La Fed montera-elle ses taux le 26 juillet après avoir passé son tour cette semaine? Jerome Powell ne le sait pas. Ne feignons pas d’être plus malin que lui, nous non plus. La communauté des investisseurs est partagée entre le possible et le probable. Bref, ce n’est ni exclu, ni certain et la décision ne sera peut-être arrêtée que le jour même. La confusion du message de la Fed reflète la confusion des statistiques économiques, qui ne sont ni brûlantes (surchauffe), ni glaciales (récession) mais entre les deux. Tous les facteurs pour que la désinflation s’intensifie sont en place, reconnaît Mr Powell, mais les progrès sont à ce jour trop timides pour acter avec certitude la fin du cycle de hausse de taux.
Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste
La décision du FOMC de ne pas monter les taux directeurs était attendue. Il était aussi admis que la Fed afficherait un biais haussier afin de se laisser une flexibilité d’action. La surprise est venue de ce que, dans l’exercice de projections auquel se livrent tous les membres du FOMC, le point terminal du cycle de hausse des taux soit rehaussé de 50pdb en moyenne. La possibilité d’une hausse de taux passe encore, mais deux hausses, c’est beaucoup. Neuf des 18 membres sont sur cette position, trois sont encore plus agressifs (graphe). Deux seulement actent une pause prolongée. Il y a quatre réunions au S2 2023. La question de monter les taux va se poser dès le 26 juillet, et tout chiffre ou déclaration dans l’intervalle sera jugé comme réduisant ou augmentant la probabilité.
Si une telle majorité du FOMC pense qu’il faut encore durcir la politique monétaire, on peut se demander pourquoi la décision n’a pas été prise dès la réunion du 14 juin. Après tout, pour éviter de prendre les marchés à contrepied, il aurait été facile de suggérer au Fed watcher du WSJ un article opportun en ce sens la veille. Cela s’est déjà vu. Jerome Powell justifie la combinaison statu quo/biais haussier en distinguant deux paramètres: le niveau terminal et la vitesse de hausse des taux. L’an dernier, le critère-clé était la vitesse, pas cette année. Il n’y aurait donc pas de contradiction selon lui à relever le taux terminal (lui- même une cible mouvante) tout en ralentissant le pas pour l’atteindre. C’était la même idée qui présidait au passage du rythme de hausses de taux de 75 à 50, puis de 50 à 25pdb.
D’ici fin juillet, la Fed n’aura qu’un point de plus sur toutes les données macro. Ces données peuvent contenir une part de bruit et être sujettes à des révisions ultérieures. A ce jour, le FOMC estime que les risques sont haussiers sur l’inflation, et même un peu plus qu’il y a trois mois, et baissiers sur la croissance, un peu moins qu’il y a trois mois (graphe). Il n’est pas dit que la balance des risques change radicalement d’ici là. La position par défaut de la Fed semble être la hausse des taux, mais si les chiffres de prix et d’activité déçoivent, une nouvelle pause reste tout à fait envisageable.
Economie
En mai, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 0.1% m/m, bénéficiant d’un nouveau recul des prix de l’énergie (-3.6% m/m). Comme la hausse du CPI avait été de 0.9% en mai 2022, un fort effet de base fait tomber le taux d’inflation à 4%, au plus bas depuis deux ans. A noter que l’effet de base sera encore plus large le mois prochain (1.2 point), de quoi amener le rythme d’inflation vers 3%.
