La dernière fois que le mois d’avril aura été aussi bon c’était il y a 82 ans en arrière. Pourtant, pour fêter ça nous avons été incapables de terminer le mois par une dernière journée de hausse. Soudainement, le soulagement provoqué la veille par les avancées sur le REMDESIVIR de Gilead n’a plus fait son effet et les intervenants se sont sentis obligés de passer en mode « prise de profits », surtout en se rendant compte que le mois de mai commençait à minuit et que, comme tout le monde le sait, au mois de mai il faut tout vendre jusqu’à l’automne. C’est ballot, juste au moment où on allait ressortir, le marché se prépare à redevenir tout pourri. On ne peut pas lui en vouloir – car même si on s’en foutait jusque-là, les chiffres économiques deviennent pesants et on est en train de se rendre compte que l’économie pourrait ne pas repartir « juste comme ça en claquant des doigts », même si les banques centrales et les gouvernements nous inondent littéralement sous le pognon (bien que perso, je n’aie toujours rien reçu sur mon compte épargne).

L’Audio du 1er mai 2020

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30 millions de chômeurs

Après l’avalanche de « bonnes nouvelles » de la veille, les Jobless Claims ont quand même commencé à faire mal lorsque l’on s’est rendu compte que 30 millions de presonnes n’avaient plus de job aux USA et que ça commence à faire beaucoup. Non seulement ça commence à faire beaucoup, mais en plus on se rend gentiment compte que ces 30 millions de personnes ne vont pas retrouver du boulot demain, que peut-être, l’inertie de cette crise économique pourrait durer un peu plus longtemps que prévu. Que l’économie elle-même ne réagit pas aussi rapidement que les banques centrales – les banques centrales qui se montrent d’ailleurs extrêmement prudentes sur l’avenir. Après le discours timoré de Powell mercredi soir – discours exprimant son soutien, mais prudent quand même, hier Madame Lagarde a fait un speech du même style ; « nous à la BCE, on fera ce qu’il faut – -whatever it takes, comme disait l’autre – mais il ne faut pas non plus compter sur l’économie pour redémarrer à la vitesse de la lumière, en tous cas pas avant 12 mois ». Le message était clair et remettait soudainement en doute la théorie du V-shape recovery.

Du côté des chiffres économiques européens ce n’était pas la fête non-plus. C’est sans surprise, mais l’effondrement du PIB français en chute libre de 5.8% avec Le Maire qui en rajoute une couche en disant que ça sera pire la prochaine fois, n’a pas forcément aidé à réchauffer l’ambiance. Donc en gros, les marchés se sont fait allumer et ont plus ou moins répliqué la séance de mercredi, mais dans l’autre sens. Le seul truc qui semblait d’ailleurs vouloir monter hier ; c’est le pétrole puisque le gros lieu commun du moment c’est que l’on va recommencer à consommer dans 10 jours et qu’à partir de là, ça va être « prosper youplà boum » et qu’on va tous tourner en rond avec nos voitures juste pour voir comment ça fait. Autant vous dire que plus les jours passent, plus je deviens sceptique sur la théorie du « on va ressortir dans un nouveau monde plus propre, plus clean et on va faire super-attention ». Déjà avec les histoires du McDo j’avais des doutes, mais si on part du principe que l’on va tous se ruer dans nos caisses pour faire le plein et SURTOUT ne pas prendre le bus parce qu’on a aucune envie de se faire tousser dessus et qu’en plus le rêve de base c’est de partir en vacances en avion dès le 12 mai, je ne suis pas certain que Greta sera folle de joie. Mais peu importe, le pétrole est de retour autour des 20$ pendant que le reste des marchés se faisaient taper dessus et que tout le monde se demandait si on n’était quand même pas remonté un peu vite, tout en se rendant compte que dans 14 heures on serait au mois de mai et qu’on n’avait toujours pas trouvé un tuto correct sur Youtube pour faire un masque avec les vieux t-shirts d’Iron Maiden qui traînent dans l’armoire et que la machine à coudre que l’on a commandé sur Amazon n’est toujours pas arrivée.

A comme Apple ou A comme Amazon

Au-delà de ces angoisses existentielles qui nous prenaient subitement à la gorge, il y avait encore deux choses qui nous intéressaient ou qui nous donnaient un peu d’espoir ; les chiffres d’Amazon et d’Apple. Mais comme ils seraient annoncés après la clôture, il fallait attendre. Bon, pour être franc, ça ne valait pas non plus la peine de trop s’exciter parce qu’une bonne partie des bonnes nouvelles étaient clairement déjà dans les prix. Il faut tout de même reconnaître qu’Apple a repris 31% depuis la fin du mois de mars et qu’Amazon est en hausse de 50% sur la même période. Jeff Bezos est plus riche de 24 milliards pendant que les USA franchissaient la barre du million de personnes contaminées. On pouvait donc logiquement se dire qu’à moins qu’Amazon annonce qu’ils ont découvert un vaccin contre le Coronavirus, qu’il a été développé en collaboration avec Apple et qu’au passage, ils ont fabriqué en secret une voiture qui ne pollue pas et qui fonctionne aux oligos éléments et qui augmente nos défenses immunitaires en conduisant, il ne fallait pas non plus trop rêver.

