Les investisseurs en produits passifs attendent de plus en plus souvent que leur gérant agisse en actionnaire actif.

Comme écrit dans un précédent article, les fournisseurs d’ETF détiennent au travers de leurs produits les actions de nombreuses sociétés, du moins pour ceux qui font de la réplication physique. Ces actions permettent à leur détenteur de voter lors des assemblées générales.

Des investisseurs de plus en plus actifs

Une tendance croissante parmi les investisseurs en ETF est justement de demander aux gérants d’utiliser ces droits de vote. Si l’idée parait simple à comprendre – une fois que l’on aura passé outre les questions sur le fait de mélanger actionnariat actif et investissement passif – elle rencontre de nombreux obstacles en pratique.

Pour commencer, rappelons que le gérant d’un ETF n’a pas besoin d’analyser les sociétés dans lesquelles il est investi. Sa responsabilité consiste à répliquer la performance d’un indice et pour ce faire il achète touts les titres qui le composent. Rien que dans le cas du S&P 500, cela représente 500 sociétés, ce qui en fait déjà beaucoup à analyser, car à l’inverse d’un gérant actif opérant son stock picking, l’ETF détient les 500 sociétés de l’indice. Cela nécessite des équipes dédiées à plein temps, que l’on ne trouve pas forcément dans les sociétés spécialisées en gestion passive. Afin de remédier à ce problème, deux options existent.

Le vote en pratique

Dans le cas où la société gérant les ETF fait partie d’un groupe comprenant également une activité de gestion active, beaucoup de titres seront déjà suivis par les analystes en charge des produits actifs. Il est donc possible de leur déléguer les droits de vote issus de la gamme passive. L’application de ce type d’approche relève alors de l’organisation interne de la société de gestion mais il n’est pas rare de devoir mettre en place des systèmes relativement lourds afin de profiter au mieux des ressources à disposition. Par exemple, si la société gère 2 fonds actifs de philosophie totalement opposées (typiquement value et growth), les 2 gérants pourraient sur certains points avoir des votes opposés (l’un pourrait favoriser un versement de dividende et l’autre une politique d’acquisition agressive). Dans de telles situations, ces votes opposés s’annuleraient. Pour cette raison, certaines sociétés de gestion ont mis en place des systèmes de décision internes permettant à chacun de faire valoir ses vues et ainsi rallier ses collègues en un vote unanime beaucoup plus puissant. Pour ce qui est des votes provenant des produits passifs, soit le gérant de l’ETF est partie prenante et se forge une opinion sur base des analyses de ses collègues, soit ses titres sont répartis entre les gérants actifs.

L’autre cas de figure est celui de la société ne disposant pas d’équipes d’analystes au sein du groupe et qui fera dès lors appel à des prestataires externes spécialisés dans ce type de service, à l’image d’ISS ou Glass Lewis. Notons que ces prestataires conseillent et représentent également des sociétés disposant d’une gamme de fonds gérés activement mais désireuses d’obtenir un support externe ou de déléguer la gestion de leurs droits de vote. Ainsi en Suisse, sur le segment spécifique de l’ESG – qui représente l’une des préoccupations principales des actionnaires et détenteurs de fonds, que ceux-ci soient actifs ou passifs – Ethos propose ses services pour l’analyse de sociétés suisses ou étrangères et l’exercice des droits de vote associés.

Quelques obstacles, parfois inattendus

En pratique, avec ou sans aide extérieure, l’exercice des droits de vote à l’échelle d’une société de gestion reste un exercice complexe, à commencer par ses aspects purement logistiques. Pour un analyste, connaitre une société n’implique pas nécessairement de maitriser les aspects juridiques du vote en AG. Par exemple, dans certains pays, la législation impose d’enregistrer les titres permettant le vote au nom du votant, ou de les déposer auprès d’un dépositaire désigné durant plusieurs jours. Le gérant de fonds et plus encore le gérant d’ETF pourrait ne pas être en mesure de bloquer ainsi une partie de son portefeuille. D’autres législations imposeront la présence physique lors du vote, ce qui sera dans de nombreux cas une contrainte forte pour les gérants de fonds.

Une autre contrainte à prendre en considération est que les sociétés cotées ne sont pas particulièrement ravies de voir arriver des gestionnaires de fonds à leur AG. Les gestionnaires de gros fonds de pension ont effectivement une réputation assez négative du fait de leurs exigences en termes de rendement à court terme par exemple. Une image qui, si elle est en partie vraie, arrange également les dirigeants de société qui diabolisent ainsi certains votants qui refusent d’abonder en leur sens. Les gérants de fonds ont en effet de nombreuses fois voté contre l’augmentation de la rémunération des dirigeants.

Les sociétés cotées tentent donc de mettre en place divers obstacles au vote. Parfois à raison, à l’exemple des sociétés japonaise qui ont dû faire face au chantage des yakuzas les menaçant d’envoyer des perturbateurs dans les AG si une rançon n’était pas versée. Les sociétés japonaises ont réagi en concentrant un maximum d’AG sur les mêmes jours. Un tel cas de figure nécessite donc une organisation sans faille et des ressources titanesques de la part de gérants de fonds désirant exercer leurs droits de vote.

D’autres sociétés cotées, en plus de bénéficier d’un calendrier encombré, envoient les documents relatifs au vote en dernière minute, les modifient ou en fournissent des traductions approximatives. Tout ceci dans le but d’engorger les services d’analyses et de les empêcher d’exercer leurs droits de vote démocratiquement.

Vers un futur plus actif

Pour conclure, la question a été posée de savoir si le vote pourrait devenir obligatoire. Certaines contraintes exposées dans cet article démontrent que ce serait impossible à mettre en œuvre. Les sociétés de gestion de fonds sont cependant de plus en plus souvent, sous la pression de leurs clients, amenées à exercer leurs droits de vote. Par souci de transparence, la réglementation de plusieurs pays impose de mettre à disposition des détenteurs de parts de fonds la politique de vote du gestionnaire ainsi que ses votes effectifs. En Suisse, les gérants de caisses de pension sont obligés depuis 2015 d’exercer leurs droits de vote dans les sociétés suisses cotées détenues en portefeuille.

La tendance vers un actionnariat plus actif et donc plus responsable est bien en marche. De plus, des progrès techniques comme l’adoption de la blockchain pourraient fournir de nouvelles solutions afin de passer outre certaines limitations actuelles, voire élargir cette problématique aujourd’hui majoritairement institutionnelle aux investisseurs individuels. Affaire à suivre au cours des prochaines années.