La première fois de ma vie où j’ai mis les pieds dans une salle de trading, je me suis dit que si je devais choisir un camp, ça serait le camp des bulls. Je n’ai jamais dérogé à ma promesse et suis plus ou moins resté dans le camp des bêtes à cornes depuis ce jour-là. Alors oui, bon je dois admettre que parfois, dans ma carrière, je me suis retrouvé short. Mais pour être franc, je n’ai pas aimé DU TOUT. Pas aimé, parce que perdre de l’argent parce que le marché baisse et que vos investissements souffrent, c’est douloureux. Douloureux, mais compréhensible et cela fait partie de la logique même de l’investissement dans le sens purement biblique du terme. En revanche, se retrouver short alors que le marché monte contre vous semble tellement plus douloureux, que j’ai rapidement compris que le camp des « bears » n’était définitivement pas fait pour moi, que je n’aimais pas « anticiper le pire » et que ce n’était pas dans ma nature. C’est comme ça, on ne peut rien y faire. Pourtant, là tout de suite, lorsque je vois où nous en sommes, j’avoue que j’ai comme un doute. Un doute que ce que l’on vit fasse réellement partie d’une certaine logique. Alors oui, je veux bien croire que les vaccins arrivent et qu’ensuite tout va rigoler et que tout ne sera que croissance un peu partout et plein emploi à tous les étages. Je veux bien admettre que dès que les choses reviendront à la normale, on va se jeter dans la consommation pour compenser des mois de frustration. On va voyager, prendre l’avion, louer des voitures, partir en croisière et aller au resto quatre fois par jour – enfin, si les gouvernements divers et variés daignent les laisser ouvrir un jour – mais bref, on va claquer tout le pognon qu’on a sur le compte épargne pour se défouler et ce défoulement aura pour conséquence un rebond spectaculaire de la VRAIE économie et pas celle de Wall Street. Sauf que tout ça devrait quand même prendre un peu de temps et qu’à Wall Street ont est déjà « là-bas », à attendre les premiers effets réels de ce « rebond économique mystérieux ». Du coup, la question que l’on peut se poser est la suivante : « combien de temps est-ce que l’on peut voler aux vapeurs d’essence ? »

L’Audio du 7 décembre 2020

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Optimistes invétérés

La semaine qui vient de s’écouler aura donc été absolument formidable en terme d’optimisme. Je pense que si l’on pouvait créer un indice qui mesurait cet optimisme ambiant, il serait sûrement au plus haut de tous les temps et en hausse de 12% par jour depuis 1 mois. Plus rien ne semble pouvoir nous faire dérailler de cette marche en avant haussière, puisque la moindre mauvaise nouvelle est balayée du revers de la main. Balayée parce que le vaccin arrive. Ou balayée parce que le Stimulus arrive. Et vendredi dernier on nous démontré avec l’art et la manière comment cet optimisme exacerbé et délirant fonctionnait… Explication de texte :

Vendredi matin, on attendait les chiffres des Non-Farm Payrolls, les chiffres qui sont censés nous donner une idée de « comment le marché de l’emploi se porte ». Oui, parce que si ça engage du monde, c’est que ce « monde » va forcément claquer du pognon à un certain moment. Il va consommer, ce « monde ». Et comme la consommation, c’est le moteur de l’économie. On avait donc bossé une chiée pour essayer d’anticiper les chiffres de vendredi. Les experts à Wall Street avaient passé pas mal de temps à éplucher les petites annonces emplois pour savoir si ça cherchait du monde, là dehors – dans le monde réel – ils avaient fait des interpolations dans tous les sens sur leurs fichiers excel contenant les chiffres des 214 dernières années. Ils avaient ajouté un peu d’intelligence artificielle et interrogé des tonnes de sociétés aux USA pour savoir s’ils avaient de nouveaux employés depuis un mois. Après des heures et des heures de recherches, des heures qui se sont transformées en jours pour certains et après concertation avec les Dieux de la finance, ils étaient arrivés à un consensus tellement précis, qu’à trois ou quatre mille personnes près, ils ne pouvaient pas se gourer. Le chiffre mythique « d’à peu 432’000 créations d’emplois pouvait donc être annoncé officiellement. Puis après les autorités qui comptent les vrais chiffres ont publié le message suivant :

