Le secteur fintech en Suisse a connu une très forte progression l’an passé. Les financements affluent. Plus que jamais. Et ce sont les cryptos qui raflent l’essentiel de la mise, prémisses du raz de marée blockchain qui s’annonce.

Par Eugénie Rousak pour SPHERE Magazine

 

Usant des nouvelles technologies, les fintechs repensent les modèles traditionnels, proposant des solutions ingénieuses et adaptées à de nouveaux modes de consommation. Pour ce faire, elles utilisent notamment les concepts émergents tels que la blockchain, pour les transactions, l’Intelligence Artificielle et l’apprentissage automatique pour l’exécution des tâches basiques, ou encore les assistants virtuels pour le service client. En Suisse, les fintechs commencent à pulluler. Au mois d’août, E-foresight, le think tank de Swisscom, en recensait 270. Huit mois plus tôt, elles étaient à peine 200.

Réparties selon leur domaine d’expertise, elles se concentrent majoritairement dans trois secteurs. Le quart d’entre elles s’active sur les investissements et l’asset management, un autre quart sur les cryptomonnaies et un peu moins d’une sur cinq sur le crowdfunding. En un an, les fonds levés par le secteur des fintechs ont triplé en Suisse. Selon le rapport de Swisscom, les financements sont passés de 61 millions en 2016 à 151 millions de francs en 2017.

La dominance des cantons alémaniques très marquée

Les startups de Zurich, de Zoug et de sa Crypto Valley, ainsi que de Saint-Gall ont respectivement récolté 58.5, 32.7 et 7.5 millions de francs. En comparaison, le Valais et Genève s’en tiennent à 8.5 et 5.7 millions. Le secteur qui a bénéficié le plus de ces investissements est celui des cryptomonnaies qui en récupèrent plus du tiers.

La nette augmentation des Initial Coin Offerings (ICO) situées en Suisse abonde en ce sens. Cette méthode de financement participatif permet aux entreprises de la blockchain de rapidement collecter des fonds. En échange de leur participation financière, elles émettent des actifs numériques, appelés tokens, dont le prix et les avantages varient en fonction du projet. En 2017, la Suisse a hébergé quatre des six plus grandes levées de fonds orchestrées dans le monde. Selon les statistiques de Swisscom, sept ICO ont permis aux fintechs suisses de récolter un total de 283 millions de francs, dont 151 millions pour Bancor.

En 2017, la Suisse a hébergé quatre des six plus grandes levées de fonds orchestrées dans le monde

Vu le flux grandissant et la nécessité de mettre quelques principes en place, la FINMA a d’ailleurs publié en début d’année son «Guide pratique ICO».

Le nombre des startups et les financements en hausse témoignent des excellentes conditions de la Suisse pour développer ce type d’activité. Si Zurich apparait comme un emplacement de choix pour les fintechs, l’hypercentre des startups spécialisées dans les blockchains et les cryptomonnaies se situe à Zoug. Avec son niveau d’imposition favorable, son environnement juridique adapté et sa flexibilité administrative, il est vrai que le canton ne manque pas d’attrait. Dans son étude de 2017, Crédit Suisse l’a d’ailleurs mis en tête du classement des cantons les plus attrayants pour les entreprises. Grâce au système fédéral suisse, Zoug peut offrir une politique fiscale modérée, qui attire des compagnies de tout secteur, dont Glencore, Sika ou encore V-ZUG, le spécialiste de l’électroménager.

Cet été, la ville de Zoug est également devenue le centre de rencontre et d’échange des experts de ce domaine durant la Crypto Valley Conference on Blockchain Technology, première grande conférence suisse consacrée au genre.

Aujourd’hui réputé pour héberger l’Ethereum Foundation, Melteport ou encore Bprotocol Foundation, le canton était pourtant loin, six ans plus tôt, de se poser en point central de l’écosystème blockchain. A Zoug, l’ère blockchain a réellement débuté en juillet 2013 avec Monetas, plateforme de transactions pour tout type d’instruments. Attiré par la démocratie directe, la neutralité, le respect des droits individuels et les infrastructures de qualité, son fondateur Johann Gevers a décidé de venir s’y implanter. Il a ensuite proposé à Ethereum, qui recherchait justement un point de chute, d’opter lui aussi pour ce canton. Annoncée officiellement en 2014, cette plateforme a été mise en service l’année d’après. Pour financer ce projet, la startup a réalisé une ICO de 18 millions de dollars, en émettant des jetons de l’Ether, devenu depuis la seconde cryptomonnaie au monde après le bitcoin.

Sur le modèle de la Silicon Valley, ce «global hub» dédié aux cryptotechnologies a su ensuite accélérer son développement, se flanquant même de l’appellation Crypto Valley pour s’affirmer. Attirant de nouveaux acteurs, tels que Bitcoin Suisse ou MME Legal, établissant des bonnes relations avec les autorités et favorisant le développement règlementaire, cet écosystème a vite pris de l’ampleur. Les conséquences de cette crypto-vague ont par la même occasion touché la municipalité de Zoug, qui depuis 2016 accepte les Bitcoins pour les paiements de documents administratifs inférieurs à 200 francs.

L’écosystème blockchain helvétique se compose aujourd’hui de plus de 250 entreprises domiciliées à Zoug et de 550 dans toute la Suisse

Des institutions spécifiquement dédiées aux startups se sont ensuite créées. En 2017, le Crypto Valley Labs, un «espace de travail entièrement numérisé et entièrement jetonisé» a été lancé, permettant aux startups de se retrouver au cœur de Zoug. La même année, une institution fondamentale, Crypto Valley Association a été fondée pour accélérer et coordonner le développement de la Crypto Valley. En 2018, c’est elle qui a organisé la fameuse Crypto Valley Conference on Blockchain Technology, qui a attiré plus de 800 participants et une quarantaine d’intervenants. Ainsi, selon les statistiques du Crypto Valley Labs, l’écosystème blockchain helvétique se compose aujourd’hui de plus de 250 entreprises domiciliées à Zoug et de 550 dans toute la Suisse. Joli cluster en formation!

La Suisse soumise à forte concurrence

Les fonds levés par les fintechs et les ICO ne cessent d’augmenter. Selon PwC, les cinq premiers mois de 2018 ont vu se conclure 537 ICOs au niveau mondial pour un total de 13.7 milliards de dollars. Bien plus que le montant qu’avaient pu cumuler les ICO avant 2018! Le record de la somme levée sur une opération a également été battu: la plateforme Blockchain EOS a réussi à récupérer 4.1 milliards de dollars. Malgré ces chiffres impressionnants, la Suisse se montre actuellement plus en retrait par rapport au nombre de ICO et surtout à leur volume. Classée en seconde position après les Etats-Unis en 2017, la Confédération Helvétique est descendue à la sixième place en 2018, devancée par les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques, Singapour, les USA et le Royaume-Uni. La concurrence des places spécialisées dans les blockchains s’intensifie donc, mais la Suisse demeure un acteur fondamental du secteur.

 

Cet article a été publié initialement dans le magazine SPHERE (N°11 – octobre/décembre 2018)