Que l’on considère les évolutions sur un, trois ou douze mois, la tendance est au freinage de la hausse des prix, à l’exception de quelques types de dépenses. Du côté des biens, l’élément perturbateur est le prix des véhicules d’occasion qui a rebondi fortement pour le deuxième mois de suite (+4.4% m/m). C’est une réaction retardée par rapport aux indices du secteur privé (Manheim, Black Book) qui pointent désormais à nouveau vers la modération. Du côté des services, les tensions restent fortes sur la composante « logements » constituée des loyers et loyers imputés. Leur hausse tend à plafonner depuis peu à environ 8% sur un an. A l’opposé, les nouveaux loyers qui avaient bondi en 2021 enregistrent une forte modération depuis plus d’un an. Selon l’indice Zillow, leur hausse est inférieure à 5% en mai, contre plus de 15% au printemps 2022. Compte tenu de la révision échelonnée des contrats de location, il faut attendre au moins un an avant que le CPI-loyers suive la même direction. L’effet devrait être pleinement visible dès le S2 2023.
Au stade des prix de production, la désinflation se poursuit aussi, y compris hors énergie et alimentation: l’indice PPI sous-jacent ressort à 2.8% sur un an en mai, vs un pic à 9.7% en mars 2022.
En mai, les ventes au détail ont augmenté de 0.3% m/m, mais certaines données des mois précédents ont été revues en baisse. Hors éléments volatils, les dépenses en valeur (control group) sont parties pour afficher un modeste gain positif au T2, de l’ordre de 1% t/t en rythme annualisé. Ce résultat intègre un effet-prix. En volume, les ventes au détail sont au mieux stagnantes ou en léger repli.
En mai, la production industrielle a baissé de 0.2% m/m, en raison d’une contraction dans les utilities. A l’opposé, la normalisation du secteur automobile se poursuit (+9% ytd). Au total, la production manufacturière qui avait baissé au T4 2022 et au T1 2023 se reprend quelque peu au T2. Au-delà de ses variations de court terme, la tendance est plate. Il n’y a pas de signal d’’amélioration notable dans les premières enquêtes manufacturières en juin.
Sur la semaine du 10 juin, les nouvelles inscriptions au chômage sont restées stables, confirmant de ce fait leur poussée sur les trois semaines précédentes. A 262.000, elles sont au plus haut niveau depuis la fin 2021. Même si ces données sont volatiles, un changement de tendance semble se dessiner, signalant une nouvelle remontée du taux de chômage en juin (après +0.3pt en mai).
Politique monétaire et budgétaire
Le 14 juin, le FOMC a décidé à l’unanimité de ne pas changer la politique monétaire. La fourchette des taux directeurs reste à 5-5.25%. C’est la première pause après dix hausses consécutives (+500pdb cumulés). Le biais reste haussier. Les remarques de Jerome Powell lors de la conférence de presse ont toutefois laissé planer un certain flou quant à l’issue de la réunion du 26 juillet. Le président de la Fed aura l’occasion de reprendre les mêmes propos ou de les compléter lors de ses auditions devant le comité des services financiers de la Chambre le 21 juin et le comité bancaire du Sénat le lendemain. Selon les futures, la probabilité implicite d’une hausse des taux de la Fed en juillet est de 68%, contre 72% à la veille de la réunion du FOMC.
Après l’accord sur le relèvement du plafond de la dette, le Trésor a rouvert les vannes de ses émissions de titres. Son compte courant à la Fed (TGA) qui était tombé à 23Md$ le 1er juin était à 135Md$ le 14 juin. L’objectif à fin juin est 425Md$.
A suivre cette semaine
Outre Jerome Powell (21 et 22 juin), plusieurs membres du FOMC vont s’exprimer dans les prochains jours, dont John Williams (NY), James Bullard (St.Louis), Loretta Mester (Cleveland), Austan Goolsbee (Chicago), Tom Barkin (Richmond).
La plupart des données économiques auront trait au secteur immobilier résidentiel: confiance des promoteurs (le 19), mises en chantiers et permis (le 20), ventes de maisons existante (le 22). Après une forte correction en 2022, ce secteur a montré des signes de stabilisation ou de légère reprise depuis le début de l’année. A suivre aussi les claims (le 22) et les estimations flash des enquêtes PMI (le 23).
Sources : Fed, ODDO BHF Securities