Réglementation, transparence et sensibilité aux coûts ont concouru à détourner des billions de dollars des stratégies d’investissement actives au profit des stratégies indicielles passives.

David F. Lafferty, CFA
Chief Market Strategist, Natixis Global Asset Management

La gestion indicielle rehausse la barre

Nous délaissons ce mois-ci l’économie mondiale et les marchés de capitaux internationaux pour plusieurs raisons. Premièrement, nos vues ont été amplement relatées dans ces domaines au cours des derniers mois. A savoir, les actifs risqués vont continuer de s’apprécier tant que durera la croissance mondiale synchronisée. Toutefois, les investisseurs doivent tempérer leurs attentes dans la mesure où les valorisations au sein de l’ensemble des actions, des obligations souveraines et des obligations d’entreprises demeurent élevées. En d’autres termes, la solidité des fondamentaux va exercer des pressions haussières sur les actifs, mais le potentiel d’appréciation est probablement limité à plus long terme dans la mesure où aucune grande classe d’actifs n’est bon marché. Deuxièmement, la situation globale n’a guère évolué. Pour les investisseurs internationaux, le contexte demeure marqué par la croissance mondiale, la lente normalisation des politiques des banques centrales, l’incertitude entourant la réforme fiscale aux États-Unis et le défi des valorisations.

Ce mois-ci, nous abordons le populaire et éternel débat “gestion active contre gestion passive”. Notre objectif n’est pas d’affirmer que l’une est mieux que l’autre, les deux ayant leur utilité au sein d’un portefeuille diversifié de stratégies. Nous allons plutôt étudier la façon dont l’essor de la gestion indicielle contraint (paradoxalement) les gérants actifs à redoubler d’efforts – une bonne chose pour les investisseurs de tous types.

 

Adaptation active

Les temps sont difficiles pour les gérants actifs. Réglementation, transparence et sensibilité aux coûts ont concouru à détourner des billions de dollars des stratégies d’investissement actives au profit des stratégies indicielles passives. Pour beaucoup, les perspectives de la gestion active sont assombries par le fait que les investisseurs s’impatientent contre la période prolongée de sous-performance des gérants actifs par rapport aux principaux indices. De plus, nombre de ces gérants continuent de prélever des frais qui sont sensiblement plus élevés que ceux des alternatives passives. Après plus de 35 années de performances principalement liées au bêta alliées à des marges bénéficiaires anormalement élevées au sein de l’ensemble de l’industrie, la combinaison caractérisée par plus de frais et moins de performances apparaît définitivement intenable.

Si les gérants actifs ont toujours été en concurrence les uns avec les autres, ils n’ont toutefois jamais eu à faire face à une menace d’une telle ampleur.

Ce sont là des facteurs négatifs de poids. Si les gérants actifs ont toujours été en concurrence les uns avec les autres, ils n’ont toutefois jamais eu à faire face à une menace d’une telle ampleur. Mais, l’ironie de la chose c’est que les pressions exercées par les stratégies passives bon marché pourraient à terme sauver l’industrie de la gestion active. Comme Darwin l’a démontré, les espèces les plus adaptables sont celles qui, en bout de chaîne, survivent. Dans ce cas, la gestion passive impose des changements à la gestion active qui n’ont que trop tardé. Nous identifions cinq tendances qui devraient être de bon augure pour les gérants actifs les mieux à même de s’adapter au cours des prochaines années.

 

#1 : frais réduits, meilleures performances

La première, et la plus manifeste : la gestion indicielle contraint les gérants actifs à réexaminer la compétitivité de leurs frais. A l’avenir, les gérants actifs devront mieux mettre en adéquation leurs frais avec leur capacité à générer de la surperformance. Ces ajustements à la baisse permettront par définition d’améliorer les performances nettes (toutes choses égales par ailleurs). Les changements réglementaires jouent également un rôle. Des directives telles que la RDR au Royaume-Uni et les règles fiduciaires proposées aux États-Unis forcent les acheteurs de fonds à acheter des catégories de parts à moindres coûts dans la mesure où nombre des dépenses superflues ont été supprimées. Aux États-Unis, les parts B aux frais élevés ont disparu il y a plusieurs années, tandis que les ventes de parts C autrefois prisées sont moribondes. La vérité est que nombre de ces catégories de parts avaient un total de frais sur encours si élevé que toute surperformance à long terme était peu probable. La transition de l’industrie vers des coûts moins élevés semble bien engagée. Une récente étude de FUSE Research Network (“The Persisting Fee war”) révèle que les frais moyens des fonds actions gérés activement ont baissé de 0,92% à 0,75% au cours des dix dernières années, soit une diminution de 18 %. A mesure que les gérants actifs continuent de réduire leurs frais et que les investisseurs exigent une rationalisation des catégories de parts, l’univers de la gestion active comptera de moins en moins de sous-performeurs structurels.

 

#2 : rationalité et dynamisme

Outre l’amélioration des performances, un contrôle plus strict des coûts pourrait également avoir des effets positifs. Selon nous, la perception de moindres frais se traduira par une plus grande rigueur et efficacité de la part des gérants actifs. Avec les années, le niveau élevé des marges bénéficiaires au sein de l’ensemble de l’industrie a conduit les gérants actifs à perdre de vue leur priorité. Beaucoup ont surinvesti dans des domaines d’activité sans aucun lien avec la création d’alpha, mais à mesure que les marges se réduisent, le temps des cadeaux et du gaspillage est probablement compté. Les pressions sur les recettes vont contraindre les gérants actifs à se rationaliser et à se concentrer entièrement sur les activités qui visent à générer de l’alpha. Ils pourraient de plus en plus se tourner vers les nouvelles technologies afin de réduire les coûts salariaux et chercher à assurer la régularité de leurs performances. Une approche plus “intelligente” en matière de trading et une utilisation plus efficace des techniques quantitatives devraient pouvoir se traduire par des dépenses moins élevées et des performances plus compétitives.

