Au-delà des chiffres qui donnent le tournis, il y a le fait que nous sommes dans une pandémie. Que le bilan empire chaque jour et que même si cela va « un peu mieux » parce que c’est moins pire, on ne vit quand même pas dans le monde merveilleux de Walt Disney où tout le monde se nourrit de barbapa, de burgers et de frites sans jamais grossir. Nous sommes tout de même dans un monde « entre parenthèses » qui ne sait pas trop de quoi demain sera fait, si ce n’est d’aller s’entasser dans le bus ou le métro pour aller bosser. Par contre, dans tout cela, il y a un qui sait où il va, c’est Wall Street. Depuis quelques jours on se disait que les marchés boursiers semblaient immunisés contre tout, depuis vendredi on en est sûr. Si les scientifiques n’ont pas encore trouvé le médicament pour combattre le COVID19, il semblerait que la FED, la BCE et les gouvernements aient trouvé la solution. L’argent. Beaucoup, beaucoup, mais alors beaucoup d’argent et quelques mots d’encouragement bien placés.

L’Audio du 11 mai 2020

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Des chiffres immondes

Vendredi dernier le monde entier retenait son souffle à l’approche des chiffres de l’emploi américain. C’est en tous les cas l’impression que ça donnait. Pourtant tout le monde s’en foutait, puisque tout le monde savait que les injections monétaires étaient garanties et que plus jamais les bourses mondiales ne baisseraient. Alors 1 million de chômeurs de plus ou de moins autant vous dire que Wall Street s’en moquait presque autant que de sa première Aston Martin. Pourtant, jusqu’au bout nous a ménagé le suspense et jusqu’à la dernière minute on a cru que ces chiffres étaient importants. Mais en fait non.

En fait soyons clairs, plus personne n’en a rien à foutre, sauf peut-être les 20.5 millions de chômeurs américains concernés – mais ça, Wall Street s’en cogne comme de l’an 40, d’abord parce qu’ils n’investissent pas leurs allocations de chômage, ils les utilisent pour manger, et ensuite, pourquoi s’en faire quand on sait que tous les gouvernements de la planète se sont donnés la main pour sauver Wall Street – et puis s’il leur reste un peu de temps, on sauvera aussi l’économie. Après. Donc depuis vendredi 14h30, c’est officiel, 14.7% de chômage ; tout le monde s’en balance – d’abord parce qu’on savait et c’est bien pour ça que nous sommes allés au plus bas le 23 mars et maintenant que tout est dans les prix, y a plus qu’à remonter. Et c’est ce que l’on fait depuis le 23 mars, justement.

L’immunité collective

Une des thématiques qui est souvent abordée dans le combat contre le Coronavirus, c’est l’immunité collective.

« L’immunité collective, aussi appelée immunité grégaire ou immunité de communauté, de groupe ou de masse, est le phénomène par lequel la propagation d’une maladie contagieuse peut être enrayée dans une population lorsqu’une certaine proportion des individus est immunisée. »

Pour l’instant, nous n’y sommes pas encore. Nous n’y sommes pas encore pour la maladie. Par contre, pour ce qui est de l’économie, il semblerait que tout soit déjà réglé. Pourtant ça ne l’est pas. Mais alors pas du tout. Contrairement à ce que les indices boursiers semblent vouloir montrer, nous n’avons absolument aucune idée d’où nous serons « économiquement parlant » dans 3 mois ou dans 6 mois. Jamais la visibilité n’a été aussi mauvaise et pourtant, paradoxalement, les marchés donnent l’impression qu’à force de soutiens économiques et d’injections monétaires, ils savent exactement où ils vont. C’est probablement utopique et nous avons sûrement mis la charrue avant les bœufs (pour autant que l’on sache encore ce qu’est une charrue en 2020), mais peu importe, les bourses mondiales, et Wall Street en tête, ont pris la décision que la faiblesse n’était pas une alternative et que l’avenir serait brillant et lumineux, parce que visionnaires que nous sommes, nous avons déjà intégré le pire.

Et maintenant quoi ?

Nous sommes donc immunisés (pour l’instant) contre les mauvaises nouvelles économiques. Le problème maintenant sera de voir jusqu’à quand le vaccin va tenir. Non, parce qu’il suffirait que l’on se rende compte que nous avons déjà « intégré » le recovery économique de ces trois prochaines années et ça va être difficile à justifier en attendant. Si les conditions de l’emploi se dégradent encore ces prochains mois, si le retour au travail ne se fait pas comme prévu, si tout ne se passe pas comme dans un film hollywoodien, ça pourrait tout de même sérieusement se compliquer.

