Une des grandes évolutions sociétales en cours est celle de l’économie de l’abonnement… mais peut-on vraiment s’abonner à tout?

 

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Quelques jours de vacances ont été l’occasion idéale de penser à autre chose qu’au covid et ses soi-disant implications pour le «monde d’après». Comme déjà écrit dans d’autres articles, la période de confinement que nous avons traversée a surtout permis de mettre en évidence et d’accélérer des tendances qui étaient déjà présentes: télétravail, formation en ligne, livraison de nourriture à domicile, etc.

Mes réflexions m’ont ainsi amené à m’interroger sur le concept d’abonnement et à me demander s’il existait des «services» (au sens très large) auxquels il ne serait pas possible de s’abonner.

Partons de la définition commune du mot. L’abonnement est une convention entre un fournisseur et ses clients pour la livraison régulière de produits ou l’usage habituel d’un service en échange d’un paiement forfaitaire (Larousse). Nous avons ainsi déjà des abonnements pour internet, le téléphone, Netflix, la salle de sport, le journal, le train, etc.

Extension du domaine de l’abonnement

Pourrait-on imaginer un abonnement chez le coiffeur? Oui et cela existe d’ailleurs déjà. Avoir une voiture sur abonnement? On pourrait envisager le leasing sous cet angle mais un service tel que Mobility répond déjà parfaitement à cette définition. Un abonnement repas? La cantine scolaire ne propose pas autre chose et le concept est transposable sans difficultés aux restaurants et traiteurs qui sont déjà nombreux à offrir ce service soit sous forme de repas à cuisiner, soit à simplement réchauffer. Et le panier de légumes qui a connu un succès certain durant la récente période de confinement est également livré sur abonnement, sans parler des cavistes qui proposent des abonnements découverte pour les vins.

Si l’on y pense avec quelque souplesse d’esprit, ma banque me fournit également un abonnement (éventuellement gratuit si je dispose d’un solde en compte suffisant) pour effectuer diverses opérations. Rien n’empêcherait en gestion de fortune des formules permettant l’accès à un gestionnaire pour un certain nombre de minutes chaque mois ou trimestre. De même, toute assurance (p.ex. maladie, ménage, voiture …) pourrait également être vue comme un abonnement puisqu’il s’agit de services dont nous pouvons bénéficier en cas de besoin en échange d’un paiement forfaitaire mensuel ou annuel.

Poussons plus loin notre réflexion. Pourquoi pas des vêtements sur abonnement? Prenons par exemple pour un homme adulte 10 chemises, 2 costumes, 1 jeans et 4 polos par quinzaine et en fonction des saisons. Livrés à domicile ou à récupérer en boutique en échange des vêtements de la quinzaine précédente. Les abonnements premium permettraient une grande personnalisation ainsi qu’un accès aux dernières collections, alors que les abonnements plus basiques proposeraient des modèles plus anciens ou présentant déjà de légères traces d’usure. Les vêtements étant des objets personnels par excellence, la mise en place d’un concept de ce genre nécessiterait assurément quelques évolutions au niveau des mentalités. Et pourtant un service similaire existe déjà pour les femmes. Le concept permettrait d’ailleurs de proposer des abonnements à des services annexes ou de les inclure dans la formule premium: conseils pour améliorer son look, coiffure et manicure en accord, accessoires tels que sacs et bijoux, etc.

D’autres avantages sont également imaginables. Par exemple la livraison sur son lieu de vacances afin de minimiser les bagages à transporter. Et au niveau environnemental, il existe également un très gros avantage, à savoir que ce concept s’inscrit totalement dans une économie dite circulaire. Le vendeur s’occupe ainsi de recycler son produit tant en cours de vie qu’en fin de vie.

Après avoir constaté que quelques idées de prime abord un peu folles existaient déjà, continuons avec d’autres domaines et prenons pour commencer l’éducation. Aujourd’hui le modèle est assez formaté dans la plupart des pays, à savoir un cursus obligatoire suivi d’une formation plus ou moins longue et plus ou moins pratique suivie la plupart du temps d’un seul tenant et permettant, une fois le diplôme obtenu, de se lancer dans la vie professionnelle et au long de celle-ci de suivre encore quelques modules utiles à la fonction occupée ou convoitée.

