Les entreprises de faible qualité peuvent temporairement faire des bénéfices avec plus de dettes, sacrifiant les investissements à long terme.
Par Matthew Benkendorf, Chief Investment Officer Quality Growth Boutique, Portfolio Manager, Igor Krutov, Director of Research Quality Growth Boutique et Edmund Yuen, Research Analyst
En bref
- Les entreprises de faible qualité peuvent temporairement faire des bénéfices avec plus de dettes, sacrifiant les investissements à long terme. Elles profitent aussi de facteurs exogènes temporaires ou d’une reprise cyclique. Mais ces types de croissance à court terme ne durent pas.
- Le contexte de taux d’intérêt bas qui a perduré pendant dix ans après la crise financière mondiale a bien contribué à la hausse des marges nettes. La hausse des taux d’intérêt aura des effets à long terme, car la majorité de la dette des grandes entreprises US est à taux fixe, et seulement 10% des emprunts des entreprises du S&P 500 arriveront à échéance cette année.
- Quand les sources de croissance non durable reculeront, la distinction entre la croissance structurelle et celle due à des facteurs temporaires deviendra évidente. Les entreprises de qualité, conçues pour réussir en toute condition, jouiront d’une capitalisation continue, tandis que celles à vitesse linéaire peuvent être plus sensibles aux contextes tendus.
«Les meilleurs pilotes ont cette aptitude suprême à gérer toutes les situations, toutes les voitures, toutes les conditions de conduite et tous les types de course.» Enzo Ferrari
Investir c’est souvent comme une course de F1. N’importe quelle voiture peut être la plus rapide sur de courtes périodes. Mais les meilleures sont conçues pour avoir de bons résultats peu importe le circuit et pas seulement pour atteindre leur maximum sur une ligne droite dégagée. En investissement, cela signifie obtenir une croissance régulière des bénéfices sur le long terme, avec un ensemble d’entreprises dotées des meilleurs moteurs de qualité et dirigées par les équipes de gestion les plus talentueuses. Depuis le stand, nous étudions en permanence les conditions météorologiques et l’état de la piste dans le but d’offrir des performances optimales à nos clients.
Progresser nécessite un état d’esprit à long terme
Parfois, les investisseurs se laissent abuser par des mesures brèves prises pour accroître des bénéfices d’entreprise. Ainsi, des entreprises de faible qualité peuvent temporairement accroître leurs bénéfices au-delà de leur rendement de capitaux propres sous-jacent par la dette. Cela accroît toutefois le risque financier de l’entreprise. Elles peuvent aussi atteindre leurs objectifs de bénéfices à court terme en sacrifiant des investissements à long terme, comme la R&D dans l’industrie pharmaceutique, ou les dépenses de création de marques, telles que la publicité de marque dans les biens de consommation de base. Les deux forment un risque pour la croissance durable. Les entreprises de faible qualité peuvent aussi bénéficier temporairement de facteurs exogènes, comme les plans de relance contre les effets de la COVID-19, ou profiter d’une reprise cyclique, comme la hausse des prix de l’énergie.
À court terme, les marchés tendent à récompenser les récits plutôt que les faits. Les valorisations d’entreprises à croissance rapide ont augmenté en 2020 et 2021, même pour celles qui consomment des liquidités et sans rentabilité. Mais l’excitation du marché, non étayée par de solides performances financières, conduira finalement à la déception.
Les grandes entreprises n’affichent pas chaque année la plus forte croissance des bénéfices sur le marché. Mais elles se concentrent sur le maintien de leurs avantages concurrentiels. Ainsi, le constructeur de luxe Ferrari N.V. poursuit intentionnellement une stratégie de faible volume de production afin de maintenir sa réputation d’exclusivité et de rareté, ce qui se traduit par de fortes marges et des rendements du capital. Avec des performances constantes et des améliorations technologiques, Ferrari a su augmenter régulièrement ses prix sur le long terme. Cette approche a été payante.
