Après ses 11 premières années d’existence, il est de plus en plus établi et compris que l’intérêt du Bitcoin ne réside pas tant dans ses capacités à servir de moyen alternatif de paiement que dans sa stature de réserve de valeur dans l’univers de la crypto.

Par Yann Gerardi, responsable marketing Mt Pelerin, responsable communication Crypto Valley Assocation

 

Ce qui est peut-être encore loin d’être une évidence pour les non-initiés, c’est l’intérêt et le positionnement d’Ethereum – la 2ème plus grosse capitalisation crypto derrière Bitcoin, et de son écosystème en plein essor. Si nombre de personnes opposent Bitcoin et Ethereum comme deux prétendants au même titre, les faits suggèrent une complémentarité beaucoup plus harmonieuse qu’il n’y paraît entre «l’or crypto» qu’est le Bitcoin et le tuyau vers la finance décentralisée, la fameuse DeFi, qu’est Ethereum.

Qu’est-ce que la finance décentralisée?

La réponse peut varier selon à qui l’on s’adresse. Pour l’évangéliste blockchain, c’est avant tout des smart contracts (du code sur la blockchain, pour simplifier) offrant des services financiers de façon totalement autonome et décentralisée, c’est-à-dire garantissant l’absence d’intervention (et donc de censure) de toute autorité centrale sur les transactions que ces smart contracts effectuent. Ces transactions s’articulent aujourd’hui essentiellement autour de services de crédit et de liquidité. Ils permettent à strictement n’importe qui d’emprunter et de prêter des cryptomonnaies via des systèmes de collatéralisation et de séquestre appliqués par des smart contracts.

L’intérêt ? Des taux de rendement annuels pouvant flirter avec les 10% pour les prêteurs, et une fluidité du crédit pour les emprunteurs. Le jeu entre les différents protocoles proposant ces services, les différentes cryptomonnaies et les différents systèmes de levier rendent possibles des montages plus ou moins complexes tels que le «yield farming» (la dernière tendance du moment) permettant de maximiser à l’extrême ses taux de rendement.

Si le poids de ces activités a récemment franchi le cap des 2 milliards (un montant non-négligeable pour l’univers crypto et le jeune âge de la DeFi), le degré d’abstraction de leur fonctionnement et l’incertitude qui règne sur leur viabilité risque de les cantonner encore un certain temps au royaume des enthousiastes initiés aux aspects techniques et financiers complexes qui caractérisent cette scène.

Pour le reste du commun des mortels, la finance décentralisée peut s’aborder de façon moins extrême et plus intuitive, en se focalisant moins sur l’aspect «trustless» absolu et inconditionnel de la DeFi que sur la valeur ajoutée que la blockchain apporte en termes de facilité d’accès et de réduction des coûts des instruments financiers pour les particuliers et les entreprises. Pour ce faire, on utilise toujours des smart contracts non pas pour s’affranchir à tout prix des contrôles et des régulations financières, mais plutôt pour simplifier drastiquement l’émission, l’échange et la gestion de titres financiers. Des arguments qui peuvent bénéficier à tous les acteurs du marché.

Pour les institutions financières, c’est un nouvel univers de possibilités d’optimisation, de réduction des coûts et de différentiation qui s’offre à elle. Grâce aux smart contracts, de nombreuses tâches liées à la gestion du cycle de vie d’un titre financier peuvent être partiellement ou entièrement automatisées. Contre-intuitivement, c’est aussi une aubaine en termes de compliance avec des outils tels que Bridge (la plateforme de tokénisation que nous développons chez Mt Pelerin) permettant de définir de façon extrêmement fine qui peut avoir accès à tel titre et comment. La blockchain étant une représentation complète en temps réel des possessions et transactions d’un client, elle devient un «audit trail system» idéal pouvant grandement faciliter le reporting de ses activités.

La valeur ajoutée de la DeFi

Pour les entreprises – et en particuliers pour les PME, la valeur ajoutée se trouve dans la diversification et la simplification des moyens à disposition pour se financer. En d’autres termes, pouvoir émettre des actions ou des obligations rapidement et à moindre frais, et de pouvoir les vendre à des investisseurs tout en garantissant le respect des règlements financiers en vigueur. Pour la vaste majorité des entreprises trop petites pour avoir accès à la bourse, le potentiel est énorme. Par exemple, la société américaine Cadence permet d’investir dès $500 dans des emprunts obligataires et de l’affacturage tokénisé de sociétés non-cotées, avec des rendements à deux chiffres à la clé.

Sans nécessairement toucher au financement, les outils offerts par la blockchain peuvent tout simplement faciliter la gestion d’une société. Ainsi, représenter ses actions sur la blockchain permet d’avoir un registre des actionnaires automatisé, transparent et fiable fournissant une représentation globale des propriétaires de la société en tout temps. C’est aussi l’opportunité de numériser des événements tels que les assemblées générales, comme nous l’avons récemment démontré, et de faciliter les transferts de titres. Deux items faisant actuellement l’objet d’adaptations légales au niveau fédéral. Donner une action depuis son téléphone à un partenaire potentiel lors d’un repas d’affaire? Transformer un collaborateur en actionnaire en un clin d’oeil pour le motiver? Avec la blockchain, c’est possible.

Pour les particuliers, la promesse de la finance décentralisée c’est d’accéder à des possibilités d’investissement et d’épargne aux retours normalement réservées aux professionnels, non pas à cause de leur complexité mais souvent pour des questions de tickets minimums. Ainsi, la société RealT permet d’investir dans des biens immobiliers locatifs aux États-Unis à partir de quelques dizaines de francs, avec paiement journalier du revenu des loyers en stablecoins versés directement sur son portefeuille digital.

De l’intérêt des stablecoins

Justement les stablecoins, quel intérêt? Tout simplement une façon de proposer le meilleur des deux mondes, à savoir d’un côté la dénomination du prix d’un actif numérique dans une devise stable et de l’autre le règlement instantané et sans intermédiaire du transfert de tels actifs. Le succès de ce principe est palpable avec l’USDT, le stablecoin indexé sur le dollar US par Tether, qui est aujourd’hui la 3ème plus grosse capitalisation crypto derrière Bitcoin et Ethereum à plus de $9 milliards. Acquérir de tels stablecoins est aujourd’hui à portée de chacun, et de multiples initiatives sont en cours pour amener des stablecoins liés à l’euro ou au franc suisse.

Quel futur pour la finance décentralisée?

Les produits DeFi sont de passionnantes explorations conceptuelles et font preuve d’une grande fluidité transactionnelle, mais seront-ils viables sur le long terme face aux défis liés à la sécurité et à la régulation? Les titres numériques tokénisés prennent le chemin inverse en répondant d’abord à ces questions, mais doivent désormais proposer des plateformes d’échange efficaces conçues pour le grand public et les PME. La réponse se trouvera certainement dans un juste milieu constitué de passerelles de qualité érigées entre les deux mondes.

 

Profil LinkedIn de l’auteur de cet article : Yann Gerardi