L’idée selon laquelle les banques centrales soient en mesure d’émettre leur propre devise digitale a connu un coup d’accélérateur avec le COVID et l’explosion des paiements non-numéraires.

Par Charles-Henry Monchau, CFA, CMT, CAIA – CIO de FlowBank

 

Avant-propos

La plupart des banques centrales planchent sur un projet de monnaie digitale depuis de nombreuses années. Avec la pandémie, les paiements non-numéraires ont littéralement explosé. Même en Allemagne, pays où l’argent liquide a longtemps été roi, les consommateurs ont en 2020 dépensé pour la première fois davantage avec des cartes qu’en espèce. Craignant que cet engouement ne profite à des monnaies virtuelles telles que le Bitcoin ou le Libra, les banques centrales ont décidé d’accélérer leur réflexion sur l’idée d’émettre leur propre devise numérique.

C’est ainsi que sept grandes banques centrales, dont la Réserve fédérale américaine et la Banque des règlements internationaux, ont publié ce mois-ci un rapport sur les CBDC (Central Bank Digital Currencies), c’est-à-dire des actifs numériques émis directement par les banques centrales.

L’essor d’une monnaie numérique contrôlée par une banque centrale est l’étape ultime avant la fin du cash. Si les données de transaction sont numériques et transparentes, elles peuvent réduire la criminalité financière, mais aussi la confidentialité et la liberté des citoyens.

Ci-dessous, nous tentons de répondre aux questions fréquemment posées sur ce sujet brûlant.

Qu’est-ce qu’une monnaie numérique émise par une banque centrale?

Un franc suisse digital émis par la BNS serait une version numérique du franc suisse tel qu’on le connait. Au lieu d’imprimer de l’argent, la BNS émettrait des jetons électroniques et approuverait l’ouverture et la tenue de comptes bancaires en ligne. Notons que s’il existe des «stable coins» liés au franc suisse, l’émission de franc suisse digital n’est pas pour demain. Certes, la BNS a commencé cette année à travailler sur sa propre version, en collaboration avec la bourse suisse SIX. Cependant, ce franc digital ne circulera dans un premier temps qu’entre la BNS et les banques commerciales qui ont un compte chez elle (c’est-à dire UBS, Crédit Suisse, etc.). Le public n’y aura pas accès, en tout cas pas dans un premier temps. Dans les autres pays, les banques centrales se préparent également à la fin du cash. Les pays émergents semblent être les plus avancés dans leurs projets de lancement.

Qu’est-ce que le dollar numérique?

Le dollar numérique est le nom commun donné à la monnaie numérique qui pourrait un jour être émise par la Réserve fédérale aux États-Unis.

Cependant, le concept de «dollar numérique» n’est pas nouveau. De nos jours, presque toutes les devises sont numériques, car elles circulent dans les systèmes informatiques des banques plutôt que dans notre poche sous forme de billets ou de pièces. L’utilisation des espèces est depuis longtemps en déclin, remplacée par les virements bancaires, les cartes de débit – et maintenant les méthodes de paiement par téléphone mobile comme Apple Pay.

La Réserve fédérale n’est pas la seule banque centrale souhaitant créer un dollar numérique. Par exemple, la Banque centrale européenne travaille également sur un “euro numérique”.

Comment fonctionnent les monnaies numériques «souveraines»?

Un bon moyen de comprendre la mécanique des monnaies numériques émises par les banques centrales est l’étude des « stablecoins », c’est-à-dire les crypto-monnaies indexées sur la valeur d’un actif tels que les monnaies fiduciaires (exemple: le dollar américain) ou l’or. En effet, un dollar numérique émis par la banque centrale aura la même valeur que les pièces et billets en dollars. Chaque jeton numérique sera un instrument monétaire sécurisé via un identifiant unique afin qu’il ne puisse pas être reproduit (l’équivalent d’un numéro de série sur le papier-monnaie). Cette monnaie numérique détiendra toutes les propriétés de l’argent, c’est-à-dire qu’elle pourra être utilisée comme mode de paiement, réserve de valeur et unité de compte.

