Préoccupations et controverses – obstacles et angles morts dans le paysage automobile électrique.

Dr Thiemo Lang, gérant de portefeuille Senior de la stratégie RobecoSAM Smart Mobility nous explique les changements inédits et les fortes perturbations qui secouent l’industrie automobile ainsi que les raisons qui font que la mobilité intelligente va bien au-delà de la seule création de véhicules propres.

 

On dit que les voitures électriques réduiront le réchauffement climatique, mais à l’heure actuelle, la fabrication des véhicules électriques émet aussi des gaz à effet de serre. Pourquoi les véhicules électriques seraient-ils plus propres que les voitures classiques?

Dr Thiemo Lang: Une multitude de variables et d’hypothèses influencent le calcul des émissions de carbone des voitures traditionnelles et des véhicules électriques, mais les plus importantes sont les émissions de CO2 pendant la fabrication et l’utilisation des véhicules.

Durant la fabrication, les émissions de carbone des véhicules électriques et des voitures conventionnelles varient selon le mix d’électricité utilisé par les usines lors de la production des véhicules et des carburants. Dans la plupart des usines, ce mix énergétique contient encore des combustibles fossiles, comme le charbon et le gaz naturel, mais cela est également en train d’évoluer. À l’avenir, celles qui utiliseront des énergies renouvelables – comme les usines Gigafactory que Tesla projette de construire – auront une empreinte carbone beaucoup plus faible.

Pendant la phase d’utilisation, l’empreinte du véhicule électrique dépendra de la composition du mix énergétique utilisé pour produire l’électricité. Plus il contient de combustibles fossiles, plus il est nuisible. Bien sûr, à mesure que les énergies renouvelables remplacent les combustibles fossiles pour la production d’électricité, l’empreinte carbone des véhicules électriques continuera de diminuer. Il est même concevable que les émissions de CO2 deviennent nulles pendant la phase d’utilisation.

Les véhicules à essence, en revanche, ne pourront jamais réduire de façon significative leurs émissions de carbone. Aujourd’hui déjà, dans l’hypothèse où 100% de l’électricité serait produite à partir de charbon, les véhicules électriques ont une empreinte carbone plus faible que celle des voitures à essence.

Les batteries sont au cœur des voitures électriques, mais au cœur des batteries se trouvent des métaux toxiques, comme le lithium et le cobalt. Quelle est la durée de vie d’une batterie Li-ion standard et comment les problèmes liés à son élimination peuvent-ils être résolus?

TL: Pour ce qui est de la durée de vie, les batteries des véhicules électriques modernes sont étonnamment robustes. Les scientifiques estiment la durée de vie théorique d’une batterie de véhicule électrique à 20 ans dans de bonnes conditions. À l’heure actuelle, les batteries des véhicules électriques peuvent facilement fonctionner pendant 8 à 10 ans (200 000 km / 124 000 miles) et conserver jusqu’à 80-90% de leur capacité. Tesla et Nissan, qui sont à la pointe sur ce marché, offrent même une garantie de 8 ans sur leurs véhicules électriques.

Certes, les batteries lithium-ion ne sont pas sans impact sur l’environnement, mais tout problème lié à leur élimination (que ce soit après 8, 10 ou 20 ans) sera vite réglé compte tenu des revenus supplémentaires qu’elles peuvent générer sur une longue période après leur utilisation à bord d’un véhicule.

La valeur élevée des composants des batteries suscite l’élaboration de solutions avancées de réemploi et de recyclage qui finiront par devenir un vaste sous-secteur offrant de multiples opportunités d’investissement supplémentaires. Nous voyons déjà les prémisses de ces activités de niche au moment où les fabricants annoncent des partenariats avec d’autres secteurs pour trouver de nouvelles utilisations moins énergivores aux batteries d’automobiles usagées, comme l’alimentation des appareils électroménagers, des éclairages municipaux ou le stockage de l’énergie solaire et éolienne pour faire face aux besoins énergétiques des ménages et des infrastructures publiques.

De plus, les métaux contenus dans les batteries sont en fait suffisamment précieux pour être recyclés, créant ainsi d’autres sources de revenus rentables. Les autorités de réglementation inciteront vraisemblablement les constructeurs automobiles et les fournisseurs de batteries à une attitude plus responsable, ce qui devrait accélérer plus encore le développement de solutions de recyclage et d’élimination.

