Dans les années 1980, la plupart des gestionnaires d’actions se définissaient par la croissance ou par la valeur, la qualité était une simple niche. Aujourd’hui, la qualité constitue toutefois une approche distincte et populaire pour une bonne raison: elle fonctionne. La définition de la qualité s’est élargie et fait l’objet de différentes interprétations, la performance des stratégies de qualité divergeant parfois fortement selon les conditions de marché. Quatre experts en investissement de Vontobel explorent les nuances de la qualité et les prévisions pour une approche de qualité en 2024.
Existe-t-il une définition académique de la qualité et comment a-t-elle évolué?
Andrea Gentilini, Head, Vescore Boutique: Oui, et cette définition a évolué car certains aspects spécifiques de la qualité ont gagné en pertinence pour les investisseurs au fil des périodes. Au début, les investisseurs se concentraient sur des mesures telles que le ratio dette/capitaux pour évaluer l’effet de levier d’une entreprise. L’accent mis sur la qualité a ensuite évolué vers la rentabilité dans l’ensemble du compte de résultat et, plus récemment, il s’est tourné vers la croissance et les éléments de stabilité, la documentation académique actuelle s’orientant largement vers la continuité (graph. 1: «Quality minus Junk»). À l’avenir, nous prévoyons que les mesures de qualité évolueront vers l’impact sur la planète et la société, de récentes études sur la corrélation entre la qualité et les critères ESG mettant cette tendance en lumière.
Comment trouvez-vous des entreprises de qualité dans les différents secteurs et régions?
Matthew Benkendorf, CIO Vontobel Quality Growth Boutique: En tant que gestionnaire actif, nous mettons en œuvre la qualité en recherchant constamment des « business models » comprenant des éléments relatifs à la sécurité, à la rentabilité et à la croissance tout au long du cycle. À l’époque de la bulle Internet, certains arguaient que les «vues» (consultations d’un site Internet) devraient remplacer les bénéfices en tant qu’indicateur de rentabilité. Aujourd’hui, certains soutiennent que l’investissement en dehors de l’objectif établi d’une stratégie, c’est-à-dire l’évolution du style, constitue une stratégie viable. Nous ne sommes pas d’accord et maintenons notre discipline distincte en matière de qualité dans le temps.
Dans notre quête de la qualité, nous exigeons un historique de performance minimum en matière de croissance rentable avant d’investir. Selon nous, une entreprise transformatrice continuera d’afficher des bénéfices et un potentiel de croissance après cinq ans. Si vous aviez investi dans Amazon en 2010, treize ans après son introduction en bourse et avec un historique de performance de croissance rentable sur cinq ans, votre investissement original aurait été multiplié par 17 aujourd’hui. Les gestionnaires actifs peuvent ajouter de la valeur en identifiant les entreprises qui présentent non seulement des avantages concurrentiels historiques, mais également celles pouvant être maintenu à l’avenir.
Jean-Louis Nakamura, Head of Vontobel Conviction Equities Boutique: Les entreprises de qualité ont tendance à occuper de solides positions dans leur secteur et affichent une capacité à investir dans la croissance future. Cependant, nous tenons compte de différents indicateurs quantitatifs lorsque nous évaluons la qualité d’un secteur à l’autre, non seulement au niveau de l’entreprise, mais aussi dans le contexte du secteur même. Par exemple, dans les industries lourdes telles que l’énergie et l’exploitation minière, nous examinons de plus près la capacité d’une entreprise à générer des bénéfices durables, tandis que dans le segment de la biotechnologie du secteur des soins de santé, nous attachons plus d’importance à la capacité d’une entreprise à réinvestir dans la recherche et le développement, ainsi qu’à son processus en matière d’innovation. Sur le plan géographique, nous pouvons utiliser des facteurs similaires lorsque nous évaluons la qualité au sein de notre univers suisse par rapport aux marchés émergents, mais notre analyse qualitative, qui comprend des réunions avec la direction, sera certainement différente.
Matt: Les entreprises de qualité peuvent s’avérer plus durables sur les marchés développés et, compte tenu d’une meilleure compréhension des approches de qualité, elles sont plus susceptibles d’y être utilisées à large échelle. La situation est quelque peu différente sur les marchés émergents: la qualité ne s’y est pas aussi bien établie en tant que style et évolue beaucoup plus rapidement. La qualité est moins coûteuse sur les marchés émergents en raison des risques inhérents et elle demande plus de patience, tandis que la valorisation gagne en importance sur les marchés développés.
Jean-Louis: Nous ajustons constamment la manière dont nous évaluons le positionnement dans les secteurs, une tâche parfois complexe dans l’environnement réglementaire et les conditions de concurrence actuelles. Regarder vers l’avenir sans trop nous éloigner de notre définition de la qualité relève d’un équilibre fragile, c’est pourquoi un cadre académique solide est essentiel.
La qualité résistera-t-elle à l’épreuve du temps?