Mais peu importe, loin de moi l’idée de jouer les oiseaux de mauvaise augure, ce n’est pas mon style, moi c’est plutôt les bêtes à cornes. Quoi qu’il en soit, il me semble sain de se méfier un peu de la violence du rebond, de se souvenir que les arbres ne montent pas au ciel et que lorsque la poussière sera retombée sur les mesures de soutien et les manipulations ésotériques des banques centrales, nous pourrions nous retrouver face à une économie qui est effectivement en train de se reconstruire, mais bien plus lentement que les bourses mondiales l’ont intégré. En effet, cela paraîtrait plus que surréaliste de voir l’économie repartir en deux coups de cuillères à pot et que 20 millions de chômeurs retrouvent du boulot en moins de temps qu’il ne faut pour dire « baisse des taux ». Pour donner une idée de la vitesse et du rythme du retour à la normale, on notera que Facebook et Google, ont annoncé ce week-end que leurs bureaux ne rouvriraient pas avant 2021 – tout le monde restera en télétravail – autant vous dire que tout ne semble pas aussi simple que l’on veut bien nous le vendre… Tout va donc très bien, mais vaut quand même mieux être prudents et réalistes avant de « pricer » le bull market de ces 10 prochaines années en anticipant le fait que nous aurons le plein emploi en 2032… Il est assez fou de voir que depuis 18 mois on est incapable de penser plus loin que le prochain quart d’heure et que soudainement nous sommes capables d’anticiper le « recovery » des deux prochaines années en moins d’un mois.

L’Asie dans le même sac

Et même si l’on peut imaginer que l’on s’est emballé et que l’on va un peu vite en besogne, le début de la semaine semble déjà plutôt pas mal, puisque les futures sont en hausse de 0.4% et que l’Asie se frotte les mains de voir les gens ressortir de chez eux en ce lundi matin. Actuellement, Tokyo est en hausse de 1.4%, Hong Kong grimpe de 2% et la Chine progresse de 0.13%. Même les regains de tension à propos d’une nouvelle « guerre économique » entre les USA et la Chine ne semblent inquiéter personne.

Enfin, moi je serais un chômeur américain – j’aurais quand même l’impression que je ne suis pas grand-chose. Pour ce qui es du pétrole et de l’or, le métal est à 1708$ et le baril est à 24.36$ – un peu plus faible que vendredi, forcément, l’échéance du futur juin aura lieu dans 7 jours. Tic-tac-tic-tac.

Nouvelles du jour

Pour ce qui est des nouvelles du jour, il y a une immense place qui est faite au déconfinement, la France ressort de chez elle, la Suisse aussi. On parle que l’Allemagne pourrait se reconfiner, puisque les nouveaux cas repartent à la hausse. Tout comme en Corée du Sud d’ailleurs. Et puis aux USA, c’est le Muppet Show, puisque Trump dit que tout va bien, alors que trois membres de la « task force anti-COVID » ont été testés positifs, ainsi que deux employés de la Maison Blanche – mais peu importe, même ça ne décrédibilise pas les messages positifs et encourageants envoyé par le leader américain.

En résumé, ce matin nous nous concentrons sur le fait que les économie ré-ouvrent et c’est ce qui semble motiver encore une fois les marchés. Pourvu que ça dure et que l’effet du médicament dure encore.

On notera encore le show qu’Elon Musk est en train de nous faire en Californie. Le patron de Tesla vient de menacer de quitter la Californie si elle ne rouvrait pas et qu’il ne pouvait pas recommencer à bosser, il a traité les politiciens locaux d’incompétents et a menacé tout le monde de poursuites judiciaires. L’ambiance est au top entre Musk et les autorités. En revanche, l’impact est nul sur les actions de la société qui sont toujours plus proches d’atteindre des records historiques. Un jour, il faudra quand même qu’on m’explique. Et qu’on m’explique aussi comment un CEO est autorisé à « tweeter » comme quoi le prix de l’action de sa société est trop cher – que cela fasse baisser le titre de 10% et que la SEC ne dise rien, ne fasse rien. Ils sont aussi au chômage partiel ?

Pour terminer, il faut retenir aussi que tous les stratèges et les hedge funds managers de tous bords se livrent une guerre sans merci pour savoir lequel d’entre eux aura raison sur l’avenir des marchés. Pas besoin d’entrer dans les détails des prédictions, mais disons que si l’on en croit ce que tout ce petit monde raconte, dans 6 mois on ne sera plus là. On sera soit 20% plus haut soit 20% plus bas. Oui, Edwards et ses 80% de baisse n’a pas parlé ce week-end.

En ce qui concerne les chiffres économiques, ils seront tous mauvais, mais seront tous interprétés comme bons, les trimestriels qui continuent à être publiés seront à peu près aussi intéressants que la rubrique télé-réalité du 20 minutes et pour l’instant on a l’air de continuer à surfer la vague haussière, jusqu’à que l’on change notre fusil d’épaule pour je ne sais quelle raison… peut-être le fait que Trump soit infecté au Covid19, allez savoir.

En attendant, je vous souhaite un bon déconfinement, un bon retour dans les transports publics (bonne chance) et prenez quand même encore soin de vous –  ah oui et si vous ne savez pas où manger en ville et que vous avez trop mangé en déconfinement, n’oubliez pas que « jour » se déconfine aussi et que vous pouvez troquer les chips de l’apéro contre des salades et des légumes frais…

À noter encore que dorénavant, tous les matins vous pourrez aussi retrouver Investir.ch sur instagram avec une mini-vidéo qui vous donnera la température des marchés – exemple ci-dessous – et la photo du jour. Comme ça vous pouvez nous suivre sur Facebook, sur Instagram, sur LinkedIn et en vous inscrivant à la newsletter. Si vous ratez ce qu’on publie, c’est que vous faites exprès.


À demain, si vous le voulez bien !

Thomas Veillet

Investir.ch

‘Telling People You Drive A Nissan Almera Is Like Telling Them You’ve Got The Ebola Virus And You’re About To Sneeze. »― Jeremy Clarkson