Aujourd’hui je pourrais vous parler des marchés, des résultats trimestriels, de ceux d’IBM qui n’étaient pas terribles, ou en tous les cas « pas bien perçus », je pourrais vous parler d’économie, de chiffres économiques, de ralentissement économique. Je pourrais aussi vous parler de l’impact du Coronavirus sur la croissance des pays développés et vous faire des interpolations pour calculer la projection du PIB mondial qui sera publié en octobre prochain. Je pourrais aussi vous parler du fait que dans 10 jours nous sommes en mai et qu’en mai il faut tout vendre et se casser en vacance jusqu’en automne – mais ça fait bien des années que la stratégie ne fonctionne plus et que de toutes façons, partir en vacances, ça ne va pas être simple cette année. Je pourrais aussi vous parler des chiffres qui seront publiés aujourd’hui ; de Netflix qui es au plus haut de tous les temps et que s’ils se ratent et déçoivent les analystes, ça pourrait être « showtime » - mais pour être franc, ce matin il n’y a qu’une chose qui intéresse le monde merveilleux de la finance et même le reste du monde, c’est le pétrole qui vient de se faire défoncer de manière historique. On se fout même carrément du Coronavirus comme on ne s’en n’est pas foutu depuis de le mois de janvier.

L’Audio du 21 avril 2020 – EDITION SPECIALE PETROLE

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Plus que des experts

Donc hier le futures WTI sur le pétrole qui sert de référence aux Américains s’est vautré de façon historique, puisqu’à un certain moment de la journée, l’échéance mai du baril se traitait plus de 30 dollars au-dessous de zéro. Oui vous avez bien lu, la personne qui détenait des futures mai était prête à payer 30$ pour s’en débarrasser. Sachant que celui qui prenait le risque de récupérer ces contrats, se retrouvait dans l’obligation de prendre livraison physique des barils concernés.

Alors je vais tenter de rendre cette chronique aussi digeste que possible pour essayer de vous faire comprendre simplement ce qui s’est passé hier, mais ça ne sera pas simple, parce que depuis hier soir, sur Facebook, tout le monde a suivi un « cours express » et il y a des millions de traders qui sont devenus experts en « pétrole » et en matière premières en l’espace de 12 heures et je ne voudrais pas commettre d’impair ni me faire ramasser parce que j’ai dit une connerie – sachant que moi je suis aux antipodes d’un expert, je ne suis qu’un pauvre chroniqueur solitaire qui s’en va au soleil couchant.

Du pétrole gratuit, mais pas encore à la pompe (voir jamais)

Donc, si l’on commence par le début, il faudra donc bien comprendre que lorsque vous achetez du pétrole via des « futures » – cela veut dire que si vous conservez le contrat, c’est que vous voulez prendre livraison physique du produit (en l’occurrence ; du pétrole brut). C’est déjà la première différence entre un future sur un indice boursier (où l’on ne parle que de cash à l’échéance) et un future sur matière première qui inclus la livraison – de la matière première en question – le principe est exactement le même si vous traitez des futures sur du « troupeau vivant » (le « live cattle » comme on dit dans les grandes plaines arides du Texas où vivent encore les vrais Cowboys) – imaginez, la même situation que pour le pétrole, vous vous retrouvez avec 250 têtes de bétail dans vôtre 5 pièces, ça va faire serré.

Voici donc ce qui s’est passé hier :

Alors que l’échéance mai du baril WTI est prévu pour aujourd’hui, tous ceux qui avaient encore des contrats « mai » sur leur compte ont voulu les vendre pour passer sur juin. Grand classique mensuel que l’on appelle « le rolling ». En règle général, lorsque les traders liquident leurs positions à l’approche de l’échéance, il y a toujours de la demande – ne serait-ce que les raffineurs qui rachètent le physique pour le transformer en essence pour pouvoir faire le plein de vos SUV’s afin que vous puissiez emmener la famille en week-end au bord de la mer.

Graphique daily du contrat WTI Mai – Source Bloomberg

Sauf que cette année, vu que la plupart des SUV’s sont confinés dans un garage en attendant l’autorisation de sortir, la demande réelle s’est littéralement évaporée et les acheteurs naturels de pétrole – ceux qui en font vraiment quelque chose ne savent plus où le stocker, les cuves sont pleines, les tankers sont pleins et plus personne ne s’arrête à la station-service pour  mettre de l’essence. Résultat, plus personne ne veut prendre livraison PHYSIQUE de pétrole. Du coup, ceux qui se retrouvaient collés avec des futures mai en position  et qui n’ont pas de cuve de stockage à la maison et que madame et les enfants n’étaient pas d’accord pour vider la piscine et la remplir de pétrole, n’ont pas eu d’autre choix que de tout balancer au mieux. Sauf que quand il n’y a pas de demande DU TOUT, au mieux c’est zéro et quand TU DOIS VRAIMENT TE DÉBARASSSER DE CES TRUCS QUI COLLENT AUX DOIGTS, tu es même prêt à payer pour qu’on t’en débarrasse, d’où les aberrations d’hier.

L’effet confinement a fait son office

Hier nous avons simplement pu observer le principe d’un short-squeeze inversé. En gros le vendeur doit absolument vendre parce qu’il ne peut pas stocker et c’était le grand jeu de la « patate chaude », le dernier qui se retrouve avec un contrat mai aujourd’hui (jour de l’échéance), il va devoir se débrouiller avec ses barils de pétrole et comme ça prend un peu de place dans le salon et que ça ne sent pas super bon, c’était « sauve-qui-peut » hier. À un certain moment, le BARIL traitait à MOINS 35$ et ce matin l’échéance mai est revenue à 1.39$ le baril. En gros, ça nous met le litre à moins de 1 centime, autant vous dire que si cela était répercuté à la pompe – ce qui ne le sera JAMAIS – ça coûterait moins cher de faire le plein d’un V12 essence que d’une caisse électrique qui fait le bruit d’un sèche-cheveux.

