnement de Ray Dalio ou des jumeaux Winklevoss qui considèrent le bitcoin en tant qu’«or numérique». Pour ces investisseurs, le dollar est appelé à terme à se dévaluer fortement. Par conséquent, les investisseurs doivent être en mesure de protéger leur pouvoir d’achat; l’investissement dans le bitcoin peut remplir ce rôle. Cette thématique a été pertinente ces dernières années alors que le dollar ne cesse de s’affaiblir.
Autre argument pour l’inclusion du bitcoin: celui de la décorrélation avec les autres actifs. Le gérant star» de hedge funds Paul Tudor Jones a récemment déclaré à CNBC qu’il mettrait 5% de son portefeuille personnel dans le bitcoin pour cette raison.
Mais le bitcoin est-il vraiment non corrélé au dollar américain?
En étudiant la corrélation historique entre le bitcoin et le dollar, on s’aperçoit que cette relation n’est pas stable dans le temps et fluctue énormément. En mars 2020, la chute du bitcoin avait coïncidé avec la hausse du dollar. Après les interventions massives de la Fed en avril 2020, le dollar était reparti à la baisse alors que le bitcoin avait entamé un phénoménal marché haussier. Sur cette base, il était en effet possible de conclure à une certaine décorrélation entre le dollar et le bitcoin. Mais si l’on regarde les derniers mois, le dollar a atteint un plus bas fin 2020 alors que le bitcoin a continué sa hausse. Ce n’est que très récemment que le dollar a entamé un rebond alors même que le bitcoin continue de baisser.
En quoi une hausse du dollar pourrait être néfaste pour le bitcoin? Nous avons identifié 3 raisons principales.
La première est celle du signal «risk-off» envoyé par un dollar fort. Fondamentalement, les cryptomonnaies sont des actifs ultra-risqués alors même que le dollar est le refuge ultime lorsque les investisseurs recherchent des liquidités. Il va de soi que les investisseurs seront plus enclins à détenir des cryptos dans un environnement «risk-on» et plutôt des dollars dans un contexte «risk-off».
Le deuxième argument est celui du recours à la planche à billet par les banques centrales. L’argument de l’«helicopter money» a porté les cryptos pendant de nombreux mois. Pour les investisseurs, le surplus de liquidités injecté par la Fed et les autres grandes banques centrales a de fortes chances de bénéficier aux actifs risqués dont le bitcoin. Mais qu’adviendrait-il si ces banques centrales devenaient plus raisonnables? Le signal de prudence envoyé par la Fed sur une possible normalisation de la politique monétaire remet en cause cet argument.
Dernière raison pour laquelle il faut se méfier de la hausse du dollar: celle des «stable-coins». Comme nous avons mentionné lors d’une récente publication dans ces colonnes, le tether (USDT) a peut-être joué un rôle important dans la hausse du bitcoin. Le tether n’ayant pas 100% de dollar en collatéral, une hausse de ce dernier peut potentiellement créer des problèmes qui iraient bien au-delà du tether. Imaginez une vente massive de tether déclenchée par les doutes des investisseurs quant à leur possibilité de changer le «stablecoin» 1 :1 en dollar. Le cercle vertueux (les achats de stablecoins provoquent davantage d’achats de bitcoin) pourrait vite se transformer en cercle vicieux (les ventes de tether déclenchent davantage de ventes de bitcoin).
Analyse technique
Pour la plupart des analystes techniques, le bitcoin est très mal orienté. D’une part, nous assistons à un phénomène dit de «death cross» (« croix mortelle ») – cf graphique ci-dessous. Il s’agit d’un croisement de moyennes mobiles à la baisse. C’est un signal de vente. La croix mortelle désigne ainsi le moment où une moyenne mobile à court terme (50 jours) casse une moyenne mobile à long terme (200 jours) qui pouvait servir de support. Cela signifie que la tendance baissière s’accélère.
La plupart des techniciens mettent également en avant une configuration dite de Head & Shoulders (tête et épaules). Les plus hauts historiques du bitcoin (la tête) sont entourés de deux plus hauts intermédiaires (les épaules). Souvent, ce type de configuration entraine une baisse supplémentaire qui corresponds à la baisse en pourcent entre la tête et les épaules (potentiel de baisse jusqu’à $15,800 environ tel que mentionné sur le graphique ci-dessous).
Autre développement négatif, celui mis en avant par le célèbre analyste Cryptoquant. Ce dernier a jeté un froid en indiquant qu’un marché baissier sur le bitcoin était bel et bien en cours, constatant des mouvements importants de la part de «bitcoin whales» (de très importants détenteurs de bitcoin) de leurs portefeuilles digitaux vers les échanges tels que Binance ou Coinbase. Ce type de flux de la part des «whales» indiquent une volonté de se débarrasser d’une partie de leur bitcoin – un mouvement qui n’est donc pas très positif pour la direction à court et moyen terme du bitcoin.
Des raisons de ne pas céder à la panique
Tous les techniciens ne sont pas forcément pessimistes. Ainsi, certains analystes restent très positifs, mettant en avant le fait que la fameuse «death cross» mentionnée ci-avant doit être dédramatisée, car la moyenne mobile à 200 jours reste orientée à la hausse.
Parmi les plus optimistes, «Plan B» prévoit de nouveaux plus hauts d’ici à la fin de l’année. Pour rappel, «Plan B» est un investisseur institutionnel néerlandais qui s’est essayé à prédire la valeur théorique du bitcoin à travers le temps. Ce modèle quantitatif, qui est basé sur la rareté des actifs, a été publié le 22 mars 2019. Il s’agit du montant total des réserves d’une ressource (le «Stock») divisé par sa production annuelle («Flow»). Comme le montre le graphique ci-dessous, le modèle prédit que le prix du Bitcoin devrait s’échanger à près de 100,000 dollars d’ici la fin de cette année. Et bien au-delà les années qui suivent…
Au niveau des arguments fondamentaux mentionnés ci-avant, rappelons tout d’abord le fait que le minage peut s’effectuer à bien d’autres endroits qu’en Chine. D’ailleurs, de nombreuses fermes de minages sont déjà en train de s’implanter au Texas et dans le Maryland par exemple.
Enfin, concernant le dollar américain, rien ne permet d’affirmer avec certitude que le «bull market» du dollar peut se pérenniser. Les fondamentaux du dollar restent fragiles, avec des déficits jumeaux colossaux aux Etats-Unis et une réserve fédérale qui n’aura d’autre choix que de continuer à augmenter la taille de son bilan si les Etats-Unis veulent monétiser leur endettement massif. Une récente étude de Deutsche Bank montrait ainsi que le bilan de la banque centrale américaine pourrait passer de 8 trillions aujourd’hui à près de 40 trillions d’ici à 2050 (cf. graphique ci-dessous). Dans un tel contexte, le bitcoin pourrait continuer à jouer son rôle refuge.
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