Alors que les inquiétudes d’une bulle technologique refont surface, certaines industries, elles, n’attendent pas pour transformer la promesse en rendement. De la finance algorithmique à l’usine connectée, des réseaux énergétiques intelligents aux chaînes logistiques auto-apprenantes, l’intelligence artificielle s’impose non plus comme un gadget d’innovation mais comme un moteur structurel de performance. Passage en revue de trois secteurs en pleine bourre.
I/ La finance
Depuis l’adoption des systèmes d’expert dans les années 1980 pour automatiser les évaluations de crédit, les analyses financières et les prédictions de marché, avec par exemple le lancement de Protrader en 1986, la finance se trouve à la pointe de l’adoption des dispositifs d’automatisation. Le trading à haute fréquence requiert ainsi de longue date l’usage d’algorithmes pour assister les traders. La vague actuelle de l’IA ne fait pas exception : le secteur a été pionnier dans l’adoption de l’IA générative, suite à la vague déclenchée par ChatGPT, avec des effets qui commencent déjà à se manifester. Selon une étude de McKinsey parue l’an dernier, 58% des institutions financières interrogées constataient déjà une hausse de leur chiffre d’affaires grâce à l’IA.
Des études conduites par des banques américaines ont quant à elles montré que l’adoption de l’IA permettait d’accélérer considérablement la prise de décision d’accorder un prêt ou non. Une étude en particulier cite des délais réduits de 12 à 15 jours en moyenne à 6 ou 8.
Si les grandes institutions font preuve d’un enthousiasme certain, les start-ups sont plus promptes à faire bouger les lignes. Iwoca, une jeune pousse britannique spécialisée dans les prêts aux PME, a ainsi très tôt misé sur l’adoption de l’IA pour améliorer son efficacité. Elle a développé un modèle d’IA maison pour évaluer la santé financière d’une PME de façon plus précise et rapide que les méthodes classiques utilisées par les banques, en s’appuyant sur l’open data. Bilans comptables, flux bancaires ouverts, historiques de transactions, paiements fournisseurs… des milliers de données sont analysées en temps réel par ses algorithmes. Plus de la moitié des décisions de prêts accordées par l’entreprise sont ainsi prises instantanément grâce à l’IA. Ces modèles sont en outre capables d’apprendre de manière continue: à mesure qu’ils reçoivent de nouvelles données (remboursements, retards de paiement, tendances macros…), ils ajustent leurs paramètres et améliorent leurs prévisions de défaut sur les prêts accordés.
«L’an passé, nous avons créé 2,5 milliards de livres sterling de valeur pour l’économie à travers nos prêts accordés aux PME. Cela n’aurait pas été possible sans l’IA. Nous sommes très fiers de ce résultat et misons sur cette technologie pour accroître encore ce chiffre», affirme Christoph Rieche, patron d’iwoca.
Les banques utilisant l’IA au service de la détection de fraudes rapportent quant à elles un taux de précision de 90%, au service de sérieuses économies.
II/ L’industrie
Des chaînes de montage aux objets connectés en passant par l’impression 3D, le secteur industriel a, lui aussi, régulièrement été à la pointe de l’innovation, et l’adoption de l’IA ne fait pas exception. Elle vient se combiner à la 5G au service de l’industrie 4.0, avec des usages notamment pertinents autour de la maintenance prédictive.
Une étude de SmartDev réalisée en 2024 montre ainsi que, dans une grosse usine de l’agro-alimentaire, l’introduction de la maintenance prédictive pilotée par l’IA a permis de réduire les frais de maintenance de 30%, d’améliorer l’efficacité des équipements de 25% et de planifier les opérations de maintenance hors des heures de production, évitant ainsi que du matériel soit indisponible durant les heures de travail.
Ce n’est pas la seule étude allant dans ce sens. Une autre, signée Deloitte et datant également de 2024, montre que 89% des industriels interrogés avaient investi dans l’IA. Au sein des usines comprenant entre 100 et 500 employés, l’usage de la maintenance prédictive via l’IA avait permis un retour sur investissement positif sous 12 à 18 mois.
Enfin, une troisième étude de ScienceDirect a montré que l’usage de capteurs sur les équipements lourds, dont les données sont collectées, puis analysées à l’aide d’algorithmes d’IA, permettait de détecter 70% des défaillances vingt-quatre heures avant qu’elles ne se produisent, permettant ainsi de réduire à la fois les opérations de maintenance inutile et les failles techniques.
