La problématique de la taxation des robots attire de plus en plus d’intervenants et se polarise clairement entre partisans et opposants malgré qu’aucune partie ne propose de réponse claire.

 

Le contexte

Un certain nombre de travailleurs seront – ou sont déjà – remplacés par des robots. Les tâches les plus répétitives, fatigantes ou dangereuses seront automatisées, au plus grand bénéfice des humains. Et à plus long terme, les robots seront également en mesure d’assurer à notre place des tâches beaucoup plus complexes.

C’est magnifique, c’est le progrès technologique, la révolution 4.0. Où est donc le problème? Le problème, c’est que les employés paient des impôts qui remplissent les caisses de l’Etat, alors que le robot, lui, ne les paie pas. Ou pas pour l’instant, du moins. Du coup, c’est un potentiellement énorme manque à gagner pour l’Etat. Comment financer les dépenses publiques si les rentrées s’amenuisent? En taxant les robots, disent les partisans de la taxation, au nombre desquels Bill Gates ou Xavier Oberson, professeur de droit fiscal à l’université de Genève, qui réfléchit à la problématique depuis de nombreuses années.

Les opposants à une taxe sur les robots mettent en avant la difficulté à définir la notion-même de «robot», vu qu’un tracteur, une machine d’emballage sur une chaine de production, mais également un algorithme ou un data center pourraient être considérés comme des «robots» capables d’assumer des tâches exécutées par des humains. Par ailleurs, les opposants craignent que la taxation n’incite les entreprises à délocaliser, ou encore que de telles taxes freinent l’innovation.

Simplifions la problématique

Revenons à nos premiers cours d’économie. Les 2 acteurs économiques de base sont le producteur (l’entreprise) et le consommateur, autrement dit l’humain. On y ajoute un 3e, l’Etat. Chacun a un rôle bien défini. L’entreprise maximise son profit en produisant et vendant des biens. L’humain maximise sa fonction d’utilité sous contrainte budgétaire, autrement dit, obtient un revenu en travaillant et le dépense en achetant des biens. Et l’Etat se finance en taxant les 2 autres acteurs afin d’avoir à disposition un budget lui permettant d’établir un cadre adapté au bon fonctionnement du système.

La création de richesse au sein du système vient des entreprises. Il en découle emploi, croissance et prestations sociales (infrastructures, enseignement, santé, etc.) assurées par un Etat correctement financé. Le meilleur des mondes.

L’arrivée des robots

Progrès techniques aidant, l’entreprise décide d’investir dans des robots et de remplacer une partie de sa force de travail. La décision est économiquement rationnelle, ce qui veut dire que l’entreprise augmente son profit ce faisant. Ceci a 2 conséquences.

Premièrement, l’Etat fait face à une diminution de ses rentrées fiscales puisque moins d’employés signifie moins de charges sociales payées par l’entreprise, et moins de salariés signifie moins de taxation sur les revenus des humains. Cette diminution des recettes ne sera probablement pas compensée par l’augmentation de la taxation des profits dorénavant plus élevés de l’entreprise.

Deuxièmement, un certain nombre d’humains se retrouvent au chômage, ce qui veut dire que c’est l’Etat qui devra leur fournir un revenu de substitution.

Il en résulte le point que beaucoup oublient, à savoir que l’Etat fait simultanément face à une diminution de ses recettes fiscales et à une augmentation de ses dépenses puisqu’il faudra verser des allocation de chômage aux employés ayant perdu leur emploi.

Nul besoin de sortir de polytechnique pour comprendre que le système est déséquilibré suite à l’arrivée des robots.

