Il y a des jours, les marchés sont ouverts et puis en même temps on a l’impression d’être dans un cinéma juste avant que le film commence, y a une montagne de pubs débiles, puis des lancements pour des nouveaux films et puis on croit que ça va commencer et puis on vous recolle des pubs, vous vous endormez et en vous réveillant on vous dit que le film était nul et que vous n’avez rien raté. C’est exactement ce qui s’est passé pour la journée d’hier. Il ne s’est rien passé, vous n’avez rien raté, sauf que là vous êtes restés éveillés pour pas grand-chose, dire qu’on aurait pu dormir plutôt que de regarder bêtement nos écrans. Oui, la journée était aussi passionnante que d’écouter une conférence COVID19 du Conseil Fédéral ; au début on est excité, puis après 12 minutes on espère que la télévision va exploser en flamme et nous libérer de cette ennui insupportable, surtout parce qu’on n’ose pas éteindre, de peur de rater un truc.
L’Audio du 7 mai 2020
Des chiffres pourris
Je crois que le point d’orgue de la journée aura été les chiffres de l’emploi du secteur privé. Les chiffres de l’emploi ADP. On attendait des chiffres pourris, ils ont été effectivement pourris, mais comme nous vivons une période particulière, on ne s’étonne plus vraiment de rien – surtout si c’est très mauvais – depuis le début de la « crise COVID », on a cette attitude qui donne l’impression que plus rien de moche ne pourrait nous surprendre alors on ne réagit plus vraiment quand on nous annonce la disparition de 20 millions d’emplois en 4 semaines. On s’y attendait et puis comme on est toujours beaucoup plus intéressé par les Non-Farm Payrolls de vendredi, on n’allait quand même pas se prendre la tête alors qu’on aura des VRAIS réponses vendredi. Pour autant que l’on parte du principe que ces chiffres sont vrais et pas manipulés par le gouvernement américain – loin de moi l’idée de mentionner le fait que le gouvernement nous ment et nous spolie, mais disons qu’ils nous ont habitué à des erreurs plus que douteuses par le passé.
En fait ce qu’il y a de bien avec le Coronavirus, c’est que depuis qu’il est là, on a une CARTE « on ne vend pas parce que c’est pas grave parce qu’on le savait » – un peu comme la carte du Monopoly qui vous donne le droit de sortir de prison sans passer votre tour et comme ça vous pouvez aller sur Zurich Paradeplatz et mettre des hôtels dessus et ruiner les gens qui jouent avec vous. Tout ça pour vous dire qu’hier on n’a pas trop bougé à l’annonce des mauvais chiffres, pas trop bougé parce que NOUS SAVIONS, mais aussi parce que la semaine prochaine on déconfine et il y a comme un optimisme sous-jacent qui bouillonne sous la surface, un optimisme qui nous dit à l’oreille pendant la journée et à notre subconscient pendant la nuit, que les gens vont sortir lundi matin et se ruer dans les magasins pour acheter tout et n’importe quoi, histoire de faire ce pourquoi nous sommes programmés depuis l’enfance : CONSOMMER POUR RELANCER l’économie.
Consommmera ou consommera pas ?
Cet effet consommation donnait effectivement une forme de soutien aux marchés. Ce sentiment de protection et du fait que rien ne peut nous arriver, un peu comme ce que ressentent les gens de Gotham City pendant la nuit quand ils savent que quelque part là dehors, Batman veille à notre sécurité. Non parce que là on sait tous que les chiffres de vendredi – les non-farm payrolls – seront tout simplement immondes, mais on n’ose pas vraiment paniquer parce que si lundi la consommation explose, ça compensera nettement la mauvaise nouvelle. Et puis en consommant on relance tout, on crée des emplois, on fait marcher des entreprises, on aide des gens dans le besoin à retrouver un job, peut-être même que si on consomme assez on va trouver un vaccin. Non, croyez-moi ; consommer c’est un devoir civique, notre pierre à l’édifice pour sauver le monde.
Après, reste à voir ce qu’on va bien pouvoir consommer. En tous les cas, moi je peux vous dire que depuis trois jours je prépare ma liste des choses absolument indispensables que je dois acheter pour aider à sauver le monde. Et puis comme ils ont ouvert les Drive-in McDo avant, ça permet au moins de ne pas avoir « ça » à faire. Là on va pouvoir se ruer chez Apple acheter des produits qu’on a déjà mais la version plus récente, on va pouvoir aller dans les magasins de luxe acheter des trucs que l’on hésitait à acheter parce que le prix était débile, mais comme depuis six-semaines on a enfin compris qu’on ne vivait qu’un fois, soyons fous, lundi c’est les soldes, mardi on relance l’économie mercredi on va sur EasyJet.com et on réserve les 8 prochains week-ends à l’étranger, avec dans l’ordre : Barcelone, Madrid, Rome, Paris, Budapest, Berlin, Stockholm et la Corse. Jeudi on se fait 4 restos dans la journée pour soutenir le commerce local et normalement, dès vendredi on a recréé tous les emplois perdus durant la crise. Vous imaginez bien qu’avec des arguments pareils, le marché ne peut pas vraiment baisser.
Des chiffres
Hier l’Europe a perdu un gros pourcent un peu partout mais sans conviction et de manière très ordonnée et les USA ont terminé en baisse sur le Dow Jones et sur le S&P500, 0.9% et 0.7% respectivement, mais le Nasdaq terminait en hausse d’un demi-pourcent parce la techno, c’est trop chouette. On notera que le secteur pétrolier était sous pression. Il était sous pression parce que le baril a tout de même reperdu un demi-dollar. Demi-dollar qu’il vient d’ailleurs de récupérer dans la nuit, mais si ça nous fait plaisir on va dire que c’est pour ça. Ce matin le baril est à 24$ et des poussières et l’échéance du contrat juin, c’est le 18 mai. Je dis ça pour ne pas qu’on me dise que j’ai rien dit… non, parce que si on se retrouve avec des stocks de débiles dans une semaine, ça va commencer à couiner dans les chaumières.
