Qui a bien pu s’imaginer que les réseaux sociaux comme Facebook étaient des biens d’utilité publique gracieusement mis à disposition de la population?

Il était une fois

Il était une fois un pays merveilleux dont tous les habitants disposaient d’un galet magique leur permettant de… STOP !!! Ceci n’est pas la vraie vie !!!

Reprenons. Il était une fois il n’y a pas si longtemps – c’est-à-dire en 2017 – environ 2.4 milliards d’humains possédant un smartphone. A fin 2017, Facebook comptait 2.1 milliards d’utilisateurs actifs, c’est-à-dire qui se sont connectés au-moins 1 fois au cours des 30 derniers jours. Par ailleurs, 1.7 milliard d’utilisateurs actifs l’ont fait depuis un mobile. Chaque jour, 1.4 milliard de personnes se connectent à Facebook. Chaque minute, 510’000 commentaires sont postés, 293’000 statuts sont mis à jour et 136’000 photos sont mises en ligne. Chaque minute. (source: zephoria.com)

Cela fait beaucoup… et sans que l’utilisateur dépense 1 seul centime pour bénéficier de ce «service». Facebook serait-il donc une sorte de service public mondial facilitant la communication entre les habitants de cette planète? En fait, non. Facebook est une entreprise cotée en bourse et celui qui l’ignore ferait probablement mieux de lire autre chose que … son fil d’actualités Facebook.

Nul besoin d’avoir obtenu un MBA pour savoir que les sociétés cotées en bourse sont supposées réaliser des profits. En vendant leurs produits. Mais il n’y a rien à acheter sur Facebook me direz-vous. Mais justement, si: vous. En vous vendant aux annonceurs, Facebook a récolté plus de 40 milliards de dollars l’an dernier, ce qui représente 98% de ses revenus. La publicité digitale a représenté en 2017 un marché de $209 milliards dont presque 2/3 sont tombés dans les poches de Facebook et Google.

Une segmentation de plus en plus poussée

Que l’on croie ou pas aux vertus de la publicité, force est de constater que des budgets de plus en plus conséquents y sont alloués. Et l’annonceur attendant bien évidemment un retour sur investissement, il est essentiel de réussir à bien cibler les acheteurs potentiels. Dans la presse écrite ou à la télévision, cela se limite à une segmentation assez grossière. Par contre sur internet, nous entrons dans un nouveau monde de possibilités parce que vous en avez révélé beaucoup plus que vous ne le pensiez sur votre profil de consommateur.

A l’ère du big data, vous êtes de moins en moins noyé dans la masse et de mieux en mieux profilé. Les données sont là, et vous-même avez accepté qu’il en soit ainsi après avoir cliqué «j’accepte» sur des conditions d’utilisation que même votre cousin hypocondriaque n’aurait pas eu le courage de lire entièrement. Donc vous avez accepté d’être analysé, disséqué, aujourd’hui jusqu’à la moelle mais demain jusqu’à l’atome, les puissances de calcul augmentant sans cesse.

Et qu’a-t-on trouvé sur vous? Des algorithmes ont réussi à vous profiler sur base de vos publications, de vos likes, de vos lectures, de vos temps de lecture, de votre géolocalisation, de votre historique de recherche, de votre historique d’achats, bref, de toute votre activité en ligne. Ce paquet de donnée, votre trace digitale, en dit beaucoup plus que vous ne le pensez, mais pas de manière classique. En fait, lorsqu’une société (y compris Facebook afin d’améliorer votre profilage) achète des données sur vous, il ne s’agit pas de données brutes mais de résultats d’analyses psychométriques : x% que vous soyez un homme, y% que vous soyez de telle race, de telle tranche d’âge, de tel niveau de revenu, marié ou célibataire, aimant tel type de cuisine, tel type de loisirs, de telle orientation politique, sexuelle, religieuse…

Mais cela ne s’arrête pas là, il y a aussi vos «amis» car le proverbe dit bien qu’on n’est jamais trahi que par les siens et cela prend un sens nouveau dans le monde du big data. En plus des informations de première main, celles que vous avez-vous-même fournies, il y a celles qui en seront déduites de manière directe et celles qui en seront déduites au travers de vos connections. Il est par exemple possible d’évaluer votre credit scoring sur base de vos connections et de votre trace digitale (source: ft.com).

Un ciblage de plus en plus précis

Cette précision dans le profilage permet à l’annonceur de mieux cibler ses clients potentiels et de lui montrer une publicité mieux à même d’affecter son comportement d’achat. Vous avez ainsi été ciblé pour être un acheteur potentiel de telle voiture, de tel sac, de tel voyage. Mais aussi de tel biscuit au sucre et à l’huile de palme. Qui s’est insurgé d’avoir été influencé dans un comportement d’achat augmentant potentiellement son risque d’obésité et de diabète? Personne, ou alors bien peu de monde.

Cela veut-il dire que d’autres types d’annonceurs pourraient recourir aux mêmes techniques? Par exemple pour influencer des élections? Notons au passage que lors de la campagne d’Obama, ce dernier avait été encensé pour son utilisation si efficace des réseaux sociaux. Mais il est vrai qu’avec Trump ce n’est pas pareil. Forcément, la technologie a évolué et les gourous digitaux ont appris à utiliser d’autres plateformes numériques afin d’augmenter encore l’efficacité de leurs campagnes. Et quand c’est le méchant qui gagne…

Infographie: Facebook, le plus néfaste des géants de la tech ? | Statista
Vous trouverez plus d’infographies sur Statista

Heureusement, j’ai échappé à tout ça!

En fait, non… il faut bien comprendre aujourd’hui que d’énormes ensembles de données personnelles sont là «quelque part». Même sans profil Facebook, vous êtes profilable. L’application météo si pratique que vous avez installée voulait absolument avoir accès à votre carnet d’adresse, ce que vous avez accepté. Ce petit jeu gratuit si sympathique avait besoin d’accéder à ma localisation. Et cette autre application qui demandait à accéder à mes emails. A quoi cela peut-il bien servir? Mais à recréer votre réseau à travers tous vos contacts. Eux sont sur Facebook ou d’autres réseaux. Vous êtes connecté avec eux, vous appartenez donc à des groupes, à des clusters. Vous avez été profilé. Même sans application, même avec votre vieux Nokia 3310, votre simple numéro de téléphone a permis de vous connecter au réseau de vos connaissances en accédant à leur répertoire.

Et encore, nous n’avons aucune idée des gigantesques ensembles de données personnelles encore inexploités qui dorment dans le cloud. Les objets connectés de toutes sortes (p.ex. les énormes progrès réalisés en reconnaissance vocale sont dus à l’enregistrement et à l’analyse de vos conversations avec divers assistants vocaux), y compris ceux qui traquent votre activité physique, génèrent chaque seconde des tonnes de données très personnelles. Big Data n’est pas un nom galvaudé.

L’invisibilité aurait-elle un prix?

Si Facebook a 2.1 milliards d’utilisateurs actifs et gagne 40 milliards par an grâce à ses publicités, un abonnement annuel à $20 leur permettrait de ne plus vendre nos données à qui que ce soit. Mais quid de Google, LinkedIn, Snapchat et j’en passe. L’adition serait au final bien trop élevée pour nombre d’entre nous.

Quant à la nouvelle loi européenne sur la protection des données (GDPR), combien de temps avant qu’elle soit réellement effective? Quelles parades trouveront ceux à qui le minage de vos données profite? Réglementer tout cela sera probablement impossible.

Dans le grand monde d’internet, nous sommes tous devenus des produits: big brother is selling you.