Ce qu’il y a de bien lorsque l’on fait de la finance c’est que l’on vous donne une liste de termes que vous pouvez réutiliser à profusion, à votre bon vouloir et qui sont applicables dans plein de situations de la vie de tous les jours de l’investisseur averti. L’un de ces termes c’est le « profit taking » ou la prise de profit en français. Ce terme c’est la preuve par A+ B que l’on ne sait plus quoi dire ni comment justifier une légère baisse en fin de séance. Il est donc plus facile de coller ça sur le dos des traders qui auraient gagné de l’argent et qui préfèreraient le mettre en cash avant de partir en week-end prolongé – oui parce que si nous en Europe nous sommes en plein « pont de l’Ascension », aux USA on se prépare à vivre le Memorial Day qui verra le week-end se prolonger jusqu’à mardi.

L’Audio du 22 mai 2020

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Suspendu au milieu de nulle part

On ne sait donc plus trop comment décrire le marché dans lequel nous naviguons. Tout le monde semble plutôt convaincu que l’on ne peut plus vraiment aller en avant sans signaux concrets comme quoi l’économie repart et puis, à chaque fois que l’on baisse les bras et que l’on rend les armes, les marchés repartent pour une nouvelle séance de hausse drivée par un optimisme béat et parfois à la limite du compréhensible. Ce genre de séance est généralement suivie par une séance de baisse, moins forte que la hausse, ce qui permettra à la prochaine séance de hausse d’aller encore plus haut, complexifiant encore plus la logique de ce marché.

Je schématise un peu, mais comme à l’heure actuelle nous sommes un peu à court d’argumentaires pour expliquer la hausse – vu que le fait que l’on soit inondé de plans de sauvetages commence un peu à être dans les prix depuis le temps – on peine parfois à comprendre et on se dit que l’on aimerait bien un peu de concret. Hier encore les Jobless Claims ont vu arriver 2’400’000 personnes de plus réclamer des indemnités chômage – bien que cela ne semble plus préoccuper grand monde puisque tout est anticipé depuis longtemps – à la fin de la journée il semble donc plus facile d’expliquer la baisse par des grands lieux-communs comme des « prises de profits » à l’aube d’un grand week-end. Est-ce que l’on doit supposer que les traders qui ont pris les profits hier ne viendront pas au bureau aujourd’hui ? Personne ne le sait, ce qu’on sait c’est qu’hier il n’y avait pas trop de trucs à dire alors autant sortir les termes techniques que l’on a appris à l’école. Les termes que l’on doit utiliser quand on n’a rien à dire.

C’est pas facile

Mais bon, tout ça n’est pas grave, puisque la petite journée d’hier devrait rapidement être oubliée, puisque ce matin nous sommes déjà préoccupés par quelque chose d’autre : les nouvelles tensions entre la Chine et les USA. Alors pour être franc, c’est surtout Hong Kong qui en prend plein les dents pour le moment, puisque les Chinois ont annoncé des nouvelles mesures de sécurités pour l’ancienne colonie britannique. Lorsque l’on dit « nouvelles mesures de sécurité » quand ça vient de la Chine, ça se rapproche plus de « comment la prison va être gérée » puisqu’à voir comment la chose est perçue ce matin, on dirait que la seule chose qui différencie Hong Kong d’une prison c’est qu’il n’y a pas de barreaux aux fenêtres.

En tous les cas la bourse locale et Donald Trump n’ont pas trop apprécié les annonces des Chinois et tout le monde parle de nouvelles tensions qui ne vont pas forcément arranger la situation de reprise économique délicate dans laquelle nous sommes. Oui, parce que soyons clair, ce qui intéresse le marché c’est que la reprise économique ne soit pas « freinée » par des considérations politiques et de nouvelles taxes douanières sous forme de représailles qui pourraient compliquer la chose. Le fait qu’Hong Kong devienne encore un peu plus dans le giron chinois et encore un peu moins libre, le monde de la finance s’en fout, ce qui l’intéresse, c’est surtout que Donald ne se fâche pas trop avec Oncle Xi et ne vienne pas nous foutre par terre notre reprise théorique que l’on s’est construit nous-même personnellement tout seul !!!

C’est quoi le texte ?

En tous le cas, le Hang Seng n’apprécie pas trop les nouvelles du jour et se retrouve au plus bas depuis 7 semaines – en baisse de 3.8%. La Chine recule de 1.2% et le Japon abandonne 0.5%. L’annonce de cette nuit a également commencé à faire effet sur le future américain, puisqu’ils sont en baisse de 0.7%. Etant donné que nous avons une vision à 3 heures et que nous sommes à peu près aussi résistant que du papier à cigarette, tout peut arriver et si on veut que les choses partent en vrille à la veille du long week-end, toutes les conditions sont réunies ; un marché qui semble épuisé et démotivé, un Président Américain qui crève d’envie de faire parler d’autre chose que du Coronavirus et des traders qui ont juste envie de partir en week-end dans les Hamptons pour faire des barbecues, la journée pourrait avoir tout ce qu’il faut pour que ça soit un vendredi comme on les aime.

