Depuis plus de dix ans, Christopher Wigley se situe en première ligne de l’investissement obligataire ESG. Il a également été l’un des premiers à miser sur les obligations vertes en 2008. Dans cet entretien, il partage son point de vue sur la maturation du marché des obligations vertes et analyse l’importance croissante des mesures de l’empreinte carbone des portefeuilles.

Christopher Wigley, Senior Portfolio Manager, Mirova*

Quelles sont les caractéristiques de l’offre de nouvelles obligations vertes en 2017?

Il s’agit d’une période intéressante. En 2017, les émissions d’obligations vertes se sont montrées solides. L’été est une saison généralement calme, avec peu de titres émis. Mais en 2017, le flux d’émission ne s’est pas interrompu. L’organisation Climate Bonds Initiative estime que le montant total d’obligations vertes émises en 2017 pourrait atteindre 130 milliards de dollars. En comparaison, les émissions dépassaient tout juste 81 milliards de dollars en 2016.1

En outre, les titres émis cette année sont libellés dans différentes monnaies ; pas seulement en euros et en dollars, mais également en livres sterling et en dollars australiens et canadiens. Plusieurs types d’émetteurs sont concernés, qu’il s’agisse de banques multilatérales de développement telles que la Banque asiatique de développement, d’entreprises comme les sociétés de services aux collectivités britanniques Anglian Water et Scottish and Southern Electricity Networks, ou encore de la Banque Toronto-Dominion au Canada.

Cette diversification des émetteurs d’obligations vertes constitue-t-elle une tendance durable?

Certainement. Non seulement des banques multilatérales de développement et des entreprises ont émis des obligations vertes au cours des douze derniers mois, mais les États eux aussi arrivent sur le marché. La Pologne a été le premier pays à proposer une obligation verte en décembre 2016, suivie de la France en janvier 2017. À l’heure actuelle, la France est à l’origine de la plus importante émission d’obligations vertes avec 8,5 milliards d’euros.

Nous savons également que d’autres États, dans d’autres régions du monde, préparent de nouvelles émissions. L’Asie, où le changement climatique est particulièrement tangible, dispose d’un énorme potentiel. La Malaisie et la Thaïlande présentent aussi un intérêt pour l’émission d’obligations vertes dans le cadre de certains projets liés aux enjeux climatiques. De manière plus générale, les gouvernements des marchés émergents d’Asie et d’Amérique latine pourraient, dès 2018, compter parmi les plus grands vendeurs d’obligations vertes. Et parce que les obligations vertes vendues par les gouvernements des marchés émergents ont toutes les chances d’offrir un rendement supérieur à celui des emprunts d’État européens, elles pourraient plaire aux investisseurs souhaitant bénéficier d’un meilleur revenu. En clair, la supériorité des rendements ne dépendra pas de facteurs écologiques, mais plutôt de la notation de l’émetteur. Les émetteurs des pays émergents obtiennent généralement des notes de crédit inférieures en raison de risques accrus, y compris les risques de défaut, politiques et économiques.

Pensez-vous que le changement climatique est le premier moteur de croissance dans le monde?

Tout d’abord, cette progression continue des nouvelles émissions et de leur taille prouve que les pays tiennent à respecter l’Accord de Paris. Ils prennent leur engagement à limiter le réchauffement climatique à 2°C maximum très au sérieux.

De plus, soutenir la transition énergétique vers un monde à faible teneur en carbone est devenu une priorité pour les gouvernements et les entreprises du monde entier. D’après les estimations de
l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il serait nécessaire d’investir à travers le monde 3500 milliards de dollars par an en moyenne en faveur des technologies bas carbone et de l’efficacité
énergétique jusqu’en 2050 pour escompter vivre dans un monde bas carbone.2 Les obligations vertes sont l’une des nouvelles solutions d’investissement permettant de financer une transformation radicale du mix énergétique.

Il est également important de noter que le président Donald Trump a été élu il y a un an. Mais des États comme New York et la Californie sont plus fermement engagés – en attestent leurs émissions d’obligations vertes. Les États-Unis continuent donc de jouer un rôle central.

Pouvez-vous nous en dire plus sur la transition énergétique en cours?

La demande d’énergie, en provenance des marchés émergents notamment, s’accroît. Selon l’AIE, la demande mondiale en énergie a plus que doublé ces 40 dernières années.3 La croissance démographique, l’urbanisation et la montée des classes moyennes au sein des marchés émergents sont les principales raisons de cette augmentation. En prenant 2010 comme point de départ, l’AIE s’attend à ce que la demande en énergie des marchés émergents soit multipliée par 4 d’ici 2050, lorsque la consommation par personne rattrapera celle des pays développés.

Il est donc urgent de s’orienter vers des sources d’énergie à faible teneur en carbone. Dans la lutte contre le changement climatique, le marché mondial des obligations, qui représente 100 000 milliards de dollars, peut faire la différence. C’est à ce moment-là que les obligations vertes entrent en jeu.

La mesure de l’empreinte carbone des portefeuilles gagne-t-elle en importance?