Ce modèle répond en fait – pour les études supérieures – aux contraintes actuelles de calendrier des cours, lui-même contraint par l’organisation dans l’espace physique soit l’occupation des salles de classe. Sur ce point-ci, le covid a effectivement accéléré très fortement le changement: confinement oblige, les cours sont passés de «en présentiel» à «en ligne». Le but n’est pas ici de développer les vertus des cours suivis en groupe dans un auditoire face à un professeur mais de regarder les nouveaux avantages associés à une offre en ligne. Parmi les plus évidents, on pourra citer la souplesse des horaires pour les étudiants (hors sessions en direct avec des enseignants) ainsi que la possibilité de revoir les parties de cours les plus complexes autant de fois que nécessaire et à son rythme propre.

Dans ce nouveau cadre digital, rien n’empêcherait de proposer un abonnement permettant l’accès aux cours en ligne durant une certaine période pouvant s’étendre sur plusieurs années. Les étudiants seraient ainsi en mesure d’étaler dans le temps avec plus de souplesse leurs études et de les combiner plus aisément avec un travail, des stages, des contraintes familiales, des voyages ou autres loisirs. Certains diront que les formations en ligne type MOOC proposent déjà cette approche, ce qui est exact mais ici je parle d’une généralisation à tous types d’enseignements de type long ou court.

Terminons par un dernier exemple, l’habitat. D’un certain côté, le bail du locataire est déjà une forme d’abonnement. Dans un autre registre, les plus âgés d’entre nous se souviendront probablement du concept de time sharing qui connut ses heures de gloire dans les années 80. Imaginons maintenant un monde plus nomade grâce à la digitalisation accrue d’un nombre de secteurs comme j’en ai déjà parlé en évoquant le télétravail.

Pourquoi pas un abonnement donnant accès à un logement dans plusieurs villes du monde? Une vie de nomade digital avec la certitude d’accéder à des logements répondant à certains standards au travers d’un service unique. Evidemment, ceci semble très futuriste et nécessiterait en pratique des logements modulables afin de permettre à l’offre de répondre à la demande. Le concept n’est cependant pas si novateur que cela puisque dès 1914 l’architecte Le Corbusier avait conceptualisé la maison modulable «Domino».

Quelques implications

Les exemples que j’ai utilisés existent déjà – au-moins en partie – aujourd’hui. Le passage à large échelle de ce qui n’est encore parfois qu’anecdotique reposera en grande partie sur 2 secteurs: la technologie et la logistique. Pour ce qui est de la technologie, cela semble évident. Une nouvelle offre massive digitalisée nécessitera d’énormes puissances de calcul et renforcera les GAFAM et autres Uber dans leur position dominante en élevant encore plus les barrières à l’entrée pour accéder à un marché global au sein duquel un nombre croissant d’éléments seront intégrés, entre autres grâce à la technologie cloud.

Le moment est d’ailleurs venu de répondre à l’interrogation du début de cet article, à savoir si l’on pourrait s’abonner à tout, la réponse est très certainement oui, sauf à Facebook puisque Mark Zuckerberg a toujours refusé une formule payante sur abonnement au profit d’une pseudo-gratuité lui permettant de récupérer les données personnelles des utilisateurs afin de les profiler et de vendre ainsi son offre publicitaire bien plus rémunératrice.

Par ailleurs, tout n’est pas uniquement digital et une partie de la nouvelle offre plus souple dans certains secteurs (p.ex. l’habillement évoqué plus haut dans l’article) amènera une demande accrue en besoins logistiques, y compris automatisés au moyen de drones ou autres robots livreurs. Ces changements majeurs en termes d’offre et de demande permettront également de mieux développer une économie circulaire.

L’évolution du concept de propriété vers un concept d’usage s’inscrit d’ailleurs dans la tendance à tout nommer «as a service» ou «aaS». Il est donc fort probable que dans quelques années la phrase la plus effrayante que l’on pourra entendre sera «votre abonnement à notre service a été résilié».