Il y a des hypothèses que les économistes laissent volontiers hors de leur raisonnement et le sujet mérite effectivement réflexion.

Dans le contexte macroéconomique actuel, les banques centrales ont bien du mal à créer de l’inflation. Rappelons tout de même qu’un taux d’inflation raisonnable est considéré comme positif pour la dynamique économique. Et l’inflation est liée au marché de l’emploi. En effet, peu de chômeurs signifie qu’il faut augmenter les salaires soit pour les convaincre de prendre un emploi, soit pour débaucher des salariés en emploi. Hausse des salaires qui se répercute dans le prix de vente du produit ou de la prestation réalisée par ledit salarié, et la machine à créer de l’inflation est lancée.

Par contre avec un nombre trop élevé de chômeurs, il n’est plus possible d’observer cette logique. Et pourquoi y aurait-il plus de chômeurs, surtout si l’on annonce que l’économie est repartie et que la croissance est revenue ? Mais à cause des machines, pardi ! Cette grande tendance à l’automatisation qui permet d’augmenter la productivité tout en réduisant le nombre d’employés.

Raisonnement faux, crieront immédiatement les chantres du progrès. A leurs yeux, l’automatisation croissante libérera les employés des tâches répétitives et fastidieuses afin qu’ils puissent se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Un travail gratifiant pour tous grâce aux machines. Peut-être… mais il est permis de douter que la majorité des employeurs soient dotés d’un tel niveau d’altruisme. La plupart se frotteront plutôt les mains en voyant grossir leurs bénéfices grâce au coup de booster apporté à la productivité d’un nombre désormais plus petit d’employés nécessaires pour effectuer le même travail. Donc le nombre de chômeurs augmente.

Et j’oublie le plus important, diront encore mes détracteurs, puisqu’il est bien connu que ces nouvelles technologies créeront des emplois à foison pour les ingénieurs, informaticiens et autres techniciens, sans parler de tous ces nouveaux métiers qui restent à inventer. Certes, le point est tout à fait valide mais ne répond pas au problème. Je ne suis pas totalement convaincu que le livreur remplacé dorénavant par un drone se recycle en un claquement de doigt en data scientist.

Nous risquons donc d’assister à un découplage au sein du marché du travail, avec d’un côté une pénurie de cerveaux indispensables à la nouvelle économie, et de l’autre des chômeurs impossibles à recycler. Inflation salariale pour les uns, prestations sociales pour les autres. Bref, un scénario à la Germinator (oui, j’ai osé la contraction de Germinal et Terminator). Science fiction ? Peut-être bien, mais comme toujours, les scénarios extrêmes sont les plus intéressants.

Mais revenons les pieds sur terre. Nous avons nos chômeurs pour lesquels tout espoir de réinsertion dans la nouvelle économie diminue de jour en jour. Or il faudra bien survenir à leurs besoins afin d’éviter une révolution, ou du moins une forte avancée des partis populistes. Et pour financer ces prestations sociales, il faudra aussi que l’Etat trouve l’argent quelque part. La fiscalité devra donc augmenter puisque c’est ainsi que se remplissent les caisses du Trésor. L’Etat a d’ailleurs 2 choix, taxer le travail ou taxer le capital. Reste qu’il faudra redéfinir ces 2 concepts dans la nouvelle économie et le débat fait déjà rage entre partisans et opposants à la taxation des «robots».

Bien entendu, tout cet article n’est que du pur délire car l’humanité a déjà connu 3 révolutions disruptives avant celle-ci et tout cela s’est bien terminé. Certes, mais il est un point que l’on oublie souvent : ces révolutions technologiques ont eu lieu dans des économies encore majoritairement portées par les secteurs primaire et secondaire. Ces (r)évolutions technologiques ont déplacé les paysans vers l’usine, ensuite les ouvriers vers les bureaux. Parce que la technologie y a créé de nouveaux emplois. Et l’école a formé aux nouveaux métiers en apprenant à lire et à compter.

Aujourd’hui, dans les économies développées, les emplois sont déjà dans le tertiaire et les évolutions technologiques vont impacter pleinement ce même secteur. Les nouveaux métiers qui en découleront nécessiteront beaucoup plus que savoir lire et compter. Le discours disant qu’il faut apprendre à coder dès le plus jeune âge devrait donc être pris très au sérieux. Mais ceci ne résout pas le problème des personnes plus âgées ayant perdu leur emploi.

Si l’on prend en compte la démographie, l’avenir est encore moins clair, avec une population active qui diminue mais doit supporter une charge fiscale croissante servant à financer l’autre partie de la population composée de retraités et de chômeurs.

Cerise sur le gâteau, dans ce monde sans inflation, les rendements obligataires restent bas. Trop bas pour que les caisses de pension soient en mesure de faire face aux besoins de leurs bénéficiaires.

Les pires scénarios ne doivent pas forcément se réaliser, mais ce n’est pas une raison pour les exclure de toute analyse. Il a toujours été plus facile d’aborder les situations difficiles en étant bien préparé.