 

Vous venez d’évoquer la durée de vie des véhicules électriques, mais revenons aux trajets quotidiens. L’un des inconvénients des véhicules électriques jusqu’à présent est leur autonomie limitée avec une seule charge. Les craintes suscitées par les problèmes d’autonomie sont-elles encore une préoccupation majeure?

TL: Pour le moment, les voitures à essence peuvent parcourir de plus grandes distances avec un plein que les véhicules électriques avec une batterie pleinement chargée. En moyenne, leur autonomie est de 400-600 kilomètres contre 200-400 kilomètres pour les véhicules électriques. Mais l’autonomie de ces derniers ne cesse de progresser grâce aux améliorations technologiques apportées aux batteries. La prochaine génération de batteries devrait être à électrolyte solide, ce qui permet une meilleure conductivité électrique, donc nous pensons que les craintes liées à l’autonomie seront très bientôt un problème du passé.

 

Les craintes suscitées par l’autonomie sont étroitement liées à la disponibilité d’électricité et des stations de charge. Pour donner un exemple concret, il y a aux États-Unis à peine plus d’une station de recharge pour 10 stations-service. Les infrastructures de recharge vont-elles constituer un obstacle à l’adoption des véhicules électriques?

TL: La ratio des stations de recharge par rapport aux stations-service n’est pas une comparaison équitable parce qu’elle ne tient pas compte du fait qu’avec les véhicules électriques, la recharge s’effectue principalement (90%) à domicile ou sur le lieu de travail. En dehors des longs trajets, la recharge à domicile est plus que suffisante.

Pour les plus longs trajets, au cours desquels de multiples recharges sont nécessaires, nous pensons qu’un réseau public efficace de points de charge sera déployé à un rythme qui n’entravera pas l’adoption rapide des véhicules électriques. Nos estimations montrent que les investissements nécessaires pour les infrastructures de charge sont tout à fait gérables. Cela vaut tant pour les boîtiers de charge que les consommateurs utilisent chez eux que pour les investissements à plus grande échelle requis pour la production et la distribution d’électricité.

En outre, la tendance à la consolidation des protocoles de charge et des normes d’équipement va se poursuivre à l’échelle mondiale, ce qui permettra de réduire davantage les temps de charge et les coûts pour les utilisateurs de véhicules électriques.

La qualité des infrastructures de charge ne se mesure pas seulement par le nombre, mais aussi par la vitesse et le type de port installé. Les points de charge ne sont pas créés de manière équitable. Pour les utilisateurs, cela présente-t-il des inconvénients mineurs ou s’agit-il d’une véritable source de préoccupation?

TL: Il est vrai que la recharge des véhicules électriques n’est pas aussi standardisée que le pompage de l’essence pour les véhicules équipés de moteur à combustion. Certains types de ports chargent plus rapidement que d’autres, certains points de charge sont réservés aux membres sur des réseaux privés, d’autres nécessitent une interface de connexion propriétaire. Mais, comme nous l’avons déjà évoqué, la recharge n’est pas vraiment un problème pour l’utilisateur moyen, car elle s’effectue le plus souvent à domicile ou sur le lieu de travail. En fait, seulement 3 à 6% des trajets sont d’une distance totale de plus de 161 kilomètres (100 miles).

Des infrastructures de charge efficaces et suffisantes restent cependant essentielles pour le développement du marché des véhicules électriques, en particulier lorsque la charge à domicile n’est pas envisageable. Les constructeurs automobiles travaillent déjà en collaboration avec les producteurs d’électricité, les réseaux de points de charge et les fabricants de batteries pour créer des infrastructures de charge standardisées assurant à leurs clients un accès étendu et facile aux points de charge. Ainsi, que vous soyez chez vous, au travail, en voyage ou sorti faire des courses, il y aura toujours une solution de recharge adaptée.

125 millions de véhicules électriques devraient être sur les routes d’ici 2030. Avec tous ces véhicules électriques branchés aux réseaux électriques, y aura-t-il assez d’électricité pour circuler?