Andrea: Les facteurs de style (qualité, dynamique, valeur, volatilité et volume) contribuent à expliquer la performance dans un contexte de marchés mondiaux toujours plus complexes. Comprendre la manière dont chacun d’entre eux stimule les rendements et le risque dans un portefeuille peut aider les investisseurs à choisir un mélange de stratégies optimal. L’investissement factoriel classe les entreprises en fonction d’un indicateur (c’est-à-dire le facteur), puis analyse si les entreprises les mieux classées surperforment les entreprises les moins bien classées. Depuis 2001, le facteur de la qualité a réalisé une surperformance 83 % du temps:
La qualité est-elle un pari tactique ou stratégique?
Dan Scott, Head of Vontobel Multi Asset: La majeure partie de nos rendements multi-actifs proviennent de notre allocation stratégique des actifs (ASA), une petite partie seulement provenant de notre allocation tactique des actifs (ATA). Pour nous, l’investissement dans la qualité n’est donc pas une question de calendrier, mais constitue plutôt une décision stratégique. La raison en est que des pertes moindres sur les marchés baissiers peuvent être cruciales pour augmenter son patrimoine au fil du temps. La faible volatilité associée à l’investissement de qualité élimine également les biais comportementaux et les investisseurs sont moins susceptibles d’agir de manière déraisonnable, par exemple en vendant à bas prix et achetant à haut prix.
La qualité peut être chère, mais ce prix qui peut sembler élevé sera compensé à long terme pour les investisseurs. Prenons l’exemple de Nestlé, une entreprise suisse considérée comme «monotone», mais dont le rendement global franchit chaque année depuis 1996 la barre des 12%, surpassant habilement l’indice MSCI World, qui a généré un rendement de 6,9%. Même en enlevant les dividendes, une large part des rendements de Nestlé, l’entreprise réalise encore une surperformance.
Existe-t-il une corrélation entre la qualité et la croissance?
Jean-Louis: La qualité et la croissance sont sans nul doute deux facteurs distincts qu’il convient de considérer en tant que tels. Nombre des indicateurs utilisés pour définir la qualité se rapportent aux fondamentaux tels que les marges, les ventes et les revenus. La dernière décennie, marquée par une politique monétaire accommodante, a soutenu la croissance des ventes et l’expansion des marges, ce qui a assuré la réussite de nombreuses entreprises de croissance, dont certaines ont gagné le surnom des «7 magnifiques». Cela n’a toutefois pas été le cas pour toutes les entreprises, raison pour laquelle nous estimons qu’il est important d’opérer une nette distinction entre qualité et croissance.
Matt: Bien que la croissance soit souvent considérée comme synonyme de qualité, se concentrer uniquement sur la croissance au détriment de tout le reste peut s’avérer préjudiciable. Si les investisseurs ne gèrent pas la qualité correctement, ils peuvent passer à côté de l’encaissement des baisses et sont soumis à un risque plus élevé, car ils perdent en discipline en matière de valorisation, ce qui revêtira une importance croissance tout au long de l’année 2024.
Comment concilier un déséquilibre à court terme avec une entreprise de qualité et ses rendements à long terme?
Matt: Cela requiert de la patience, un élément complexe mais essentiel de l’investissement. Prenons les entreprises des soins de santé, notamment MedTech: elles ont le potentiel de croître de manière prévisible au cours des prochaines années, mais en 2023, le marché a baissé et les a contournées, se concentrant sur l’euphorie générée par le segment technologique. Cette année, elles pourraient être affectées par le cycle électoral ou par les discours liés aux réglementations. Les soins de santé constituent un bon exemple de cas dans lequel la patience est nécessaire pour obtenir des rendements à long terme malgré un déséquilibre à court terme.
Quelle est la performance de la qualité dans différents régimes macroéconomiques?
Andrea: Parmi les cinq facteurs, il est vrai que celui de la dynamique réalise une bonne performance dans tous les régimes, mais dans ceux où la qualité enregistre également une bonne performance, il se porte encore mieux. La manière dont nous considérons le futur régime est importante: la plupart des investisseurs ne s’attendent pas à ce que le marché haussier galopant et alimenté par les liquidités de la dernière décennie se maintienne lors de la prochaine. Un régime expansionniste semblant peu probable, la qualité est un bon pari.
Est-ce le bon moment pour la qualité?
Dan: Selon nous, les entreprises de véritable qualité sont en bonne position pour générer des rendements à l’avenir, alors que le coût du capital augmentera et que la croissance du PIB devrait être inférieure à celle dont nous avons l’habitude dans le précédent environnement de taux d’intérêt nuls. Éviter les pertes au fil du temps fait partie d’un processus d’investissement sain et, alors que le paysage gagnera en volatilité, les investisseurs se concentreront davantage sur la qualité des bénéfices d’une entreprise, sur sa capacité à générer des rendements sur le capital investi et sur l’efficacité de sa gestion de capital. Cela dit, d’après nous, l’investissement dans la qualité n’est pas vraiment une question de calendrier, puisque les éléments de base de la qualité devraient rester constants dans tout portefeuille équilibré.