Les investisseurs en quête désespérée de rendement se tournent de plus en plus vers des actifs moins liquides mais offrant un rendement attrayant.

 

Dette privée, immobilier ou infrastructure suscitent dorénavant toutes les convoitises, comme on a pu le constater lors de la 7e conférence organisée par AppleTree à Genève la semaine dernière. La mise en situation, autrement dit le point macro, a été l’œuvre d’Erick Muller, Director of Product & Investment Strategy auprès de Muzinich & Co, qui a ensuite laissé la scène aux spécialistes des private assets.

Où en sommes-nous 11 ans après la crise financière?

En fin de cycle, c’est certain. A combien de la fin? Nul ne saurait le dire vu les interventions répétées des différentes banques centrales qui ont permis de prolonger le cycle actuel mais ont aussi eu tendance à brouiller les indicateurs traditionnels. Quoi qu’il en soit, les taux sont trop bas et les courbes trop plates pour séduire les investisseurs. Ceci explique l’appétit de ces derniers pour les actions, mais également pour des rendements obligataires plus élevés liés à des crédits de qualité inférieure (high yield).

Dès lors, sans hausse de taux, difficile de rééquilibrer les portefeuilles, des actions devenues chères vers des obligations de qualité, lorsque près de 10 trillions de dollars de dette affichent un rendement nul ou négatif. De plus, le contexte actuel recèle toujours des risques capables de faire dérailler une locomotive à bout de souffle: la guerre commerciale et le Brexit, ou encore la fin du stimulus fiscal aux Etats-Unis en 2020.

Les alternatives à l’obligataire

Ceux qui ont vécu la crise et l’après-crise de 2008 se souviennent des nombreux hedge funds qui leur ont fait découvrir d’étranges nouveaux mots comme gate ou side pocket (voir sur ce thème « Que reste-t-il de nos amours? Une side pocket. » dans La Lettre N°3) Et les ennuis qui vont avec. Par la suite, nombre de gérants alternatifs n’ont plus jamais réussi à séduire les investisseurs comme avant la crise. La faute aux banquiers centraux, à la disparition des équipes de trading pour compte propre des banques, aux réglementations plus restrictives sur le levier ou le collatéral, voire la disparition de certains segments du marché, faute d’acteurs. Bref, les performances ne furent plus au rendez-vous et de nombreux investisseurs se détournèrent définitivement de ce type de fonds.

Leur argent devant tout de même être investi de manière profitable, certains investisseurs ont commencé à s’intéresser aux private assets, soit la dette privée, le private equity, l’immobilier et les infrastructures. Avec des banques moins impliquées dans l’économie pour cause de ratios de fonds propres, le terrain était prêt pour voir fleurir des opérations peer-to-peer. Ceci veut dire pour commencer que l’information sur ces transactions n’est plus publique, puisqu’il s’agit de transactions privées. Les prix ne sont pas disponibles “dans le marché” vu qu’il n’y a pas de “marché” au sens d’un marché boursier réglementé avec ses obligations de transparence. Nous sommes clairement dans un marché d’initiés où le réseau et l’expérience sont primordiaux. Les big players sont entre eux et ne viennent à la table de jeu que ceux qui sont capables de déployer des montants conséquents, bloqués pour plusieurs années.

A eux la possibilité d’investir dans des autoroutes, des ports, des complexes hôteliers, des centrales électriques. Des actifs d’un genre nouveau, apportant de la décorrélation au portefeuille de ces gros investisseurs et présentant la caractéristique – fort intéressante dans un environnement de taux bas – de proposer des rendements attrayants et, dans certains cas, immunisés contre le risque de remontée des taux. De plus, ces investissements portent souvent sur des secteurs réglementés et/ou disposant de fortes barrières à l’entrée. C’est cet éventail de possibilités qui a été présenté par les experts de StepStone, InfraVia ou encore Och-Ziff.

L’offre et la demande

Les besoins en investissements auxquels répondent ces acteurs spécialisés sont d’ailleurs en hausse puisque de nombreux pays font face à la nécessité de construire ou rénover leurs infrastructures et le font au travers de partenariats public-privé (les PPP qui ont été critiqués récemment du fait de l’asymétrie rendement/risques entre secteur public et privé). A côté des PPP, une multitude d’initiatives 100% privées sont également en quête de financements non bancaires.

Il est dès lors évident que dans l’environnement de taux actuel, ce type d’investissement ne peut qu’attirer un nombre croissant d’investisseurs. De plus, l’offre de stratégies permet de trouver le niveau de risque, de levier ou de durée d’investissement adapté à chacun, à condition de se faire conseiller par des experts maîtrisant les subtilités de chaque catégorie d’actifs. Le développement de fonds spécialisés permet de plus d’accéder à ces marchés avec des tickets d’entrée plus modestes, bien que l’on reste souvent face à des minimums d’investissement d’au-moins 1 million, voire bien au-delà.

La mode est un éternel recommencement

Les gros investisseurs ont donc trouvé dans les private assets un bon moyen d’augmenter le rendement de leurs portefeuilles tout en améliorant leur décorrélation par rapport aux autres classes d’actifs. La contrepartie étant que ces positions sont totalement illiquides et que chaque dossier présente souvent des caractéristiques uniques qui devront être analysées soigneusement.

Par ailleurs, le nombre d’investissements est limité par le stock physique de projets à financer: s’il fallait construire un aéroport, on n’en construira pas un second simplement parce que des investisseurs ont encore de l’argent à placer (ça se discute, diront les plus cyniques).

Victime de son succès, le segment des private assets se retrouvera à un moment en déséquilibre entre offre et demande. Les effets seront similaires à ceux observés par le passé, à savoir baisse des critères de sélection sur le marché primaire (des projets de moins bonne qualité seront financés) et hausse des prix sur le marché secondaire (les projets en cours seront revendus plus cher – donc avec un rendement inférieur – à d’autres investisseurs). C’est d’ailleurs ce qui s’observe déjà puisque nombre de transactions sur le secondaire ont lieu entre fonds. Et afin d’augmenter les rendements, le recours au levier sera de plus en plus courant.

Reste que les investisseurs seront de plus en plus nombreux à vouloir accéder à la nouvelle classe d’actifs à la mode et que la baisse de prix du ticket d’entrée, voire une liquidité inadaptée à la stratégie, attirera des investisseurs de moins en moins gros et de moins en moins experts. Et même si les private assets ont aujourd’hui encore de nombreux atouts, l’histoire se terminera inévitablement, dans quelques années, en side pockets… ou un autre nouveau nom à la mode.