Cela revêt de plus en plus d’importance. En effet, dans le contexte actuel de réchauffement climatique croissant, générant, par exemple, des conditions climatiques extrêmes, les investisseurs s’intéressent réellement à l’utilité de leurs investissements, surtout les Millennials. L’enquête de Natixis sur les investisseurs particuliers internationaux a mesuré leur sentiment et 75 % des sondés appartenant à cette génération ont fait part de leur souhait d’investir dans des sociétés ayant un impact social positif – et se préoccupent de l’impact environnemental des sociétés dans lesquelles ils investissent.4

De plus en plus d’investisseurs veulent savoir dans quelle mesure les investissements au sein de leurs portefeuilles contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique. Mesurer l’empreinte
carbone du portefeuille dans son ensemble nous permet de répondre à cette question. En fait, les gérants de fonds ESG en France ont désormais l’obligation de rendre compte de l’empreinte carbone des portefeuilles. Chez Mirova, en association avec notre partenaire Carbone 4, expert du carbone et du climat basé à Paris, nous avons élaboré une méthode permettant de mesurer et de rendre compte de l’empreinte carbone. Cette méthode a été déployée pour les obligations vertes en avril dernier. Par conséquent, nous sommes en mesure de publier des données significatives concernant les obligations vertes. Il est désormais possible de savoir si un portefeuille d’obligations vertes est compatible avec un monde où la température augmenterait au maximum de 2°C. Cette information nous paraît importante, notamment par rapport aux indices d’obligations classiques, qui pourraient convenir pour un monde où la hausse de la température atteindrait 4°C.

Les émetteurs communiquent-ils davantage au sujet de leur impact environnemental?

Les informations sur l’impact environnemental qui nous sont communiquées sont incontestablement plus précises. Durant les premières années d’existence du marché des obligations vertes, les émetteurs soulignaient la quantité de gaz à effet de serre qu’une obligation verte permettait de ne pas produire. Nous disposons donc d’informations sur l’impact environnemental depuis 2008, auxquelles il faut désormais ajouter les données sur l’impact social. À titre d’exemple, les émetteurs peuvent indiquer qu’ils financent les énergies renouvelables ainsi qu’ils créent des emplois. Ils nous transmettent de plus en plus d’informations pertinentes à mon sens. C’est l’une des spécificités des obligations vertes par rapport aux obligations traditionnelles. Non seulement les émetteurs dévoilent l’utilisation des produits, mais fournissent aussi généralement aussi un rapport de l’impact sur l’environnement.


NOTES ET DEFINITIONS

* Mirova est une filiale à 100 % de Natixis Asset Management. Activité aux États-Unis par le biais de Natixis Asset Management U.S., LLC.

1. Source : Climate Bonds Initiative, Marché des obligations vertes 2017 https://www.climatebonds.net/
2. Source : Agence internationale de l’énergie, Perspectives for the Energy Transition – Investment Needs for a Low-Carbon Energy System
3. Source : Agence internationale de l’énergie, World Energy Balances 2017
4. Enquête de Natixis sur les investisseurs particuliers internationaux menée par CoreData Research, février-mars 2017. L’enquête a porté sur 8300 investisseurs dans 26 pays, dont 2434 investisseurs appartenant à la génération Millennials (21-36 ans).

Une obligation est une dette dans laquelle un investisseur prête des fonds à une entité (en général une entreprise ou un État) qui les emprunte pour une période de temps définie à un taux fixe ou variable. Les obligations sont utilisées par les entreprises, les collectivités locales et les États pour lever des fonds et financer divers projets et activités. Les porteurs d’obligations sont des détenteurs de dette, ou des créanciers de l’émetteur.
La note de crédit est une évaluation du risque de crédit d’un débiteur potentiel (particulier, entreprise ou État) visant à estimer la capacité de remboursement et à prévoir implicitement la probabilité de défaut de l’emprunteur.
Le risque de défaut correspond à la probabilité qu’une entreprise ou un particulier ne soit pas en mesure de régler sa dette.
Les obligations vertes sont des instruments de dette dont les produits sont consacrés exclusivement au financement de projets environnementaux remplissant les conditions requises dans des domaines tels que l’efficacité énergétique, le transport, l’eau, la gestion des déchets, l’utilisation des sols ou des infrastructures d’adaptation au réchauffement climatique. Elles sont similaires aux obligations classiques en ce qui concerne leur structuration mais doivent respecter des critères différents en termes de reporting, d’audit et d’allocation des capitaux levés.
Climate Bonds Initiative est une organisation internationale dont le seul objectif est de mobiliser 100 000 milliards de dollars d’obligations pour trouver des solutions face au changement climatique.
La génération Millennials, «les Millennials», regroupe les personnes nées entre 1983 et 2000.
Les énergies renouvelables sont une forme d’énergie obtenue à partir de ressources renouvelables, naturellement reconstituées à l’échelle du temps humain, comme le rayonnement solaire, le vent, la pluie, les marées, les vagues et la chaleur géothermique.
La livre sterling (GBP) est la monnaie officielle du Royaume-Uni.