Depuis quelques trimestres, les dépenses dans la construction non-résidentielle sont en plein boom aux Etats-Unis. Précisons, pas toutes les dépenses. Cela ne concerne ni les bureaux, ni les bâtiments à usage commercial mais les méga-usines qui poussent comme des champignons, en particulier pour servir les besoins du secteur technologique. Les lois adoptées l’an passé pour encourager la transition verte et développer le secteur des semi-conducteurs produisent leur effet. Il est difficile de dire s’il s’agit d’un changement structurel et l’exploitation classique d’une rente. En tout état de cause, ce boom ne saurait effacer l’effet du resserrement des conditions de crédit sur l’investissement.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

Dans les dépenses d’investissement des entreprises US, la part revenant à la construction non-résidentielle représente 15% du total, soit 2.3% du PIB. Cette part est en déclin tendanciel depuis au moins deux décennies (à rebours de l’investissement immatériel). A première vue, ce n’est pas là qu’on est enclin à chercher des signes de vigueur économique. Pourtant, depuis quelques trimestres, les dépenses de construction non-résidentielle sont en plein boom. Selon l’indice GDPnow de la Fed d’Atlanta, elles pourraient contribuer pour 0.5 point à la croissance du PIB réel au T2 2023, presque autant que les dépenses de consommation des ménages qui pèsent, elles, 70% du PIB.

2023.06.26.Dépenses de construction du secteur manufacturier
US : dépenses de construction du secteur manufacturier

La construction non-résidentielle est un ensemble hétéroclite, qui comprend des bureaux, des centres commerciaux, des écoles, des hôpitaux, des entrepôts, des usines, etc. Le boom récent des dépenses concerne seulement les infrastructures industrielles, en particulier liées au secteur technologique (graphe). Même si le cœur industriel traditionnel (rust belt) en bénéfice, il est surtout notable qu’une bonne partie de ces dépenses se fait dans les états du Sud (Texas, Arizona), qui ont certains avantages comparatifs comme de larges espaces disponibles et un bas coût de l’énergie. C’est essentiel pour les usines de fabrication de semiconducteurs ou de batteries.

Il va de soi que les subventions publiques prévues dans le cadre du CHIPS and Science Act et de l’Inflation Reduction Act, deux lois adoptées l’an passé, ne sont pas étrangers à cette emballement de l’investissement industriel.

2023.06.26.Dépenses de construction non-résidentielle
US : dépenses de construction non-résidentielle

Il reste à voir si c’est un effet d’aubaine ou une tendance durable. Certaines données invitent à la prudence. L’indice Dodge Momentum qui compile les annonces de nouveaux projets non-résidentiels est en baisse de 18% depuis décembre, après avoir augmenté de 30% en 2022. Hors du secteur industriel (et des entrepôts), les dépenses sont stagnantes en valeur malgré la forte hausse des coûts de construction (graphe). Le secteur des bureaux est sous pression avec un taux de vacance passé de 12% en 2019 à 18% et qui devrait continuer d’augmenter. Au total, les conditions actuelle de crédit restent défavorables à l’investissement des entreprises.

Economie

En juin, le moral des promoteurs immobiliers a poursuivi son redressement amorcé il y a six mois, effaçant ainsi 45% de la baisse cumulée en 2022. L’indice NAHB gagne 5pts à 55 (moyenne historique à 50). Le point bas était à 31 en décembre dernier. Le marché de l’immobilier neuf est soumis à des forces contraires. Les transactions ont nettement baissé suite au durcissement des conditions d’emprunt, mais la demande structurelle de logements n’a pas été totalement détruite pour autant. Comme le niveau des inventaires de maisons à vendre est faible, cela tend à améliorer les perspectives d’activité. Un quart des entreprises du panel de l’enquête NAHB ont réduit leur prix pour stimuler la demande et 56% ont offert des avantages aux acheteurs. Ces proportions sont en léger repli par rapport à la fin de 2022. Le prix des maisons neuves a nettement plus baissé que le prix des maisons existantes.

