Greta Thunberg a plus fait pour populariser l’urgence climatique que tous les experts réunis. Dans presque tous les domaines désormais, les enjeux environnementaux sont incontournables, avec l’objectif ultime de verdir l’activité économique. Chacun est sommé, du moins en Europe, de réduire son empreinte carbone. On se limite ici à examiner l’impact des politiques de diminution des émissions de gaz à effet de serre.

Par par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

Officiellement, l’objectif de l’Union européenne est de réduire ces émissions de 40% d’ici 2030 par rapport au niveau de 1990 (sachant que le niveau de 2018 montre déjà un recul de 23%). La nouvelle Commission récemment mise en place a proposé de relever cet objectif à une diminution d’au moins 50%1. Pour ce faire, l’outil principal sera l’augmentation du prix du carbone. Son niveau se situait dernièrement autour de 25€/30€ par tonne. Les estimations réalisées en France et en Allemagne suggèrent que ce prix devrait approcher 250€ en 2030 pour atteindre l’objectif de réduction2. Sur la base d’hypothèses conservatrices de croissance, le poids de la taxe carbone passerait de 0.3% du PIB aujourd’hui à un peu plus de 2% en 2030, soit une impulsion représentant 0.2 point par an.

Dans le meilleur des mondes, ce montant serait réinjecté dans l’économie, sans effet sur l’activité totale, ne faisant que la déplacer vers les secteurs moins polluants. En pratique, la prudence invite à penser que l’introduction de cette distorsion dans l’économie aura des effets négatifs, sous la forme de prix plus élevés. Un exemple est donné par le récent paquet climat du gouvernement allemand. Selon l’estimation de la Bundesbank, l’inflation serait accrue de 0.3 pt en 2021 et 2022 tandis que la croissance serait globalement inchangée sur la même période si l’on raisonne avec un prix du carbone supporté par tous les agents démarrant à 10€ la tonne; à 25€ la tonne, l’impact sur l’inflation pourrait monter à 0.5 pt. En somme, les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre sont de nature à relever l’inflation de 0.2 à 0.5 point par an dans la prochaine décennie. La politique monétaire pourrait contribuer au verdissement de l’économie en ne réagissant pas à ce surcroît d’inflation3. En termes réels, le taux directeur serait plus bas que dans un scénario sans taxe carbone.

BCE : taux directeur et achats d’actifs
Sources: BCE, ODDO BHF

Problèmes environnementaux, inégalités, rôle des politiques budgétaires sont des sujets dont tout le monde reconnaît l’importance. Une banque centrale ne peut pas les ignorer dans son analyse des risques pour l’économie. Mais les intégrer dans son processus de décision présente le risque de rendre la politique monétaire plus confuse, quand la clarté est reconnue comme un atout. Un exemple vient à l’esprit: mettons que le QE devienne un jour un Green-QE, pourra-t-on se permettre de l’arrêter? Au vu des critiques qui ont plu sur la BCE à cause des taux négatifs au motif qu’elle opérait une redistribution entre agents, il n’est pas difficile d’imaginer de nouveaux angles d’attaques si la BCE étend ses ambitions.

Concernant la croissance, les impacts admis se situent entre la neutralité (maintien du potentiel) et une baisse de 0.1-0.2 point par an. Mais même si l’impact total est assez limité, il y aurait des transferts entre secteurs d’une toute autre amplitude, avec à la clef la disparition de certaines entreprises polluantes. Il y aurait alors une répercussion sur l’emploi, domaine où les responsables politiques deviennent alors extrêmement frileux. Pour compenser les pertes d’emploi ou d’activité, il faudrait des dépenses nouvelles pour développer les filières non-polluantes. A ce stade, le Green Deal est un slogan ou une vague promesse, guère plus. Au bout du compte, se pose le problème de l’acceptation sociale d’une taxe carbone. Le principe même d’une taxe comportementale est qu’il y ait une redistribution complète des ressources prélevées, précisément pour compenser le coût de la transition énergétique. Mais si le gouvernement n’y voit qu’un moyen d’accroître ses recettes, il s’expose à un risque de rejet. Le mouvement des ʺgilets jaunesʺ en France l’a bien montré. Il est né en partie d’une exaspération devant une accentuation de la taxe sur les carburants, qui n’avait de taxe carbone que le nom.

 


1. European Commission (2019), The European Green Deal. Ce nouvel objectif ne sera validé qu’après la réalisation d’une étude d’impact dans le courant 2020.
2. France Stratégie (2019), The Value for Climate Action ; German Council of Economic Experts (2019), Setting out for a New Climate PolicyCommission (2019)
3. Brookings (2017), Climate Change and Monetary Policy: Dealing with Disruption