En 20 ans les marchés financiers connaissent régulièrement des tremblements de terre: deux cracks boursiers, la fin du secret bancaire, une mutation économique avec le début de la digitalisation de certains secteurs, le développement de la Chine, la densification de la règlementation... Dans un pays où le secteur bancaire représente plus de 100'000 emplois et 5% du PIB ce sujet est au centre des préoccupations.

Croissance des actifs

Bien que les 20 dernières années nous aient fait vivre certains des pires moments de l’histoire des marchés financiers (cracks de 2000, 2008, crise de l’EUR en 2011 et le corona virus en 2020), leurs tailles n’ont fait globalement que de croître. Avec une capitalisation boursière de 93 trilliards d’USD au 31 décembre 2019, l’ensemble des sociétés cotées a vu sa valeur multipliée par 3 sur la période.

Au niveau mondial les Etats-Unis, avec la bourse de New York et le Nasdaq, restent le premier acteur en termes de capitalisation boursière, mais les bourses asiatiques sont également en forte progression. La Suisse représente 1’775 milliards d’USD, soit 1.9% du total mondial.

Moins d’actions, plus de comparaisons

Le nombre de compagnies traitées sur les marchés financiers est par contre en baisse de l’ordre de 10% en 20 ans. Les sociétés cotées ont donc en moyenne une valeur plus importante qu’auparavant. La vie et la mort de sociétés sont des phénomènes naturels. Cette tendance révèle néanmoins trois éléments propres à notre époque:

  1. La concentration avec des fusions acquisitions importantes créant des entreprises toujours plus grandes tendant vers des positions monopolistiques
  2. des sociétés qui choisissent de rester privées ou de redevenir privées, donc non cotées. Cette tendance du «Private Equity» est en croissance chez les investisseurs également
  3. la digitalisation de l’économie. Les fonctions supports (finance, marketing, comptabilité, ressources humaines) peuvent être facilement digitalisées. Les sociétés sont plus petites, plus mobiles, donc moins tentées de se voir entrer sur le marché via des IPO. La vitesse de gestion des sociétés augmente également «le taux de mortalité» des entreprises cotées.

Il est intéressant de constater que les titres changent moins souvent de mains qu’en l’an 2000. La vélocité, soit le nombre de fois qu’un titre est échangé par an, est en baisse de 60% sur la période. Bien sûr, les crises augmentent le nombre d’échanges, comme par exemple en 2008, mais les nouvelles règlementations, comme la suppression du trading pour fonds propres des banques ou le développement d’échanges hors marchés «dark pool» ont des implications sur les échanges visibles. La mécanisation importante des bourses avec des robots traders très présents n’est pas non plus sans conséquence. Certains robots ne passent presque pas d’ordres réels et se contentent de placer des centaines d’ordres dans les carnets en les enlevant l’instant suivant. De quoi brouiller la vision sur le véritable prix d’un actif.

En 20 ans, les modes de gestion de fortune ont changé. Les acteurs, plus particulièrement institutionnels, se sont orientés plus largement vers la gestion dite indicielle ou la gestion passive, au détriment de la gestion active.

Puisque les acteurs deviennent friands d’indices, l’offre a dû se mettre au diapason. La conséquence en est ahurissante: le nombre d’actions cotées (environ 45’000) est aujourd’hui très inférieur au nombre d’indices calculés! A titre d’exemple, MSCI, leader de la production d’indices, calcule 400’000 indices différents, majoritairement sur les actions ! Bien évidemment un indice est calculé avec des versions différentes (devises différentes, couvert ou non, incluant dividende ou pas…) mais cela démontre l’attrait de ces produits. La comparaison à un indice devient une fin en soi. Moins d’actions mais plus de comparaisons!

La taille des sociétés cotées est donc en croissance sur les deux dernières décennies. Le classement des plus grandes sociétés a changé de visage. En 2000, neuf des dix plus grandes sociétés étaient américaines avec en tête General Electric qui pesait 477 milliards d’USD.

En 2020, 9 sociétés américaines figurent dans le top 10 mais la première place revient à une toute nouvelle société, Saudi Aramco, producteur de pétrole. Apparaissent également deux entreprises chinoises. Les plus grandes sociétés sont aujourd’hui des entreprises technologiques alors que la répartition était plus équilibrée il y a 20 ans avec des secteurs comme les matériaux, la distribution ou les banques. Des sociétés qui ne sont par contre pas les plus gros employeurs de la planète. A titre d’exemple, les trois plus grands employeurs mondiaux sont Walmart (2.2 millions d’employés), China National Petroleum (1.4) et China Post Group (0.9).

Des sociétés internationales qui deviennent par ailleurs aussi puissantes que les pays. Si l’on compare Apple avec le PIB d’un pays, le «Pays Apple» ferait partie du G20 puisqu’il serait le 14ème plus grand PIB au monde derrière l’Australie et devant le Mexique.

Un capitalisme chinois

L’émergence de la Chine au niveau économique s’est accompagnée d’une croissance importante de son secteur bancaire. En l’an 2000, sur les dix plus grandes banques au monde en termes de capitalisation boursière, 6 étaient américaines, 3 britanniques et une suisse.