Défis de la normalisation des bénéfices
En évaluant les entreprises, les investisseurs tenteront d’ajuster les facteurs temporaires évidents qui influent sur les performances à court terme de l’entreprise. Pour une estimation des bénéfices ajustés, les analystes évaluent en général:
- Les tendances de croissance moyennes, soit le taux de croissance sur tout le cycle
- Les ratios de rentabilité moyens, p. ex. marges d’exploitation moyennes
- Les ajustements produits/charges hors exploitation, p. ex. gains/pertes de change
- Exclusion des dépenses non récurrentes, p. ex. dépenses liées à la COVID.
Le marché a été relativement efficace dans la normalisation de l’impact négatif de la COVID sur les bénéfices des entreprises. Notamment pour ajuster les dépenses ponctuelles de la COVID et pour établir des comparaisons avec les ratios moyens de croissance/rentabilité avant COVID. Mais la normalisation des résultats des entreprises qui ont tiré profit de la COVID a été moins efficace, comme l’illustre la volatilité des prévisions de revenus des semi-conducteurs en glissement annuel (Graphique 3).
La normalisation des bénéfices nécessite souvent du discernement, les anomalies persistantes posant particulièrement problème aux investisseurs. Plus une anomalie persiste, plus les investisseurs sont susceptibles de la prendre pour une norme. Nous, humains, sommes sujets à des biais cognitifs, des processus de pensée qui nous donnent une réalité subjective qui peut être loin de la vérité. L’un de ces biais est l’«ancrage»: un investisseur utilise un objectif ou une valeur spécifique comme point de départ et prend ensuite des décisions basées sur la valeur d’ancrage. Des résultats erronés peuvent ainsi apparaître lorsque l’ancre ne correspond pas à la réalité.
L’un des exemples les plus évidents est l’effet du contexte de taux d’intérêt bas qui a persisté pendant plus d’une décennie après la crise financière mondiale. Durant cette période, les marges nettes ont crû pour les entreprises manufacturières du S&P 500, avec un pic de près de 18 % en 20221. La question pour les investisseurs est de savoir s’il s’agit d’une nouvelle normalité ou d’une anomalie à laquelle ils se sont «ancrés».
Mais la baisse des taux d’intérêt a été le principal facteur de hausse de la marge nette des entreprises manufacturières entre 2010 et 20212. Autres facteurs: la baisse des taux d’imposition et les économies sur les salaires via l’externalisation. (Graphique 4).
La hausse des taux ne pèse pas encore sur les grandes entreprises US
Les taux d’intérêt bas, favorables durant ces dix dernières années, deviendront un facteur défavorable pour les entreprises alors que les taux augmentent. Mais cette pression ne se fera sentir que dans le temps en raison de la structure de la dette: la majorité de la dette des grandes entreprises US est à taux fixe, et seulement 10% des dettes des entreprises du S&P 500 arriveront à échéance cette année. Toutefois, à mesure que la dette à taux fixe arrive à échéance, de nouveaux prêts et de nouvelles obligations seront émis à des taux nettement plus élevés. La douleur se fera sentir à mesure que la dette des entreprises arrivera à maturité et sera refinancée.
Des conditions plus difficiles à venir
Pendant plus de dix ans, les taux d’intérêt bas ont réduit le coût du service de la dette et augmenté les marges. La baisse des taux d’imposition et la limitation des salaires ont également été des facteurs favorables qui ne perdureront pas. Mais les investisseurs ne doivent pas prendre cela pour la norme, ni sous-estimer les perturbations potentielles pour les entreprises qui doivent s’adapter à un nouveau statu quo.
Tout comme le mauvais temps et les pistes difficiles qui testent l’endurance des voitures et les compétences des pilotes, la volatilité de l’environnement économique mettra en évidence les faiblesses des portefeuilles des investisseurs. Quand les sources de croissance non durable reculeront, la distinction entre la croissance structurelle et celle due à des facteurs temporaires deviendra évidente. Les entreprises de qualité, conçues pour réussir en toute condition, jouiront d’une capitalisation continue, tandis que celles à vitesse linéaire peuvent être plus sensibles aux contextes tendus.
1. Au sens large, on entend ici que les entreprises de l’indice S&P 500 fabriquent quelque chose
2. Source: Corporate Reports, Empirical Research Partners
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