 

#3 : disparition des gérants «faussement actifs»

Le recentrage sur la génération de surperformance conduira naturellement les gérants à créer des portefeuilles différenciés. Dès les années 80, les sociétés de gestion avaient commencé à se rendre compte que les portefeuilles pouvaient être rendus plus efficients en séparant le bêta bon marché de l’alpha cher. Aujourd’hui, même les investisseurs particuliers comprennent les risques liés à la réplication des indices de référence et au fait de surpayer pour le bêta, et ils contraignent progressivement les gérants “faussement actifs” à quitter le secteur. Alors que les investisseurs doivent composer avec, d’un côté, le bêta peu onéreux et, de l’autre, l’alpha plus cher, les fonds actifs qui restent seront plus concentrés et auront moins de positions communes avec les indices de référence. Si cette “part active élevée” n’est pas à elle seule suffisante pour générer de la surperformance, elle est toutefois certainement une condition nécessaire. En conséquence, ces stratégies structurellement incapables de générer des performances supérieures à leurs dépenses verront leur nombre diminuer dans les bases de données. Au même titre que la baisse des frais, cette troisième tendance aura également pour effet d’améliorer la performance relative des gérants actifs par rapport à leurs indices de référence.

Les investisseurs peuvent s’attendre à ce que les marchés demeurent relativement efficients, mais l’essor des actifs indiciels peut créer de plus importantes poches de titres mal valorisés.

#4 : personne ne prête attention aux fondamentaux?

Une quatrième conséquence de l’essor de la gestion passive est une dégradation grandissante de l’allocation de capital. Paradoxalement, la gestion indicielle pourrait être à l’origine de plus grandes opportunités pour les gérants actifs dans la mesure où davantage de capitaux sont mis sur pilote automatique sans aucune considération pour la qualité des actifs. Aujourd’hui, la plupart des actifs indiciels sont simplement alloués sur la base de la capitalisation boursière (pour les actions) ou de la taille des émissions (pour les obligations). Aucune distinction n’est faite en ce qui concerne les fondamentaux des entreprises, leurs valorisations, leurs risques ou leurs pratiques de gouvernance. Les investisseurs peuvent s’attendre à ce que les marchés demeurent relativement efficients, mais l’essor des actifs indiciels peut créer de plus importantes poches de titres mal valorisés. Une fois encore, il n’y a aucune garantie que la plupart des gérants actifs seront à même de tirer systématique avantage de ces anomalies de valorisation. Toutefois, pour les gérants actifs suffisamment compétents afin de les exploiter, les occasions de générer de l’alpha sont susceptibles de se faire plus nombreuses.

 

#5 : les dangers du pilote automatique

Enfin, certaines stratégies actives devraient bénéficier de l’une des faiblesses de la gestion indicielle : l’incapacité à gérer le risque. Les grands indices pondérés par la capitalisation boursière et la taille des émissions sont toujours entièrement investis et offrent du pur bêta, ce que le marché génère, que cela soit bon ou mauvais. Depuis 2009, cet état de fait a été du pain béni pour les stratégies passives dans la mesure où les actions internationales se sont appréciées, tandis que la baisse des taux d’intérêt a soutenu les obligations. Mais, le marché baissier refera tôt ou tard son apparition et, lorsque cela sera le cas, les investisseurs redécouvriront le revers de la médaille de la détention d’actifs en mode pilote automatique. Il n’y a certes aucune garantie que les stratégies actives surperformeront en moyenne les indices au cours de la prochaine grande correction, mais ces gérants ont au moins la possibilité de réduire leur niveau de risque durant de ces périodes difficiles. Au cours du prochain marché baissier, de nombreux investisseurs qui ont été gâtés par l’entière participation à la progression des marchés vont alors réaliser combien est douloureuse l’entière participation à leur repli. Comme pour les avions et les voitures autonomes, l’enthousiasme pour le pilote automatique pourrait s’émousser après le premier accident. Cela pourrait se produire lorsque les investisseurs montreront un respect renouvelé pour les stratégies actives qui peuvent conférer une certaine protection contre la baisse, chose que les indices sont, par définition, incapables de faire.

Comme pour les avions et les voitures autonomes, l’enthousiasme pour le pilote automatique pourrait s’émousser après le premier accident.

Réveil brutal

Aucun de ces facteurs, pris isolément ou ensemble, ne garantit que le gérant actif moyen fera mieux que l’indice ou surperformera après imputation des frais. Toutefois, les pressions exercées par la gestion indicielle passive contraignent les gérants actifs à s’attaquer aux sources d’inefficacité et de sous-performance. En proposant des frais plus appropriés et en éliminant les gérants “prétendument actifs”, les stratégies actives devraient gagner en compétitivité. De plus, le réveil brutal qui accompagnera le prochain marché baissier contraindra les investisseurs à faire preuve d’un plus grand discernement à l’égard des actifs qu’ils détiennent, ce qui incitera nombre d’entre eux à se tourner vers les stratégies à même de mieux gérer le risque. Au lieu de se plaindre, les gérants actifs doivent saisir l’opportunité offerte par les changements qui interviennent dans l’industrie de la gestion d’actifs. Sur le long terme, les pressions concurrentielles de la gestion indicielle pourraient bien sauver la gestion active.