Les mathématiques peuvent nous aider à prendre conscience de l’ampleur du problème à venir avec le coronavirus. Même si on n’aime pas les maths.

Tout le monde n’a pas eu la chance de suivre un cours avancé sur les modèles stochastiques. Et pour ceux qui l’on fait, cela n’a pas forcément laissé de bons souvenirs. Par ailleurs, il faut le dire, la plupart des gens n’aiment pas trop les maths, donc le message passe mal.

En effet, comment accepter des injonctions à rester chez soi, à ne pas avoir de vie sociale, alors que les sujets malades du coronavirus en Suisse atteignaient à peine quelques centaines de cas? Bon, là on est en pleine phase d’accélération donc la situation devient un peu plus effrayante mais pas encore aux yeux de tout le monde semble-t-il.

Diffusion

Pour comprendre un peu mieux ce qui est en train d’arriver, il faut avant tout comprendre la mécanique de diffusion. Ce n’est pas vraiment compliqué. Prenons un groupe de 10 personnes. Il y aura 45 interactions possibles. Pourquoi? Chaque individu peut avoir une interaction avec les 9 autres, cela se représente aisément par une matrice 10×10 dont on retire la diagonale puisqu’on ne considère pas l’interaction avec soi-même, donc 10*10-10=90. Et puisque l’interaction de A avec B est identique à celle de B avec A, on divise par 2. Donc 45 interactions possibles dans un groupe de 10 personnes. Cela signifie 45 possibilités de transmission du virus. Comment? Je vous laisse vous référer à tout ce qu’on peut lire depuis quelques jours: éternuement, contact physique, poignée de porte, rampe d’escalier, objet qui passe de main en main, etc.

Prenons maintenant un groupe de 100 personnes et appliquons la même logique. On aura ((100*100)-100)/2 = 4’950 possibilités d’interaction. Pas 10x plus (passer de 10 à 100) mais 100x plus. Ceci explique pourquoi plus un groupe est large, plus le risque de contamination sera élevé. Bien entendu, dans un stade de foot, tout le monde ne va pas se serrer la main donc on n’aura pas des milliards d’interactions mais on en aura tout de même beaucoup. On a donc la justification de l’interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes, la fermeture des écoles, des musées, etc.

Si nous y pensons bien, nous participons à énormément de “groupes“ au long d’une journée et nous avons vu l’impact possible d’être en contact avec seulement 100 personnes. Nous avons notre groupe familial pour commencer. Ensuite le groupe des usagers du bus ou du train que l’on prend pour aller au bureau, le groupe des collègues proches, le groupe des inconnus dans l’ascenseur, le groupe de la réunion stratégique de 10h30, le groupe de la machine à café, le groupe de la cantine, le groupe de la salle de sport ou encore du bar de l’apéro, mais aussi celui du supermarché ou du boulanger. Ce ne sont que quelques exemples mais autant de possibilités de contamination. Sans oublier qu’avec notre parcours journalier au travers de divers groupes, nous risquons de contaminer des personnes qui auront chacune des contacts dans leurs propres groupes, d’où propagation rapide à une population très large. Beaucoup d’interactions, beaucoup de personnes infectées et à un moment on atteint la masse suffisante pour que la croissance devienne exponentielle.

Diffusion cachée

Au début de l’épidémie, chacun pensait être à l’abri. Vu le faible nombre de cas recensés, pourquoi s’inquiéter? Quelle est la probabilité que j’aie pris le bus avec l’une des 20 personnes testées positives? Probabilité assurément faible si l’on ne considère que les 20 personnes déjà détectées. Sauf qu’en réalité, un nombre d’individus beaucoup plus large était déjà porteur du virus donc contaminant. Vu les temps d’incubation – période durant laquelle le sujet est déjà contagieux mais sans en montrer les symptômes – le nombre de personnes infectées a progressé de manière cachée. Et a surtout progressé de manière exponentielle puisqu’il n’y avait aucune contrainte sur les groupes. La réalité est donc largement pire que ce qu’on imaginait au travers des chiffres des cas déjà détectés. C’est la raison du gros branle-bas de combat de ces derniers jours parce qu’on commence à comprendre la situation qui va se matérialiser dans les prochains jours lorsque les symptômes deviendront apparents et les nouveaux cas détectés probablement tellement nombreux (car en constante augmentation exponentielle sur une base journalière) que l’on sera complètement dépassé.

2 articles pour mieux comprendre

Le cas de la diffusion et de l’efficacité des mesures d’isolation et de distanciation entre individus (social distancing) est très bien illustré avec des graphiques animés très pédagogiques dans cet excellent article du Washington Post (en accès libre). Un article très abordable à lire absolument pour comprendre l’intérêt de l’éloignement social, c’est le meilleur du genre que j’ai vu passer jusqu’à présent.

Cet autre article de Tomas Pueyo sur medium.com explique fort bien la problématique de la diffusion cachée et se base sur des statistiques chinoises ainsi que sur les chiffres d’autres pays touchés. Vraiment effrayant et encore très accessible.

Quelle conclusion en tirer?

Comprendre que réduire au maximum les interactions entre personnes (social distancing) est la meilleure chose à faire afin de ralentir la propagation du virus. Vu que la situation réelle ne devient visible qu’avec retard, il faut anticiper des mesures de confinement fortes type arrêt des transports en commun, télétravail obligatoire, interdiction de se regrouper, fermeture des écoles, commerces et restaurants comme l’ont fait les Italiens et les Chinois, trop tard mais avec succès dès leur implémentation. Et les autres pays ont, hélas, aussi trop attendu car les décideurs ne comprennent pas vraiment ce que signifie une augmentation exponentielle, d’autant plus si cette dernière est cachée.

Evidemment de telles mesures sont des attaques à la démocratie telle que nous la concevons, alors qu’elles sont nécessaires au bien de tous. Ceci explique les réticences des politiciens. Sans oublier que, plus nombreuses seront les personnes qui respecteront les consignes, meilleure sera l’évolution… et plus les sceptiques diront qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter à ce point. Les cons seront toujours des cons. Quant à moi, j’ai annulé mes vacances qui devaient débuter hier.

 

Le titre de cet article est librement inspiré de la célèbre phrase « It’s the economy, stupid » de James Carville, conseiller de Bill Clinton en 1992.