Rencontre avec Antony Vallée, responsable de la gestion obligataire d’Alken Asset Management

Comment analysez-vous ce début d’année plutôt rassurant sur les marchés?

C’est une année qui a commencé en fanfare sur les marchés européens. Et pour être tout à fait honnête, je pense que tout le monde a été agréablement surpris par ce changement d’humeur. Après la fin d’année morose que nous venons de connaître, repartir sur de telles bases en matière de performances obligataires (et actions d’ailleurs) laisse penser qu’un certain nombre d’investisseurs n’ont pas encore eu le temps de faire évoluer leurs allocations pour en bénéficier.

Comment cela se passe-t-il du côté de votre gestion?

Pour ce qui concerne notre fonds d’obligations convertibles, nous avions augmenté la sensibilité aux actions dès la fin d’année en nous basant sur un scénario relativement simple: nous n’attendions plus de nouvelles mauvaises nouvelles jusqu’à la fin du mois de janvier. Entre une inflation qui donnait des signes de ralentissement et des chiffres de l’énergie qui s’amélioraient notamment grâce à un début d’hiver plutôt clément, tout pouvait laisser penser que les chiffres à venir seraient meilleurs qu’attendus. Or, dans un début de récession, le marché commence à reconsidérer sérieusement des possibles baisses de taux et vous vous retrouvez face à un mouvement contre lequel il est impossible d’aller. Pour que ma stratégie soit la plus sécurisée possible, dans ce contexte de ralentissement économique en Europe et aux États-Unis, j’ai tout de même pris quelques options de vente pour protéger le portefeuille. Cette couverture a freiné ma participation à ce mouvement de hausse, mais seulement dans un premier temps, et nous protège contre un retournement.

En ce qui concerne notre fonds obligataire nous avons tout simplement fortement réduit notre couverture de taux et continuer à acheter des obligations Investment grade en allongeant graduellement les maturités.

Parmi les éléments qui semblent avoir rassuré les marchés, vous avez cité le début d’hiver clément et une forme de ralentissement de l’inflation. Qu’en est-il aujourd’hui sur les attentes en matière de taux d’intérêt?

Aux deux éléments que vous avancez dans votre question, ajoutez-en un troisième loin d’être négligeable: la réouverture de la Chine. Après les épisodes de confinement aux Etats-Unis et en Europe, nous anticipons aussi un phénomène de “consommation de revanche” dans l’Empire du Milieu. Autrement dit, même si tout n’est pas réglé, les inquiétudes sur l’évolution de la croissance en Chine sont en train de se dissiper (quant à l’éventualité de revoir de la croissance dans les mois à venir) et les perspectives économiques aux États-Unis et en Europe semblent moins se détériorer que prévu. Tout cela est positif pour le marché du crédit et en particulier le crédit de bonne qualité. En effet, moins d’inquiétudes sur la croissance et sur l’inflation c’est aussi moins de stress sur l’intensité de la récession attendue et ses conséquences sur les entreprises et moins de préoccupations sur la future politique des banques centrales.

En d’autres termes?

Cela incite à revoir les anticipations sur les taux d’intérêt sous un angle plus encourageant. Nous pensions que les taux de la Fed dépasseraient les 5% et pourraient attendre un sommet à 5,5%. Aujourd’hui, l’anticipation se situe plutôt dans une fourchette comprise entre 4,75% et 5%. Puisque la courbe des taux d’intérêt est aujourd’hui inversée, cela signifie qu’il y a peu de risque de perte en capital à anticiper sur l’horizon 2023 pour tous ceux qui sont investis sur des maturités de court terme (0-3 ans).  

Quelles sont les chances pour que le scénario que vous évoquez sur les maturités courtes soit faux?

Elles sont assez faibles. Il faudrait que la santé de l’économie se révèle plus forte et continue à résister à l’impact du resserrement monétaire. Dans un tel cas, nous assisterions alors à une révision de la politique de la FED et le marché anticiperait une prolongation du cycle haussier. Même si certains se posent la question de savoir si les banques centrales ont déjà fait leur travail en remontant les taux, nous ne devons pas nous précipiter et envisager le début d’un nouveau cycle économique.

Pour ce qui nous concerne nous sommes bien loin d’en être là aujourd’hui. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder les derniers chiffres de consommations américaines. Nous devons déjà digérer l’impact des dernières fortes hausses de taux sur l’activité économique.

Mais ne passe-t-on pas trop vite de la grande inquiétude à l’euphorie?