En gros les deux ont sorti des chiffres relativement bons compte tenu de la situation. Apple a été un peu freiné par la pandémie, mais on s’y attendait. Amazon s’en est plutôt bien sorti, mais on s’y attendait et comme on s’attendait à tout, les deux titres étaient en baisse after close. Pas grand-chose, ils reperdaient tous les deux ce qu’ils avaient gagné durant la séance. Chez Apple on annonçait plus de rachat d’actions et chez Amazon, Bezos demandait aux actionnaires de « rester avec lui et d’être patients » parce qu’ils allaient faire de grandes choses – qu’Amazon pensait GRAND pour l’avenir et qu’ils vont claquer 4 milliards pour protéger leurs employés. Un discours émouvant qui n’a pas empêché le titre de baisser de 4% after close. Si on avait encore un doute, Amazon a clairement l’intention de devenir la « World Company » et je commence à croire qu’en fusionnant avec Apple et Google, ça pourrait être jouable. En conclusion de tout ce pataquès, il faudra retenir que les deux compagnies n’ont aucune idée de ce qui va se passer ensuite, que le COVID19 pourrait impacter leurs ventes pour la suite de l’année, blablabla.. enfin moi je fais ce que je peux en commandant des trucs sur Amazon tous les jours.

En conclusion de la journée

En conclusion de cette journée, on peut se dire que l’on a vécu un mois d’avril hallucinant, que la performance globale aura été stratosphérique pour le monde dans lequel nous vivons et pour la situation sanitaire dans laquelle nous sommes. Mais qu’aujourd’hui, nous sommes au début du mois de mai et on est en train de se demander sérieusement si ce qui vient de se passer n’est pas un tout petit peu débile et un tout petit peu exagéré. Le truc à la mode, c’est le FOMO – le « fear of missing out » – la peur de rater le truc – et on peut le comprendre, lorsque le marché se fait déglinguer comme en mars et que l’on voit un rebond, on veut être dedans, surtout quand on voit que les gouvernements signent des chèques en blanc pour redémarrer l’économie. Mais là tout de suite on est en juste en train de se demander si on n’a pas mis la charrue avant les bœufs. Je dirais même qu’on a mis la charrue devant les bœufs et qu’elle est vachement loin devant… la charrue et on ne sait même pas où veut labourer.

Depuis 24 heures, le doute semble s’installer dans nos esprits : « et si l’économie ne repartait pas le 12 mai au matin ? » – « et si toute l’année restait dans ce marasme ? » – « et si on devait retourner en confinement parce qu’on n’a pas réussi à coudre nos propres masques ou qu’on s’est étouffé avec ? ». Tous ces doutes se sont clairement ressentis dans le comportement des marchés hier. Sans compter que Warren Buffet qui n’a presque rien dit depuis le début de la crise, estime que, selon ses indicateurs techniques, nous sommes surachetés comme jamais on a été suracheté et que ça ne veut dire une seule chose : « on va se faire la mère de toutes les corrections dans les semaines qui viennent ». Il manquerait plus qu’à que Trump menace les Chinois parce qu’il leur reproche d’avoir déclenché la pandémie et que rien que pour ça, il pourrait augmenter les tarifs douaniers.

EH BEN C’EST JUSTEMENT CE QU’IL VIENT DE DIRE CETTE NUIT !

Nul doute que ça va réchauffer l’ambiance, motiver les gens et leur donner envie de tout vendre en mai et de se casser en confinement jusqu’à la rentrée scolaire de septembre 2021. Au moins.

En Asie, sur l’or et sur les futures

Ce matin à Tokyo, on plonge de 2.3%, Hong Kong et la Chine sont fermés mais il ne fait aucun doute qu’ils rattraperont le retard demain. Les futures américains sont en mode « courage fuyons », puisque le S&P devrait ouvrir en baisse de 1.3% (pour le moment) et que le Nasdaq recule déjà de 1.8% – lui qui était en hausse pour l’année encore hier. L’or repasse sous les 1700$ et ne veut plus être ni valeur refuge, ni hedge contre l’inflation, tout fout le camp.

L’ambiance est donc toute pourrie ce matin, un peu à l’image de la météo. On vient de vivre un mois d’avril estival et on dirait que l’on va se faire défoncer au mois de mai, tant sur la météo que sur le reste.

Les nouvelles du jour

Pour ce qui est des nouvelles du jour, on va donc parler de la nouvelle guerre tarifaire dans laquelle Trump se lance avec les Chinois – ou en tous les cas donne l’impression de vouloir se lancer. Le Président continue sur sa lancée en laissant croire qu’il sait que le virus vient d’un laboratoire chinois – sans citer ses sources. En même temps, s’il le faisait, ça ferait bizarre de savoir que le Président des Etats-Unis se documente sur Facebook.

Autrement Boeing vient de lancer un emprunt obligataire de 25 milliards et de refuser l’aide de l’Etat. Gilead pousse à fond pour la production de son médicament contre le Covid et pensent qu’ils pourront sauver le monde d’ici la fin de l’année et mis à part ça c’est le 1er mai et on ne peut même pas aller manifester. Quelle tristesse. Peu de nouvelles ce matin, mais on constatera que le doute s’installe dans nos esprits torturés, et si ça commence à baisser un peu vite, j’imagine que l’on va rapidement passer en mode panique. Et même assez facilement.

Aux States il y aura l’ISM Manufacturing et le reste du monde est fermé pour cause de muguet. Les futures creusent toujours un peu plus et on frise les 2% de baisse. Quand on disait qu’en avril il ne fallait pas se découvrir d’un fil et qu’en mai tu fais ce qu’il te plaît, je crois que cette année, ça pourrait bien être l’inverse.

Bon, moi je vais vous laisser à votre week-end prolongé, moi je vais à la boîte aux lettres, ça me fera ma sortie du jour et qui sait j’aurais peut-être reçu ma machine à coudre pour faire mon masque maison, histoire d’être prêt pour relancer l’économie le 11 mai.

Bon week-end et à lundi !

Thomas Veillet

Investir.ch

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