Les usages de l’IA dans l’industrie ne se réduisent toutefois pas à la maintenance prédictive. Un nombre croissant d’industriels misent par ailleurs sur l’intégration de robots collaboratifs, ou “cobots”, afin d’améliorer l’efficacité de leurs processus. S’ils étaient encore très récemment un luxe réservé aux géants comme Amazon, les progrès de l’IA et de la robotique ont au cours des dernières années permis l’émergence de robots plus petits, plus intelligents et moins coûteux, qui peuvent être utilisés par des industriels plus modestes.
Une étude d’Universal Robots sortie cette année et réalisée sur un panel d’usines européennes ayant adopté des cobots a montré des baisses de coûts situées entre 10 et 20%.
Les robots humanoïdes, qui ont récemment accompli des progrès spectaculaires, sont à cet égard particulièrement intéressants, selon Lionel Robert Jr., professeur de robotique à l’université du Michigan, l’une des universités américaines à la pointe de cette discipline. «Plusieurs études montrent que les humains interagissent plus volontiers avec des robots humanoïdes qu’avec leurs homologues qui ne nous ressemblent pas du tout. L’aspect humanoïde est donc important, à la fois pour établir une relation de confiance, mais aussi pour des raisons pratiques: un robot humanoïde peut facilement évoluer dans un environnement conçu pour les humains, sans besoin d’adapter cet environnement au prix de travaux complexes et coûteux.»
Plusieurs entreprises sont déjà bien positionnées sur ce créneau. Citons notamment Boston Dynamics, dont le robot Atlas et ses prouesses captées en vidéo font depuis plusieurs années le buzz sur la toile. Tesla et son robot Optimus, qui pour Elon Musk constitue l’avenir de l’entreprise, devant ses voitures électriques. Ou encore la Chine, très active dans ce domaine, à travers des sociétés comme Unitree, UBTECH Robotics, ou encore la jeune pousse X Square Robots, qui vient de lever l’équivalent de 100 millions de dollars lors d’un tour de table mené par Alibaba.
III/ L’énergie
L’énergie est plus que jamais un secteur hautement stratégique, à l’heure où les infrastructures d’IA font peser une pression croissante sur la grille. Mais si elle constitue un défi considérable, l’IA commence aussi à exercer des effets bénéfiques sur l’industrie. Dans une étude de Deloitte parue cette année, une grande société de l’énergie affirme ainsi que sur certains projets d’IA, elle a généré de deux à trois euros pour chaque euro investi. Une étude de PWC montre de son côté que le secteur est avide de recruter des talents ayant des compétences en IA : leur salaire est le double de ceux qui n’ont pas de telles compétences.
L’IA peut optimiser le fonctionnement de la grille énergétique (on parle de grille intelligente ou “smart grid”), en adaptant de manière fluide et continue l’offre à la demande afin d’anticiper et éviter les surcharges. Google a ainsi mis ses algorithmes d’IA au service de plusieurs énergéticiens américains, confrontés d’une part à des hausses brutales de la demande d’énergie dues à l’explosion du nombre de centres de données d’IA, aux objets connectés et au véhicule électrique, et d’autre part à une production d’énergie plus intermittente du fait du poids croissant qu’occupe le renouvelable par rapport au fossile. Google affirme que ses modèles ont permis de réduire les erreurs de prédiction de 20%, donnant aux énergéticiens la possibilité d’éviter les pannes ou au contraire le gaspillage d’énergie.
La maintenance prédictive est également pertinente dans le domaine de l’énergie. Le géant américain General Electric passe ainsi en temps réel les données de ses turbines, transformateurs et systèmes électriques, qui sont ensuite collectées dans sa plateforme Predix et passées à la moulinette de l’IA pour détecter et prévenir les pannes. L’entreprise estime ainsi économiser environ un milliard de dollars par an.
Enfin, l’IA permet également de repenser le fonctionnement de la grille énergétique pour l’adapter à la conversion aux énergies renouvelables. Amazon déploie par exemple ses algorithmes pour optimiser le stockage de l’énergie générée par l’éolien dans des batteries, afin de déterminer, en fonction des conditions climatiques et de l’évolution de la demande, le meilleur moment pour stocker l’énergie ou au contraire la déployer directement sur la grille.