Entretien avec Emmanuel Chapuis, Co-Responsable mondial de la gestion fondamentale actions de ODDO BHF AM SAS et Armel Coville, Gérant de portefeuille/analyste en allocation d’actifs et gestion alternative.

Quelles sont vos prévisions de marché pour les prochains mois?

Armel Coville : En ce moment, notre positionnement sur les actions est neutre jusqu’à ce que la situation soit plus claire concernant le Brexit. Les valorisations actuelles sont égales (aux États-Unis) ou proches (en Europe) des niveaux historiques et ne présentent pas de décote nette comme c’était le cas fin 2018. Toutefois, jusqu’à présent la hausse des marchés n’est pas due à des mouvements de capitaux. Cela signifie qu’une actualité positive sur le front des négociations commerciales ou du Brexit pourrait inciter les investisseurs à vouloir participer à la poursuite du mouvement haussier, dans la mesure où le fait de rester non investi leur coûterait cher.

Quels sont les secteurs ou régions que vous privilégiez?

Armel Coville : Quand la conjoncture s’améliorera, ce qui, selon nous, devrait se produire au second semestre, nous allègerons probablement notre exposition aux actions américaines au profit des actions européennes et des pays émergents. En Europe, ce réinvestissement devrait s’accompagner d’une réallocation aux secteurs plus cycliques, où les performances ont été nettement inférieures à la moyenne ces six derniers mois. Pour le secteur financier, nous pensons que les perspectives seront tributaires d’un relèvement des taux, lequel, à son tour, dépend très clairement de la situation économique globale. Des mesures de soutien de la BCE concernant les réserves excédentaires pourraient également donner un coup de pouce, en bénéficiant particulièrement aux banques allemandes et françaises. Les pays émergents devraient continuer de bénéficier de valorisations attrayantes, des progrès de la gouvernance et de l’accélération de la croissance des bénéfices. Une dépréciation du dollar fournirait un élan supplémentaire.

Est-ce plutôt un risque ou une opportunité d’investir au Royaume-Uni à l’heure actuelle?

Armel Coville : Si l’on écarte le scénario d’un Brexit dur, les investissements au Royaume-Uni offrent résolument une bonne opportunité, car ce marché contient de nombreuses multinationales exposées aux États-Unis et aux pays émergents. De plus, si l’on considère le P/E actuel pour 2019, qui est de 13, les valorisations sont inférieures à celles de l’indice EuroStoxx. Au regard des incertitudes entourant le Brexit, nous aurions tendance à privilégier par défaut les petites et moyennes capitalisations, qui sont plus
exposées au marché domestique.

Quelle est l’importance de la capitalisation pour vous lors de la sélection des valeurs?

Emmanuel Chapuis : ODDO BHF Génération investit dans toutes les capitalisations. La structure du capital est notre premier critère de sélection: nous focalisons nos investissements sur les entreprises familiales. Étant donné le volume du fonds et la liquidité relativement réduite des plus petites entreprises familiales, nous essayons d’éviter les capitalisations les moins importantes. Le fonds investit donc les deux tiers de ses actifs dans des entreprises de grande capitalisation et ne détient aucune capitalisation inférieure à 1 milliard d’euros.

Dans une perspective de long terme, quel est aujourd’hui le meilleur investissement?

Emmanuel Chapuis : Nous pensons que les meilleurs investissements d’aujourd’hui sont les mêmes que ceux d’hier. Bien sûr, le marché a changé. Les fonds thématiques, les paniers de titres, les ETF, etc., représentent un volume d’actifs considérable, qui crée un niveau de volatilité inhabituel et des niveaux de positionnement extrêmes. Au final, les entreprises qui se développent le mieux sur le long terme sont celles qui offrent une croissance satisfaisante de leurs bénéfices. L’approche de ODDO BHF Génération est donc fondée sur deux facteurs: des fondamentaux solides et des valorisations convenables. À court terme, le marché peut évoluer au gré de thèmes spécifiques et ne plus prêter assez d’attention aux valorisations. À long terme, en revanche, nous sommes convaincus de pouvoir identifier les meilleurs investissements en exigeant des bénéfices en hausse à des niveaux de valorisation acceptables.

Quelles entreprises vous semblent-elles intéressantes et pourquoi?

Emmanuel Chapuis : Si vous regardez nos plus importantes positions individuelles, vous verrez des entreprises comme SAP, Michelin, Fresenius Medical Care ou LVMH. Comme je l’ai déjà dit, tous ces titres ont en commun d’avoir une position dominante dans leur secteur et de présenter des fondamentaux convaincants.

SAP est le plus grand éditeur de logiciels professionnels et de systèmes d’ERP. Cette entreprise a investi massivement dans le développement de sa plateforme et la transition de ses services vers le cloud.

Michelin, leader technologique du secteur des pneumatiques, a déployé d’importants efforts pour augmenter son efficacité et sa génération de cash. En tant qu’entreprise liée à l’automobile, l’action a subi des pressions l’année dernière ; pourtant, le secteur des pneumatiques est beaucoup moins cyclique que celui des équipementiers ou des sous-traitants classiques, car 70 % de son chiffre d’affaires provient des achats de remplacement. Un tiers environ concerne la production automobile.

Fresenius Medical Care domine le marché mondial des services de dialyse et bénéficie d’excellentes perspectives commerciales. De plus, sa valorisation a été affaiblie par des événements exceptionnels l’année dernière : fin 2018, elle se négociait donc sur la base d’un P/E de 12,5, alors que sa moyenne historique est d’à peu près 20.

LVMH est un des leaders du secteur du luxe. L’action enregistre une performance impressionnante, qui se justifie néanmoins par d’excellents résultats. Son activité de maroquinerie se montre particulièrement dynamique. La marque Louis Vuitton n’a jamais été aussi demandée et ne cesse d’atteindre de nouveaux records.

Pensez-vous que l’ESG puisse marquer un tournant dans le domaine de l’investissement, au même titre que la technologie?

Emmanuel Chapuis : Le souci de la protection de l’environnement ou de la sécurité dans les conditions de travail est un thème qui n’a rien de nouveau pour nous. L’ESG est devenue incontournable dans la gestion d’actifs, alors qu’elle n’était qu’un «petit plus appréciable» auparavant. La demande qui sous-tend cet essor est considérable, notamment par le biais de la génération «Millenials» et pour des raisons liées à la réputation des investisseurs. L’ESG est devenu un facteur important pour créer de la valeur à long terme pour les investisseurs. Par exemple, avec le réchauffement climatique, dans certains secteurs, les entreprises doivent repenser complètement leur modèle économique sous peine de disparaître.

Notre fonds intègre les critères ESG dans son processus d’investissement depuis 2012 et porte une attention spécifique aux thèmes des ressources humaines et de la gouvernance d’entreprise. À l’arrivée, toutes les décisions managériales sont prises par des êtres humains, et les entreprises doivent être dirigées par des êtres humains qui prennent en considération les risques et les opportunités d’une manière globale, et sur le long terme : cette approche est indispensable pour créer de la valeur. Il y a déjà bien longtemps que nous avons compris toute l’importance de l’ESG. ODDO BHF AM dispose d’une équipe ESG spécialisée et dédiée. Celle-ci est pilotée par Nicolas Jacob, qui développe notre modèle interne d’analyse ESG et l’a déployé dans nos diverses stratégies d’investissement.