Logiquement, l’activité de construction résidentielle suit le rebond de la confiance des promoteurs. En mai, les permis ont progressé de 5.2% m/m à 1.49 millions, ce qui est plus proche malgré tout du creux de janvier 2023 à 1.35 millions que du pic de décembre 2021 de 1.95 millions. Quant aux mises en chantier, elles ont bondi de 21.7% à 1.63 millions, leur plus haut niveau en un an. La volatilité de cette série rend un peu suspicieux sinon de la direction de ce mouvement, en tout cas de son ampleur.

Du côté des ventes, les tendances récentes restent plus mitigées. En mai, les ventes de maisons anciennes progressent de 0.2% m/m à 4.3 millions et sont finalement plates depuis février. Avant la pandémie, elles ressortaient aux alentours de 5.4M. A noter aussi qu’au 21 juin, les demandes hebdomadaires de crédit hypothécaire ne décollent pas du tout. Volatilité mise à part, elles restent sur une tendance baissière. Rien de surprenant vu les conditions d’emprunt. Selon Bankrate, le taux standard à 30 ans a repassé dernièrement la barre des 7%, déjà franchie en septembre octobre 2021, avant un recul au-dessous de 6.5%.

En juin, selon l’enquête de l’Université du Michigan, la confiance des ménages est un peu remontée (+.7pts à 63.9, annexe p.3) mais reste dans la même bande d’évolution depuis début 2022. Les anticipations d’inflation à moyen-long terme (5-10 ans) perdent un dixième à 3% mais, là aussi , sans grand changement de fond.

Sur la semaine du 17 juin, et pour la troisième fois de suite, les nouvelles inscriptions au chômage se sont établies au-dessus de 260.000, leur plus haut niveau depuis octobre 2021. La tendance haussière est en phase avec les annonces récentes de licenciements dans les secteurs de la finance et de la technologie. A noter que cette semaine est aussi la période de référence des enquêtes servant au BLS à rédiger le rapport sur le marché du travail (le prochain paraîtra le 7 juillet).

Politique monétaire et budgétaire

Lors de ses auditions devant les comités de la Chambre et du Sénat les 21et 22 juin, à l’occasion de la publication du rapport semestriel de politique monétaire, Jerome Powell a répété le message envoyé après la dernière réunion du FOMC. Il a rappelé qu’une large majorité du FOMC anticipait une poursuite du resserrement monétaire cette année (deux hausses de 25 pdb selon le scénario médian). Il juge que le statu quo de la semaine passée est sans doute temporaire. Michelle Bowman (Board) a abondé en son sens, de même que Thomas Barkin (Richmond). A l’opposé, Raphael Bostic (Atlanta, non votant) est l’un des deux membres du FOMC jugeant qu’il faudrait arrêter de durcir la politique monétaire et laisser les effets restrictifs des hausses passées se diffuser dans l’économie. Il fait en particulier remarquer que le repli de l’inflation qui est en cours entraîne une hausse des taux réels.

A suivre cette semaine

Le rapport sur les dépenses des ménages (30 juin) devrait comme c’est le cas depuis quelques mois souligner la disparité entre consommation de biens (quasi-stagnante) et celle de services (toujours robuste). Par ailleurs, il donnera l’estimation alternative de l’inflation. Du fait de la baisse des prix de l’énergie, l’indice PCE total est attendu en hausse de seulement +0.1% m/m, ce qui amènerait le rythme annuel à 3.8%. Mais c’est l’évolution du PCE sous-jacent qui sera l’élément déterminant pour la Fed (le consensus attend une stabilité à 4.7%, un chiffre quasi inchangé depuis novembre dernier). A suivre aussi quelques données concernant la construction résidentielle avec les ventes de maisons neuves et les prix des logements (le 27 juin). L’enquête du Conference Board auprès des consommateurs (le 28) est un bon baromètre des conditions du marché du travail.

 

Sources : Thomson Reuters, ODDO BHF Securities