Autrement il y avait aussi des chiffres trimestriels. Lyft – le concurrent d’UBER a fait mieux que prévu et prenait 16% et Beyond Meat a fait pareil avec une hausse de 26%. 26% de hausse pour une boîte qui vend de la fausse viande et 16% de hausse pour une boîte qui fait du faux-taxi. On vit une époque formidable et ce qu’il y a de rassurant c’est que même si en surface le marché semblait calme et désintéressé, on se rend compte qu’entre deux tweets de Trump et d’Elon Musk, il se passe quand même deux trois trucs de tarés. Taré comme le prénom du nouveau fils d’Elon Musk. Je ne vais pas m’arrêter sur le sujet mais le prénom que Musk a donné à son fils, on espère juste que c’est une plaisanterie, parce que si ça ne l’est pas, je commence sérieusement à croire que ce type passe dans le camp des illuminés et qu’il est en train de devenir un méchant de James Bond qui va finir en vrille.
Et ce matin, l’Asie
Ce matin, à l’image du reste l’Asie ne fait rien. Les trois indices baissent de moins d’un pourcent et semblent dans la même zone d’attente que le reste, un peu comme si on attendait un signe. Un signe qui ne viendra pas avant la semaine prochaine. En attendant, l’or repasse sous les 1700$ – là tout de suite il est à 1695$ et c’est hallucinant de voir que plus il y a des gens convaincus du fait que ce truc doit monter, plus on a l’impression qu’il est dans le coma. Un peu comme si l’or ne pouvait pas monter si on le regarde monter. Il ne peut monter que si on ne sait pas qu’il monte.
Nouvelles du jour
Pour le reste, hier soir Trump a parlé. Il a expliqué qu’il était conscient que des gens allaient mourir si le pays sortait de confinement, mais que l’économie devait redémarrer et que le virus disparaitrait avec un vaccin ou sans vaccin. Selon lui l’économie va « exploser » l’année prochaine – et qu’il ne sera pas le docteur Doom. D’ailleurs la place est prise. Pendant que Trump motivait ses troupes, les experts en virologie sur Facebook estimaient que la barre des 100’000 morts serait atteinte dans les semaines à venir aux USA. Au dernier comptage, il y a eu 67’000 morts du COVID depuis le début de la crise.
Tesla va commencer à retravailler dans son usine américaine et on pourra enfin acheter des voitures électriques à nouveau. Quel soulagement. Le doux bruit des pneus qui roulent sur le bitume me manque profondément, heureusement, là je roule en Zoé, ça me permet de faire un peu le palliatif en attendant que Tesla produise à plein régime. Autrement les relations entre les USA et la Chine sont en mode détérioration et les USA sont en train d’étudier un moyen de sanctionner les Chinois économiquement. Fini le temps où on était potes et qu’on se battait ensemble pour sauver le monde. Biden plonge dans la brèche et monte dans les sondages et pendant qu’il se profile comme le prochain Président, Poutine veut rouvrir la Russie, même si les cas de contagion augmentent tous les jours. On notera aussi qu’il baisse dans les sondages – ça par contre je crois qu’il s’en fout, parce que les sondages pour un Président à vie, ça ne compte pas.
FOMO pas bon
En Chine les revenus du tourisme sont en baisse de 60% – monstre surprise, n’est-il pas ? Dans la foulée ils annoncent aussi que les importations sont en baisse de 14% par rapport à la même période l’an dernier. Les exportations repartent et sont en hausse de 3.5%. Et puis, on terminera avec les prévisions météorologiques, Morgan Stanley pense que ce n’est pas un bon signe que les investisseurs soient en mode FOMO – (fear of missing out) et ça ne présage rien de bon. Ça ne veut rien dire et ça veut tout dire, mais quoi qu’il en soit, ils l’auront dit. Le milliardaire égyptien Naguib Sawiris – oui moi non plus je ne connais pas – estime que dans 18 mois le pétrole sera à 100$ et il achèterait bien des compagnies aériennes et pour finir, le professeur Harvey de l’Université de Duke qui est un économiste qui a toujours tout vu tout juste par le passé – comme quoi ça existe – a déclaré que la récession induite par le Coronavirus sera terminée avant la fin de l’année. Moi je pense qu’il y aura du soleil cet été. Mais aussi de la pluie. Des fois.
Cette après-midi, il y aura les Jobless Claims aux USA; puis aussi quelques chiffres trimestriels comme Teva, Booking.com, UBER et GoPro. Les futures sont en hausse et pour être franc, tout le monde semble attendre vendredi avant de faire ou dire quoi que ce soit, il semble que nous brassions déjà largement assez d’air depuis quelques jours sans en rajouter.
M’en vais vous laisser à votre cours de yoga sur internet, moi je vais me chercher un tuto pour apprendre à pêcher en confinement et je vous retrouve demain pour la dernière chronique avant la libération.
Prenez soin de vous. Enfin, prenez soin de vous encore trois jours, après on ressort et on fait tout péter.
Thomas Veillet
Investir.ch
“Flying means boredom. Next time you’re going away, just drive. You can leave when you want. You don’t have to sit next to a stranger. You can listen to all sorts of loud music without headphones and look at things out of the window that aren’t just clouds. Driving is sensible alternative to flying.”
― Jeremy Clarkson, The Grand Tour Guide to the World