Dans cette ambiance qui semble délétère et fatiguée, on a le sentiment que l’on a tous envie de boucler pour la semaine et de méditer un peu quant à la suite des évènements. Lorsque l’on regarde un peu les nouvelles de la veille et celle de ce matin, le nouvelles « micro-économiques », on a l’impression qu’il n’y a plus rien de logique et que nous sommes dans une grosse fatigue qui devient palpable. Ou alors c’est juste moi qui me suis levé trop tôt. Néanmoins lorsque j’entends qu’Aurora Cannabis vient de racheter une autre société pour 40 millions via un échange d’actions ET qu’Aurora explose de 37% sur la nouvelle, ou quand j’entends que Macy’s qui a annoncé des chiffres pourris mais qui a eu des « bons commentaires » de la part du management a pris 6%, je commence sérieusement à me demander si l’on a toutes les cases sur le même tablard – et la réponse évidente est NON…

Heureusement il y a le pont

La bonne nouvelle c’est que nous sommes en plein milieu du pont de l’Ascension et que ce que l’on dit et ce que l’on pense devrait rester confidentiel – cette chronique sera d’ailleurs plus que probablement la moins lue de l’année, puisqu’avec la météo qu’il fait les gens vont plus se préoccuper de trouver une terrasse pour manger à midi – sans trop respecter les distances sociales – que de se prendre la tête avec les Chinois, les Américains et les marchés qui se perdent en conjectures – comme moi-même d’ailleurs.

Dans la série « je n’arrive pas y aller parce que j’ai le trac », il nous faudra parler de l’or. L’or qui n’y arrive pas. Un jour sur trois il nous donne l’impression qu’il va « casser » à la hausse et les deux autres jours, on se morfond dans une dépression profonde qui nous renvoie dans le canal latéral dans lequel nous sommes scotchés depuis des jours et des jours. Cette semaine encore, le métal jaune n’y fait pas exception et là tout de suite, on se traîne lamentablement autour des 1730$. Du côté du pétrole c’est plus ou moins l’inverse, puisqu’après sa déconfiture d’avril le baril est passé en mode indestructible et tout le monde parie sur le retour de la consommation et comme les compagnies aériennes annoncent les unes après les autres qu’elles vont recommencer à voler tout soudain, l’enthousiasme ne faiblit presque pas et même si à l’heure actuelle la nouvelle crise hongkongaise met la pression sur tout le monde, on est tout de même à 32$ et ce, même en baisse de 6% depuis hier. Que de chemin parcouru pour un truc qui était has been y a 4 semaines.

Nouvelles neuves

Pour les nouvelles du jour, au-delà des explications de texte entre Trump et Pékin, on parle aussi de l’Argentine qui se prépare à faire défaut – comme d’habitude, serais-je tenté de dire – mais il y aussi l’Italie qui vient de lever 22 milliards via une émission obligataire, on sent la reprise poindre le bout de son nez du côté de Rome. Pendant ces périodes troublées on voit aussi que les choses sont en train de changer du côté de la manière de travailler, puisque de plus en plus d’entreprise se rendent compte que le télétravail n’est plus une utopie, Facebook vient encore d’annoncer que leurs employés auront le choix de travailler depuis la maison ou pas. Pas sûr que ce soit une bonne nouvelle pour l’immobilier commercial dans les années à venir. On notera aussi les bons chiffres de Nvidia hier soir. Nvidia qui a juste doublé depuis le 23 mars et tout ça sans fabriquer des voitures électriques.

Ailleurs Disney se prépare à rouvrir ses parcs et les restaurants qui vont avec, c’est positif pour la société, en revanche on n’est pas encore convaincu de l’aspect positif pour la pandémie, mais il faut aussi dire que pour la première fois depuis longtemps, on n’en parle plus sur CNBC… à moins de chercher un peu plus loin que la « front page » bien sûr. Et pendant ce temps, IBM annonce qu’ils vont annoncer des licenciements, mais ils ne veulent pas dire combien. Pour le reste, je n’ai pas le sentiment que ce vendredi 22 mai restera dans le Hall of Fame des séances boursières alors que l’on va être bien plus préoccupé par le fait de ne pas oublier la crème solaire pour ce week-end que par le fait que les futures baissent de 0.7% à 6h30 du matin.

Les chiffres

Pour ce qui est des chiffres économiques, mis à part les Minutes du dernier meeting de la BCE, je crois que l’on peut clairement dire qu’il n’y aura rien, voir pas grand-chose. En ce qui me concerne, je crois que je ne vais pas vous retenir plus longtemps, je m’en vais vous souhaiter une belle journée, un excellent week-end et je vous remercie d’avoir été là ce matin. Enfin, pour ceux qui ont été là. On se retrouve lundi matin pour de nouvelles aventures avec pour interrogation principale ; le fait de savoir si l’on va tenir ou si l’on va enfin s’effondrer dans cette correction que l’on attend depuis si longtemps.

Très belle journée à tous.

Thomas Veillet

Investir.ch

“Life does not cease to be funny when people die any more than it ceases to be serious when people laugh.” – George Bernard Shaw