Malgré la hausse des taux la plus forte depuis la fin des années 1970, l’économie US ne se résout toujours pas à tomber en récession. Il y a un ralentissement, c’est indéniable, mais pas de cassure. La semaine passée, certaines données ont à nouveau surpris par leur vigueur. Cette résilience vient en partie de la bonne situation financière des ménages. Pas de stress de ce côté. Les entreprises ont, elles, une dette élevée mais aussi d’importantes liquidités, si bien qu’à court terme cela leur rapporte plus que le renchérissement de leurs charges financières. Toutefois, l’effet restrictif de la politique monétaire grossit au fil du temps et ne sera pleinement maximal que les prochains trimestres. Prudence donc.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

Quand une économie se dirige vers la récession, les rythmes d’activité commencent par freiner, puis le freinage se fait de plus en plus brutal jusqu’à provoquer une sortie de route. Dans le cas présent de l’économie US, le freinage semble au contraire de plus en plus doux. Un exemple notable est le secteur résidentiel qui, après avoir connu une forte correction en 2022, est en train de se redresser. Dans une formule savoureuse, l’éditorialiste de Bloomberg John Authers a récemment parlé de « Godot recession ». La récession qu’on attend toujours mais qu’on ne voit jamais comme le personnage de Beckett. Pourquoi?

2023.07.03.Endettement
US : endettement des agents économiques

Une explication possible est que les bilans du secteur privé sont plutôt sains et en tout cas ne poussent pas de manière urgente à se désendetter. La situation financière des ménages est bien moins fragile que lors de la crise financière de 2008. Leur dette hypothécaire était alors 25 points de PIB plus haute qu’aujourd’hui (tableau). On ne peut pas en dire autant des entreprises non-financières, dont l’endettement a continué de s’accroître et est à un record historique de 48% du PIB. Toutefois, malgré une dette plus élevée, la charge nette d’intérêt tend à baisser (graphe). Les taux ayant beaucoup monté, cela semble contre-intuitif mais, jusqu’à présent, les entreprises reçoivent davantage sur leurs liquidités que le surcroit qu’elles doivent payer en refinançant leurs dettes.

2023.07.03.Charge d'intérêt
US : charge nette d’intérêt des entreprises non-financières

En matière de stabilité financière, il faut se garder de trop généraliser. Même si la situation d’ensemble paraît soutenable, il existe des zones de fragilité. Depuis la poussée de stress bancaire suite à la chute de SVB, l’immobilier commercial est sous pression car les banques cherchent à réduire rapidement leur exposition. Il y aura inéluctablement des défauts, la Fed en est parfaitement consciente. Le resserrement monétaire continue de se diffuser à l’économie réelle. Dans une étude récente, les économistes de la Fed notent que la part de firmes en détresse (1) n’avait jamais bondi aussi vite dans les précédents durcissements depuis la fin des années 1970. Ils estiment aussi que l’effet maximal du choc monétaire pourrait n’arriver qu’en 2024. On ne peut pas exclure que Godot décide de se montrer…

Economie

L’amélioration de l’activité et des ventes dans le secteur immobilier résidentiel, amorcée il y a quelques mois, se confirme. Cela peut paraître surprenant compte tenu du haut niveau des taux d’intérêt et de la faiblesse des crédits hypothécaires, mais entrent en jeu d’autres paramètres tels que la faiblesse des inventaires et les avantages accordés aux acheteurs par les promoteurs. En mai, les ventes de maisons neuves ont bondi de 12.2% m/m. C’est la cinquième hausse en six mois et le gain sur un an ressort à +20%. Par comparaison, notons que sur le marché des maisons existantes (qui est six fois plus gros), les ventes affichent encore un fort recul (-20.4% sur un an) même si, là aussi, il y a des signes de stabilisation. Les prix des logements se redressent un peu. En avril, selon les données de S&P/Case-Shiller, les prix ont monté dans 19 des vingt grandes villes couvertes, soit un gain de 0.9% m/m à l’échelon national. En mars, cette part était à 14 sur 20. Les autres indices de prix de la FHFA et de la National Association of Realtors ont également monté en avril.

2023.07.03.Housing market

En juin, les indices de confiance des ménages se sont redressés. C’est visible dans l’enquête de l’Université du Michigan, et plus encore dans celle du Conference Board qui pondère davantage les conditions d’emploi. L’indice total est au plus haut de l’année, l’indice des conditions courantes au plus haut depuis deux ans. Outre la solidité du marché du travail, l’autre élément positif pour les consommateurs est la stabilité à un bas niveau des prix de l’essence. Le prix moyen du galon est à 3.5$; il y a un an à la même époque, il dépassait 5$.

Le moral des entreprises apparaît plus mitigé. En juin, les PMIs ont reculé: -2.1pts à 46.3 dans le secteur manufacturier, -0.8 pts à 54.1 dans les services. Les enquêtes des Fed régionales ont donné des signaux divergents. Au total, cela continue de pointer vers une légère contraction de l’activité industrielle, compensée par une légère expansion des services.

Selon l’estimation finale, le PIB réel a augmenté de 2.0% t/t en rythme annualisé au T1 2023 (initial: 1.3%). L’essentiel de la révision vient du commerce extérieur. Sur la base des données connues à ce jour, la Fed d’Atlanta s’attend à un rythme de croissance similaire au T2 (+1.8%). La consommation des ménages y contribuerait pour 0.6 point (malgré une baisse des dépenses en biens) et l’investissement en construction non résidentielle pour 0.5 point (Voir Focus-US de la semaine passée: « Les gigafactories au secours de l’économie US? »)

Sur la semaine du 24 juin, les nouvelles inscriptions au chômage ont rebaissé (-26K à 239K) sans effacer toutefois la légère tendance haussière des dernières semaines.

Politique monétaire et budgétaire

Pas de nouveauté dans les propos de Jerome Powell au forum de la BCE à Sintra le 28 juin. Il a juste rappelé que le FOMC envisageait depuis sa réunion du 14 juin un scénario central avec encore une ou deux hausses de taux. A noter que les minutes de cette réunion seront publiées la semaine prochaine, le 5 juillet.

Le remplissage du compte du Trésor à la Fed se poursuit à un bon rythme. Au 27 juin, il ressort à 438Md$, contre 23Md$ en début de mois. Cela draine de la liquidité hors du système financier. Simultanément, certains facteurs jouent dans l’autre sens : les injections de la facilité BTFP (103Md$ au 28 juin) et la réduction de la facilité de reverse repo (-310Md$ sur les quatre dernières semaines).

A suivre cette semaine

Dans une semaine hachée par la fête nationale, le calendrier des publications sera dominé par les enquêtes ISM (3 et 5 juillet) et le rapport mensuel sur le marché du travail le 7. L’ISM du secteur manufacturier est en territoire récessif depuis déjà sept mois (46.9 en juin) et l’ISM-services était juste à la limite (50.3) le mois dernier.

 

(1) Celles dont la distance au défaut se situe dans le quartile inférieur du panel des entreprises étudiées. Voir FEDS Notes (2023), Distressed Firms and the Large Effects of Monetary Policy Tightenings

Sources : Fed Flow of Funds, ODDO BHF Securities