Le mécanisme du dollar numérique (ou euro numérique, yuan numérique, etc.) pourrait reposer sur la même technologie que le Bitcoin – c’est-à-dire la blockchain, un protocole informatique réputé infalsifiable. A l’heure actuelle, les banques centrales continuent de plancher sur la manière dont elles utiliseront la blockchain. A priori, une blockchain centralisée pourrait être favorisée car la blockchain décentralisée ne permettrait pas à la banque centrale de contrôler la devise nationale. Le stockage des jetons, leur accès et le traitement des données sont d’autres sujets actuellement à l’étude.

Pourquoi les banques centrales veulent-elles créer leur propre monnaie?

Les gouvernements et leurs autorités de supervision n’ont pas été en mesure de contrôler la croissance des crypto-monnaies, en particulier du Bitcoin. L’aspect pratique, décentralisé et sans réglementation de la cryptographie menace le système monétaire moderne. L’accès à l’argent est traditionnellement difficile, hautement centralisé et très restrictif. Les agents économiques sont de plus en plus ouverts à l’idée d’utiliser une monnaie pour effectuer des transactions qui n’est pas émise par une banque centrale ou un gouvernement. Ces autorités (comme toute autorité!) veulent à tout prix garder le contrôle et le pouvoir – d’où l’urgence à créer leur propre monnaie digitale.

«Donnez-moi le droit d’émettre et de contrôler l’argent d’une nation, et alors peu m’importe qui fera les lois.» – Mayer Amschel Rothschild

Ces monnaies numériques permettraient aux banques centrales de renforcer leur souveraineté. Tout d’abord en ripostant à l’essor des cryptomonnaies, mais aussi en facilitant le processus d’envoi de monnaie directement à la population (au lieu de passer par le département du Trésor). Il s’agit d’une version 2.0 du fameux «hélicoptère monétaire» …

Si de telles devises numériques venaient à voir le jour, les banques centrales ont déclaré qu’elles le feraient parallèlement au système monétaire traditionnel, afin de garantir une certaine fluidité dans la période de transition.

Quels sont les avantages de ces monnaies digitales?

Ces monnaies numériques pourraient révolutionner le secteur bancaire et changer de manière radicale la manière dont les particuliers et entreprises utilisent et conservent leur argent, avec la possibilité de déposer directement cette monnaie auprès de la banque centrale, dont l’accès a jusqu’ici été réservé aux banques commerciales.

Les monnaies numériques permettraient à tous d’effectuer des paiements quotidiens rapidement, facilement et en tout sécurité explique la BCE dans un récent rapport. Ses promoteurs font valoir que les transactions seraient beaucoup plus rapides, voire instantanées, car elles ne nécessiteraient pas de règlement interbancaire, et seraient donc disponibles 24h sur 24, 7 jours sur 7.

Être en mesure d’effectuer des transactions sur un registre blockchain avec des monnaies digitales permettrait de baisser les coûts de transactions et d’augmenter la rapidité. En effet, même les systèmes de transfert internationaux les plus efficaces tels que SWIFT sont relativement lents et coûteux. Il sera également plus facile de surveiller et contrôler ces transactions. La transparence de l’enregistrement des transactions sur une blockchain pourrait contribuer à réduire la fraude, le blanchiment d’argent et autres délits financiers.

Par la suite, la disparition définitive du cash pourrait avoir des effets beaucoup plus prononcés sur notre manière de dépenser, la protection de notre sphère privée et même la manière dont on est taxé.

Quels sont les risques liés aux monnaies numériques souveraines?

Un des principaux risques est l’atteinte à la sphère privée. En effet, les transactions personnelles deviendraient plus faciles à suivre et à analyser. Dans le rapport rédigé par les banque centrales et cité au début de cet article, il est suggéré « d’autoriser l’accès aux données des consommateurs». Certes, une bonne partie des données sur les consommateurs sont déjà disponibles et exploitées par de nombreux acteurs économiques. Mais ces nouvelles devises devraient porter un coup supplémentaire à l’atteinte à la vie privée.