À partir d’hier, tout le monde s’est lancé dans l’hyper-spéculation pour savoir ce qui se passera sur le contrat juin – qui lui, vaut encore 21.39$ le baril actuellement. Pour parler technique – la différence entre le contrat le plus proche et le contrat plus lointain s’appelle « le contango » – dans le cas présent, on est passé en mode « DC Comics » et on appelle ça le « SUPER-Contago » – il n’a pas de super-pouvoir, si ce n’est celui de nous faire mal à la tête, mais il est assez rare de voir une telle prime entre les deux contrats. Mais il faut tout de même reconnaître que nous sommes dans une situation exceptionnelle, une production qui continue à produire à plein régime – même si l’OPEP a réduit ses quotas récemment (peut-être trop tard), plus de consommation pour cause de confinement-coronavirus et plus d’espace de stockage. Cette nuit Trump a même annoncé qu’il allait prendre 75 millions de barils pour la réserve stratégique américaine – mais en même temps, ça ne résoudra pas le problème. On peut déjà imaginer que d’ici fin mai, lors de l’échéance du contrat juin, la pression pourrait être similaire et tant que la consommation mondiale n’a pas retrouvé un niveau « correct », le même phénomène pourrait se reproduire ces prochains mois.

Si l’on en croit les échéances plus lointaines, les traders-experts parient sur le fait que d’ici décembre, tout sera revenu à peu près à la normale – le future décembre se traite autour de 33 dollars – ce qui fait tout de même plus de sens.

Conséquences

En résumé, si l’on veut expliquer ce qui s’est passé, il suffira de le traduire de la façon suivante, à la question « pourquoi le pétrole baisse », il vous suffira de prendre un air suffisant, de regarder votre interlocuteur comme s’il était un idiot et ne connaissait même pas la différence entre cotango et bacakwardation et lui dire :

  • Le Coronavirus a fait s’évaporer la demande en pétrole ; l’aviation ne consomme plus, les transports maritimes ne consomment plus et les automobilistes se sont mis au jogging.
  • La demande disparaissant, les inventaires explosent. Ceux qui peuvent stocker en sont à récupérer des bouteilles d’Evian vides pour les remplir de pétrole et les mettre à la cave, en virant le Mouton Rothschild 1982 pour faire de la place.
  • Et la gé-guerre entre les Russes et les Saoudiens qui n’ont pas coupé la production assez tôt (avec peut-être l’intention de tuer l’industrie du pétrole américain à peine dissimulée) n’a sûrement pas arrangé les choses.

Maintenant, il va falloir faire face aux conséquences ; certaines pétrolières américaines risquent de ne pas survivre à cette histoire et surtout si le confinement ne s’arrête pas là tout de suite. Mais il va aussi falloir écouter en boucle les théories des nouveaux experts en pétrole, puisque l’on devrait parler de tout cela dans le 20 Minutes, le Matin et le Matin Dimanche tout prochainement – on se réjouit déjà d’avoir l’opinion de Cyril Hanouna sur le sujet.

Le reste

Pour ce qui est du reste, il n’y pas de « reste » ce matin. On a remplacé tout ce qui parlait du Coronavirus par tout ce qui parle du Baril en-dessous de zéro. L’or est à 1704$, le Nikkei recule de 1.9%, Hong Kong baisse de 2.3% et la Chine abandonne 1.3%.

Dans les nouvelles que l’on va retenir, il faut noter que le Won Sud-Coréen est en baisse parce qu’il y a des rumeurs comme quoi Kim-Jong Un est en danger de mort après une chirurgie ratée et qu’il y a un chirurgien Nord-Coréen qui prie pour qu’il y reste, sachant que s’il s’en sort c’est lui – le chirurgien – qui va se faire découper au bistouri et se faire finir au lance-roquettes. Dans la série « les intellectuels à l’honneur » ; Trump a annoncé qu’il va temporairement suspendre l’immigration aux States. En même temps, qui a envie d’y aller là tout de suite. Même les Mexicains accélèrent la construction du mur pour être plus en sécurité et puis encore faut-il trouver un avion pour aller là-bas.

Voilà… Il y aura pas mal de chiffres aujourd’hui, de chiffres trimestriels, mais en même temps, il ne faut pas trop s’attendre à des grandes surprises positives, mais plus se préparer à mettre le masque à oxygène en cas de dépressurisation. Ah oui, au fait, si jamais, hier soir le Dow Jones a perdu plus de 2% à cause du pétrole, le S&P500 a perdu 1.8% à cause du pétrole et le Nasdaq a perdu 1% seulement parce qu’ils se sont rendus compte à la fin de la séance qu’il n’y a pas de pétrole dans le Nasdaq, mais pour être franc, hier tout le monde s’en foutait de ce qu’il se passait sur les bourses mondiales, on ne parlait QUE du pétrole et même sur Facebook, il n’y avait plus un challenge débile, tout le monde ne parlait plus du pétrole… ça devrait bien nous occuper 48 heures, juste le temps que les Américains arrêtent d’importer du pétrole saoudien (comme Trump l’a laissé entendre sur Twitter) et qu’ils atteignent les 50’000 morts du Coronavirus avec 10’000 morts juste sur les plages de Floride.

Passez une très belle journée et on se retrouve demain et j’espère que je ne vous ai pas trop gonflé avec mon édition spéciale pétrole…

Thomas Veillet

Investir.ch

There is no free market for oil.

 

  1. Boone Pickens