Rétablir l’équilibre

Afin de rétablir l’équilibre de son budget, l’Etat fait face à plusieurs options. Diminuer ses dépenses, c’est-à-dire ses prestations au profit des acteurs du système. Ou tenter d’augmenter ses revenus, ce qui signifie augmenter ses recettes fiscales, donc taxer plus. Donc taxer quoi? Il existe différentes possibilités: taxer les robots, les humains et/ou les entreprises. Nous n’aborderons pas ici les aspects de la théorie monétaire moderne, une autre piste dont on commence à parler, Ray Dalio p.ex. étant l’un de ses grands supporters. Mais laissons de côté les dérives de la planche à billets et revenons aux approches fiscales.

Taxer plus les humains – sur le patrimoine, les transports, le travail, la TVA, etc. – c’est la situation actuelle et c’est la classe moyenne qui en fait les frais. Arrive le moment où la pression est trop forte et la contestation sociale se met en place.

Taxer les robots : ceci pose l’énorme problème de la définition du «robot», de sa personnalité juridique et fiscale, de son accès à la propriété, etc.

Entre temps, les entreprises en mesure de délocaliser le feront et la situation du marché de l’emploi ne fera que se détériorer en parallèle avec la baisse des rentrées fiscales pour l’Etat. L’option de taxer les robots me semble donc utopique à mettre en œuvre.

Reste la 3e option. Taxer plus les entreprises.

Taxer les robots n’est in fine qu’une manière détournée de taxer les entreprises. Il me semble donc plus simple de taxer directement les entreprises, indépendamment de leur recours à tel ou tel type de robot. Maintenant, nous savons tous que les entreprises, surtout les grandes multinationales, sont passées maître dans l’art de se soustraire à la taxation.

Mais au final, il faudra bien prendre l’argent où il se trouve, c’est-à-dire à l’endroit où la richesse est véritablement créée: dans les entreprises. Pourquoi? Parce qu’il n’y a tout simplement pas d’autre possibilité rationnelle. Cette idée est-elle anticapitaliste? Non: propriété privée, libre échange, entrepreneuriat, innovation, droit au profit et à l’enrichissement personnel restent de mise. Nous sommes toujours dans un système capitaliste. Sauf que l’Etat met plus de contraintes sur le système afin d’éviter que le capitalisme ne soit trop débridé et dévoyé au seul profit d’une très (très !) petite minorité.

Conclusion

Taxer plus fortement les entreprises, c’est-à-dire taxer la création de richesse à sa source, semble la manière la plus rationnelle d’assurer l’équilibre du système en évitant que des humains exclus de tout espoir d’obtenir un revenu décent de leur travail ne commencent une révolution. Que feront tous ces «nouveaux chômeurs» qui ne retrouveront jamais d’emploi? Beaucoup ne seront pas en mesure de s’inventer un «nouveau métier 4.0», mis à part pédaler pour livrer des pizzas. Auront-ils encore une quelconque utilité dans la société? C’est effectivement une question cruciale qui aborde entre autres la problématique du revenu universel, mais dont je ne débattrai pas ici.

La taxation des multinationales devra être entièrement repensée. Une collaboration internationale sera indispensable. La prise en compte de critères liés au chiffre d’affaires par pays, au nombre d’employés ou encore au secteur d’activité sera centrale à une taxation efficace dont le poids devra être supporté par les entreprises (donc leurs actionnaires) et non par les consommateurs, n’en déplaise à Jeff Bezos.

Cerise sur le gâteau, les entreprises étant en partie détenues par les grandes fortunes de ce monde, une taxation des profits à la source permettra également de soumettre «les riches» à une fiscalité plus équitable. Une demande mise en avant depuis quelques années par certaines grosses fortunes, dont Warren Buffet, militant pour une taxation plus élevée à leur égard.

«Equitable» sera le mot de la fin. Mon propos est bien d’amener à réfléchir à une allocation plus équitable des ressources. L’arrivée imminente de robots en mesure de complètement disrupter notre organisation sociale (et capitaliste!) basée sur l’idée de l’accès pour tous au marché de l’emploi devrait nous encourager à y réfléchir rapidement. Autrement, la révolution 4.0 se transformera en révolution tout court.

«Il faut que tout change pour que rien ne change».