En 2020, seules 4 banques du top 10 mondiales sont américaines, une britannique et 5 chinoises. Le capitalisme devient chinois! Et la crise du coronavirus risque d’accélérer encore le phénomène.

En termes d’actifs sous gestion, les banques japonaises étaient leaders à la fin du siècle précédent. Aujourd’hui les 4 plus grandes banques sont chinoises. La plus grande banque au monde est International & Commercial Bank of China, fondée en 1984, avec un bilan de 4’027 milliards d’USD d’actifs. Son siège social est à Pékin et la banque compte 460’000 employés.

Fusion et acquisition

Le capitalisme du début du 21ème siècle, une forme d’ultra-libéralisme, ne ressemble pas au capitalisme d’après seconde guerre mondiale. Les nombreuses fusions-acquisitions expliquent pour partie l’augmentation de la taille des sociétés. Certaines périodes sont très propices à ce type de transactions (1999-2000 ou 2006-2007), notamment lorsque les prix des actifs ont fortement progressé, soit juste avant d’avoir des marchés financiers plus déprimés.

En moyenne, la valeur des fusions a plus que doublé en 20 ans. Leur nombre est par contre en baisse d’environ 15% en moyenne annuelle.

Les deux plus grosses transactions individuelles datent encore de l’année 2000 mais ces 20 dernières années ont donc été un terreau fertile à ce type de transactions. Au fil des concentrations successives, les sociétés deviennent des empires monopolistiques dans leur secteur respectif. La crise récente et l’impact plus important sur le tissus PME que sur les grandes entreprises risquent d’accentuer ce phénomène. Une sorte de globalisation par les entreprises et plus par les Etats.

Le secteur bancaire suisse en mutation

Au niveau bancaire la concentration s’est accélérée lors de la crise de 2007-2008 qui représente le pic de cette activité pour les 20 dernières années.

La concentration du nombre de banques dans le monde s’est également fait ressentir pour la Suisse dont le secteur bancaire représentait encore 8 % du PIB en 2008. Le secteur bancaire suisse a vu sa contribution au PIB baisser de 37% par rapport à l’an 2000.

Le bilan des banques a néanmoins continué de progresser. Le total des actifs bancaires du pays représente 3’225 milliards de CHF, soit 50% de plus qu’en l’an 2000.

Une croissance qui s’explique par l’augmentation des liquidités et par la croissance des crédits hypothécaires qui ont été multipliés par 2, soit 500 milliards de plus qu’en l’an 2000. Ainsi la somme totale des crédits hypothécaires a augmenté de manière plus rapide que le bilan des banques.

Le secteur bancaire suisse a perdu en 20 ans plus de 100 banques avec 248 établissements toujours actifs en 2018. Les fermetures sont principalement le fait de départ de banques étrangères ou de rapprochement de banques régionales.

En termes d’emplois, le secteur reste important avec 107’000 collaborateurs mais a baissé de 15% sur la période. Les grandes banques sont les plus touchées avec une baisse d’effectif de près de 40% !

Les cantons des Grisons, Berne, Tessin et Valais ont perdu le plus de succursales bancaires. Proportionnellement au nombre de succursales présentes en 2000, les Grisons et Uri sont les plus affectés.

Et sans étonnement ce sont les banques étrangères établies en Suisses qui ont plus largement réduit le nombre de succursales. Les banques cantonales ont réduit de près de 30% le nombre de succursales alors que les grandes banques se «contentaient de 18%».

La Suisse : toujours le pays de la gestion de fortune !

La Suisse reste néanmoins le pays de la gestion de fortune. La fin du secret bancaire a changé la manière de fonctionner dans le monde tout en faisant émerger de nouveaux acteurs comme Hong Kong. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont également largement bénéficié des nouvelles règles de transparence en gagnant des parts de marché.

Avec près de 3.5 trilliards d’USD gérés, dont 53% sont des avoirs internationaux, la position concurrentielle de la Suisse reste forte.

Les deux premières décennies de ce siècle auront amené à une forme de paroxysme l’ultra-libéralisme économique avec la création de sociétés monopolistiques rivalisant de puissance avec les Etats. Les banques vivent une période de mutation majeure. La disruption de ce secteur avec l’intégration des technologies de l’information rend fragile la position des banques d’anciennes générations. Et une forme de crispation sociale pourrait émerger si la crise du coronavirus impliquait une différenciation dans le sauvetage d’une PME, d’une entreprise industrielle ou d’une banque comme lors de la crise financière de 2008.

Les nouveaux acteurs chinois prennent progressivement le pouvoir mais pourraient se voir eux aussi dépassés rapidement si une des plus grandes sociétés au monde, une des GAFA, venait à s’intéresser à ce secteur névralgique de l’économie. Il serait peut-être plus facile pour une société technologique d’entrer dans le monde de la finance comparativement à une banque qui souhaiterait intégrer des outils digitaux. La crise de 2020 est peut-être le catalyseur de ces mutations tant technologiques que géopolitiques. Le secteur de la finance va vivre des années de grand changement et doit rester la courroie de transmission de l’économie, sans excès.

 

Source : Bloomberg, BNS, Deloitte International Wealth Management Center Ranking 2018, Fitch, IMF, Relbanks.com, SECO, Statista, World Exchange, XO Investments SA