Les mesures de confinement qui s’étendent aux États-Unis vont bouleverser le marché du travail. Sa flexibilité, qui est normalement un avantage, va faciliter les ajustements et causer une explosion des inscriptions au chômage. Elles étaient à 200.000 environ avant le choc, elles risquent de vite se compter en millions. Aucune comparaison historique ne sera valable. L’ampleur pourrait être celle de la Grande Dépression, sauf que le choc est prévu pour durer quelques semaines cette fois-ci, et non pour plusieurs années. Le stimulus budgétaire, tout juste voté, vise à amortir la chute des revenus et à préserver la consommation.

Focus US par Bruno Cavalier, Chef Economiste et Fabien Bossy, Economiste

 

US : un siècle de taux de chômage

Selon le Secrétaire au Trésor, sans un plan budgétaire massif pour contrer le choc du coronavirus, le taux de chômage pourrait s’envoler à 20%. Les précédents pics avaient été atteints en 1982 et 2009, lors de sévères récessions, au voisinage de 10%. Le niveau de 20% n’est comparable qu’à la crise des années 1930 (graphe). Ce plan a été voté mais le marché du travail va tout de même connaître un ajustement brutal du fait de la fermeture imposée à de nombreux secteurs. Avec une force de travail actuellement à 165 millions (dont 5.8M de chômeurs), un taux de 20% implique 27 millions de chômeurs supplémentaires. Est-ce possible? Hélas, oui.

Du fait d’une réglementation légère, le marché du travail US est d’une grande fluidité à l’entrée comme à la sortie. A brève échéance, le confinement de plus en strict aura des effets dévastateurs sur les conditions d’emploi. Déjà, des événements sportifs et des réunions politiques ont été suspendus. Le transport aérien est fortement réduit. Les fermetures de restaurants et d’hébergements touristiques se multiplient. Ce secteur compte 14M d’employés. Le secteur éducatif risque lui aussi d’être touché, avec là encore environ 14M d’employés. Il faut ajouter la mise à l’arrêt des usines automobiles, de nombreux chantiers de construction et de commerces. La distanciation sociale est un choc inédit.

US : inscriptions hebdomadaires au chômage

Dans certains états (Pennsylvanie, Connecticut, Ohio…), les demandes d’indemnisation ont commencé à s’envoler. Cela se verra à l’échelon national à compter des chiffres arrêtés au 19 mars (publiés le 26 mars), mais déjà au 12 mars, le rebond s’amorçait (graphe). L’hypothèse centrale est que le confinement durera quelques semaines environ, une période trop brève pour enregistrer une hausse durable du chômage1. Toutefois il y aura une période d’incertitude durant laquelle les ménages verront leurs revenus baisser mais ont des dépenses incompressibles. Et au sudden stop sur l’emploi s’ajoute la dévalorisation des patrimoines financiers…

Politique monétaire et budgétaire

La Fed a sorti l’artillerie lourde. Le dimanche 15 mars, après une réunion d’urgence, elle a coupé ses taux directeurs de 100 pdb. Ils retrouvent leur plancher de 0-0.25% comme de 2009 à 2015. Elle a relancé le programme d’achats d’actifs à hauteur de 500Md$ sur les emprunts du Trésor et 200Md$ sur les MBS. Elle a aussi abaissé de 150bp le taux de la discount window à 0.25%, ouvrant cette facilité sur des maturités allant jusqu’à 90 jours. Les plus grandes banques américaines ont annoncé qu’elles allaient l’utiliser sans crainte de la stigmatisation qui lui est d’ordinaire associée.

En tant que régulateur, la Fed a aussi poussé les banques à faire usage des capitaux accumulés depuis la crise pour absorber le choc à venir et continuer à prêter aux entreprises en relaxant ses règles. En coordination avec les principales banques centrales (BoC, BoE, BoJ, BCE, BNS), la baisse a étendu ses lignes de swap en dollar jusqu’à 84 jours (et non plus une semaine), avec une marge de 25bp (au lieu de 50bp). La première opération de ce type avec la BCE a porté sur 76Md$. Le 19 mars, la Fed a élargi ses lignes de swap avec d’autres pays: Australie, Brésil, Danemark, Corée du sud, Mexique, Norvège Nouvelle-Zélande, Singapour, Suède, pour 30 ou 60Md$ selon les cas.

Par ailleurs, la Fed a ressorti toute la panoplie des facilités créées durant la crise de 2008 et destinées à soutenir divers compartiments de marché, comme les billets des trésorerie (Commercial Paper Funding Facility, CPFF), l’activité des institutions correspondantes (Primary Dealer Credit Facility, PDCF), les fonds monétaires (Money Market Mutual Fund Liquidity Facility, MMLF). Il va falloir réapprendre un tas d’acronymes. Il n’y a pas de doute, c’est une grave crise financière qui a débuté. Durant la semaine, les principaux marchés d’actions ont poursuivi leur dégringolade. Une chute de près de 30% en moins d’un mois.

Au plan budgétaire, les décisions ont aussi été accélérées. La Maison Blanche a proposé un plan de soutien pour 1000Md$ qui a été voté le 18 mars. La moitié est destinée à soutenir le revenu des ménages. Le Trésor enverra deux fois, le 6 avril puis le 18 mai, un chèque aux ménages américains dont le montant sera calculé selon le niveau de revenu et la taille de la famille. Cette aide est sous condition de ressources. Une enveloppe de 50Md$ est prévue en soutien aux compagnies aériennes et une de 150Md$ pour les autres secteurs dont l’activité est stoppée par la crise sanitaire (hôtellerie, tourisme, centres commerciaux). Ces aides prendront la forme de prêts sécurisés ou de garantie de prêt. Enfin, 300Md$ sont destinées à aider les PME à traverser cette crise. Pour les entreprises de moins de 500 salariés, le Trésor garantirait à 100% six semaines de salaires (sous un certain plafond) si elles gardent leur personnel malgré la baisse d’activité.

A suivre cette semaine

Les inscriptions hebdomadaires au chômage vont vraiment prendre leur envol la semaine prochaine (publication le 26 pour la semaine du 19). Les enquêtes PMI (le 24) devraient aller dans une direction similaire. Les données d’activité pour le T4 et pour février n’auront qu’un intérêt très limité.

 

Sources : Thomson Reuters, Oddo BHF Securities


1. Si les personnes concernées, sachant qu’elles retrouveront leurs postes, ne font pas de recherche d’emploi active, elles de devront pas être comptées comme chômeurs mais sortiront de la force de travail. Cela réduirait alors grandement la hausse du taux de chômage.