C’est tout à fait l’impression que ça donne en regardant les Bourses depuis le début de l’année. Pour autant, je ne pense pas que le marché soit euphorique au sujet de la situation macroéconomique en Europe et aux États-Unis. Les nouvelles sont simplement pour l’instant moins mauvaises qu’on pouvait l’attendre et cela fait déjà une différence.

Sur le marché obligataire la situation est différente et se rapproche peut-être de l’euphorie si l’on se penche sur les 10 dernières années que nous venons de connaître. Cela n’est pas pour déplaire à un gérant obligataire tel que moi. Entre la hausse que l’on observe depuis le début de l’année, les niveaux relativement élevés de taux, les perspectives plus positives sur l’inflation, les spreads de crédit sur l’investment grade et autres sous-secteurs, on se retrouve sans aucun doute dans le marché le plus excitant que nous ayons connu depuis une décennie ! Ce qui a d’ailleurs été bien identifie depuis le début du quatrième trimestre 2022!

Comment envisagez-vous ce premier semestre 2023 sur les convertibles et les obligations?

Dès lors que l’on écarte le scénario d’une forte récession et que la courbe des taux est déjà très inversée il y a tout intérêt à rester positionné sur la partie courte de la courbe des taux. Aux Etats-Unis, on peut facilement se constituer des portefeuilles de bonne qualité qui peuvent vous rapporter entre 5 et 7% de rendement en dollars. Dans un contexte d’incertitudes économiques cela nous parait une excellente opportunité. Du côté des convertibles, la situation est aussi en train de s’éclaircir.

Pour quelle raison?

Tout simplement parce que nous allons arriver à un moment où les sociétés vont devoir se refinancer et couvrir leurs émissions précédentes. En d’autres termes, nous allons à la fois voir le risque baisser dans l’univers des obligations convertibles tout en retrouvant aussi du rendement. A cela devrait s’ajouter un autre phénomène qu’illustre parfaitement le récent profit warning d’Ubisoft: celui de l’apparition d’opportunités qu’il faudra savoir saisir. Lorsqu’on s’attend à entrer dans une récession, la nervosité augmente mécaniquement sur les marchés. Résultat, les obligations réagissent souvent mal aux mauvaises publications de résultats et des opportunités apparaissent. Prenez par exemple, la convertible Ubisoft. Son échéance est 2026 et son rendement en euros a quasiment atteint 5%. C’est ce genre de bonne affaire qu’il faudra guetter à l’avenir.

Outre ces opportunités, vous attendez aussi le retour des émissions de convertibles sur le marché primaire?

Tout à fait. Et c’est une très bonne nouvelle. Ces émissions se feront avec des coupons bien plus intéressants et seront basées sur des actions dont le cours aura significativement baissé depuis trois ans. Cela devrait être intéressant en termes de total return. Dans un environnement financier où les taux d’intérêt ont beaucoup monté et où les spreads se sont écartés, nous devrions assister au retour des entreprises cycliques et des small-midcaps. Ces dernières vont devoir se refinancer et cela va leur coûter plus cher que par le passé. La prime d’émission sur les small-mids depuis cinq ans était devenue quasiment nulle. Nous allons sûrement assister à un retour vers les niveaux historiques avec de véritables primes d’émission qui bénéficieront aux investisseurs.

Quels sont les secteurs qui devraient émettre?

Les sociétés de technologie vont devoir refinancer les obligations émises il y a 2-3 ans à un moment où les actions étaient valorisées sur des multiples très élevés. Aujourd’hui certaines actions ont baissé de plus de 70% et cela fait beaucoup d’obligations en dehors de la monnaie qui ne seront probablement pas converties. Bien entendu, il faudra se montrer discriminant sur le choix des titres.

Question importante pour un gérant : avez-vous l’impression que les investisseurs songent à revenir vers la classe d’actifs obligataire?

L’obligataire est effectivement en train de reprendre sa place dans les portefeuilles. Avec des taux à 4,5% aux Etats-Unis et à quasiment 3% en Europe sur deux ans, les perspectives de rendement sont bien différentes de celles où les taux étaient nuls. Je reste tout de même prudent, en particulier par rapport au marché. Aujourd’hui, celui-ci n’attend pas de reprise forte de l’inflation et la situation a l’air sous de contrôle. Mais comme nous l’avons vu en 2022, nous ne sommes pas à l’abri de mauvaises surprises et il est à mon avis trop top pour crier victoire. Dans mes choix de titres, je privilégie avant tout la qualité et maintiens en plus quelques couvertures pour protéger mon portefeuille en cas de retournement violent (une baisse de 15 à 20%).