Opinion publiée originalement dans le Magazine Banco du mois de septembre 2018 – N°121

Dans l’imagerie de l’enfance, quand on parle de Cendrillon, on pense citrouille. Blanche Neige, c’est les sept nains. Si on parle de chèvre, c’est celle de Monsieur Seguin, alors que dans les trois petits cochons, on fait référence à l’inefficience des corps de métier du bâtiment. En revanche, quand on parle de Wall Street, de la Bourse et du monde merveilleux de la finance mondiale, on fait surtout référence à deux animaux: le bull et le bear. La bête à cornes fait référence aux marchés qui montent, soit la grosse majorité du temps, et l’ours fait référence à la déprime, la dépression ner- veuse, le burn-out et les marchés qui se cassent la figure sans aucune discrimination. Le bear market, c’est le marché où le seul mot d’ordre est “Laissez-moi sortir. Les femmes et les enfants après moi”… – oui, parce qu’il faut tout de même savoir que la nance est le seul domaine où le principe des femmes et des enfants d’abord ou du capitaine qui coule avec le navire ne sont que des concepts.

Dans la réalité des marchés qui baissent, c’est chacun pour soi et Dieu pour tous.Tout ça pour vous dire que lorsqu’un marché monte d’au moins 20% depuis un point bas, c’est un bull market et que s’il baisse de 20% depuis un point haut, c’est un bear market. Historiquement parlant, pas besoin d’avoir un master en statistique pour se rendre compte que la Bourse monte. Oui, du moment où l’on observe la chose sur une durée suffisamment longue, la Bourse monte – pour les bears ou pour les oiseaux de mauvais augure, c’est indubitablement la triste réalité. C’est bien simple, lorsque je suis tombé dans la potion magique de la finance un beau matin de septembre 1987, le S&P500 valait à peu près 280 points. A l’instant où je vous écris, depuis la plage de Bali où je me trouve, le S&P500 vient de toucher les 2’875 points, soit son plus haut niveau de tous les temps. Sa hausse a donc été de 1000% en 31 ans…

Alors oui, entre deux, il y a eu des krachs. Déjà en 1987, dès mes premières semaines dans le monde délicieusement cravaté de la finance genevoise, Wall Street s’e ondrait de près de 30%. Les clients se jetaient contre les vitres de l’agence où je travaillais, menaçant de tuer le responsable s’ils ne revoyaient pas leur argent. En ne faisant rien, 18 mois plus tard, ils avaient tout récupéré.

Bref, la plupart du temps, ça monte. C’est comme ça. Il y a toujours des négatifs qui attendent la mort de la Bourse et l’e ondrement du monde capitaliste. Mais bon, en même temps, si le capitalisme s’e ondre, ça nous fera une belle jambe d’avoir des actions en portefeuille.

Alors vous me direz: “Mais où veut-il en venir avec son cours ex cathedra sur les bulls et les bears?” Eh bien, je veux juste mettre en place les choses. Parce que si vous avez récemment lu un journal qui ne parle de pas de football ou de téléréalité, vous avez sûrement lu que le bull market dans lequel nous nous trouvons depuis la crise des subprimes est officiellement “le plus long de tous les temps”. Ce qu’il y a de bien dans la finance, c’est que ce n’est pas une science exacte, contrairement à ce que certaines banques veulent nous faire croire. Donc déjà rien que sur l’a rmation que nous sommes dans “le plus long bull market de tous les temps”, les experts ne sont pas d’accord. Mais comme ils ne sont globalement jamais d’accord entre eux et que leur seul but est de faire vibrer leur égo surdimensionné, on ne va pas trop s’attacher sur la chose.

Sans vouloir faire le pinailleur qui a un diplôme de comptabilité et un master en compliance, depuis le mois de février 2009 – moment où la fin était proche et que Môsieur Roubini nous annonçait le S&P500 à 333 points alors qu’on était à 666 –, le marché n’a cessé de monter…

Aujourd’hui près de 3’550 jours après le fond du trou, nous battons record sur record et il y a de plus en plus d’investisseurs qui deviennent “bear”, parce que c’est évident: chaque jour qui passe nous rapproche du prochain krach! Le problème qui reste tout de même fondamentalement présent, c’est que depuis que je suis dans ce métier, je n’ai jamais vu un krach annoncé.

Alors, si ça se trouve, le bull market n’a pas d’ailes, parce que ça reste un bovidé, mais il se pourrait qu’il donne des coups de cornes un peu plus longtemps que ce que l’on veut bien le croire.

Thomas Veillet

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