TL: L’un des grands avantages concurrentiels des moteurs électriques est que leur rendement énergétique est près de 3 fois supérieur à celui d’un moteur à combustion (96% contre 35%). Par conséquent, il faut environ deux tiers d’énergie en moins pour parcourir 100 km avec un véhicule électrique par rapport à une voiture à essence. En ville, l’efficacité relative des véhicules électriques est d’autant plus grande qu’une vitesse réduite et des freinages fréquents facilitent et augmentent la régénération d’énergie.

Les études montrent que même si toutes les voitures particulières étaient converties à l’électrique, la demande d’électricité n’augmenterait que de 20 à 30%. Et si les camions et utilitaires utilisés pour le transport et la logistique étaient également convertis, cela représenterait peut-être encore 20 à 30% de plus. Des capacités supplémentaires seront apportées sur une période de 2 à 3 décennies, de sorte que les producteurs d’électricité, les gouvernements et les partenariats privés auront le temps de mettre en œuvre des solutions structurées.

Il est utile d’ajouter que, si les transports consommeront plus d’électricité, la demande d’électricité pour les logements et les bureaux devrait diminuer à mesure que le chauffage, la climatisation, l’éclairage et les machines deviennent plus écoénergétiques. Pour ces raisons, nous ne voyons pas de contrainte de capacité électrique.

Nous sommes également convaincus qu’une part de plus en plus importante de cette électricité proviendra des énergies renouvelables. Pendant les périodes sans vent et soleil, l’énergie inutilisée stockée dans les batteries de véhicules électriques fournira les réserves d’électricité nécessaires. Dans ce sens, les véhicules électriques ont le potentiel d’être à la fois un catalyseur et une solution dans la transition vers une société sans énergie fossile.

 

Jusqu’à présent, nous n’avons parlé que des contraintes technologiques et de capacité, mais il existe aussi de graves problèmes sociaux qui assombrissent l’avenir prometteur des véhicules électriques. Par exemple, le travail forcé dans les mines qui fournissent des matières premières pour la fabrication des batteries. Comment ces problématiques ESG sont-elles prises en compte par RobecoSAM?

TL: Nous prenons cette problématique très au sérieux et l’équipe de gestion de portefeuille, en collaboration avec notre équipe Recherche investissement durable et l’équipe Engagement de Robeco, a analysé la chaîne d’approvisionnement en matières premières et mis en place un cadre qui régit la manière dont nous investissons dans les producteurs de composants pour batteries.

Conformément à notre politique d’investissement, nous n’investissons que dans des sociétés qui publient des informations satisfaisantes sur leurs politiques d’achat auprès des fournisseurs concernés dans leur chaîne logistique, et effectuent des contrôles sur site de ces entreprises.

Notre processus prévoit l’évaluation des normes sociales et politiques des pays dans lesquels les entreprises ont une présence opérationnelle ainsi qu’un examen critique des entreprises elles-mêmes pour s’assurer de leur capacité à gérer les risques environnementaux et sociaux.

 

Et que pensez-vous de Tesla et Elon Musk? Quelle est votre opinion sur l’entreprise, son PDG controversé et son rôle dans la révolution des véhicules électriques?

Musk est un leader charismatique qui a certainement contribué à une plus grande visibilité et acceptation des véhicules électriques aux États-Unis et dans le monde. De façon plus marquante encore, il a fait bouger les lignes dans l’industrie automobile, détournant le marché des moteurs à combustion, de la mécanique et des combustibles fossiles pour le réorienter vers les moteurs électriques, les batteries et les logiciels. Les grands constructeurs automobiles du monde entier dévoilent à une cadence presque quotidienne de nouveaux modèles de véhicule électrique ainsi que des projets de partenariats et d’investissements dans l’intelligence artificielle et la conduite autonome.

Bien sûr, Tesla a été portée par des évolutions réglementaires visant à lutter contre les changements climatiques et les émissions de carbone, principalement en Californie. Mais on ne peut pas nier son leadership audacieux, sa vision, sa ténacité et son style qui ont propulsé non seulement Tesla, mais également les véhicules électriques sous les projecteurs. Récemment, ces projecteurs ont également mis au jour des difficultés concernant les flux de trésorerie, la gestion de la chaîne d’approvisionnement, les capacités de production et la gouvernance de l’entreprise. Pour ces raisons, nous pensons qu’il existe des investissements alternatifs plus attractifs sur le marché des véhicules électriques.

 


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