« Les États-Unis ont créé 245 000 emplois en novembre et le taux de chômage a de nouveau baissé, mais l’embauche est tombée à son niveau le plus bas depuis sept mois, signe évident que la hausse record des cas de coronavirus nuit à l’économie et rend le retour au travail plus difficile »

« La hausse record des cas de coronavirus nuit à l’économie et rend le retour au travail plus difficile » – et moi qui croyais que tout allait bien parce que les vaccins arrivaient, que Biden allait sauver le monde et la galaxie tellement facilement que son surnom ça serait « Capitaine Flam » et que, du coup tout allait rigoler. Ben en fait non. En fait non, et dans un monde réel, vendredi on se serait fait défoncer avec l’art et la manière. Le Nasdaq se serait pris 3.5% dans les dents et la volatilité serait montée à 32,7%. Il y a même des traders qui auraient jeté l’éponge et envisagé d’ouvrir un resto dans le Sud de la France pour vendre des pâtes aux truffes aux touristes, sauf qu’en ce moment, ouvrir un resto et trouver des touristes, c’est pas simple. Restait donc plus qu’à trouver une solution.

Le Stimulus fantôme arrive

Et LA SOLUTION c’était de ressortir encore une fois la théorie du STIMULUS FANTÔME. Cette bonne vieille théorie qui dit que les politiciens vont se mettre d’accord et qu’ils vont nous sauver. Ce stimulus qui se réduit de 100 milliards chaque fois qu’on en parle mais qui fait toujours autant d’effet. Oui parce que dès que l’annonce des chiffres dégueulasses de vendredi furent annoncés, on aimmédiatement sorti la solution miracle du Stimulus Fantôme en hurlant partout que c’était bon et que les Schumer, Pelosi et McConnell allaient se mettre d’accord et qu’à la fin ça allait rigoler et que si on ajoutait à cela le fait que les vaccins arrivaient au galop, plus rien ne pouvait nous arriver. On envisageait même de passer le week-end à Disneyland pour fêter ça. Bon, Disneyland c’est fermé, mais c’est l’intention qui compte.

C’est un peu comme pour l’emploi. C’est pas tant le fait d’engager quelqu’un qui compte, c’est l’intention de l’engager un jour quand ça ira mieux qui peut faire la différence. Bref, vous l’aurez compris, pour le moment nous nous baignons dans l’optimisme et en sortant du bain, on se sèche dans l’euphorie et rien ne peut arrêter les indices. Rien ne peut les empêcher d’aller plus haut. Rien mis à part ce matin où les futures sont en baisse de 0.3% et qu’il y a plus d’articles qui disent que c’est un peu cher et que les indicateurs montrent une nette zone de sur-achat, que d’articles qui disent que tout va bien et que tout ira bien. Néanmoins, il n’est pas sûr que cette « négativité » du lundi matin suffise à changer la donne. L’effet VBS – (VBS pour Vaccin-Biden-Stimulus) semble tellement fort qu’il n’est pas sûr que la fin de l’euphorie soit pour cette semaine. En plus en plein Christmas Rally, personne ne voudrait fâcher le Père Noël de Wall Street, pas même les chiffes catastrophiques du COVID que nous annoncent les USA jour ou après jour. Pas même la Californie qui se coupe du monde et pas même le fait que l’on tourne à 200’000 nouvelles contaminations par jour aux States et que l’on approche dangereusement la barre psychologique des 3’000 morts par jours.

L’Asie

Ce matin l’Asie est en baisse à cause des cas de COVID qui explosent aux States, des mauvais chiffres économiques – mais ça c’est parce que personne ne leur a parlé du Stimulus Fantôme et puis il y a aussi le fait qu’il y a des rumeurs comme quoi les départements d’Etat et du Trésor américains préparaient des sanctions économiques contre une douzaine de fonctionnaires chinois en réponse à la répression de la dissidence à Hong Kong par Pékin – le tout selon un rapport de Reuters citant des sources anonymes. Des sources anonymes. Ça fout les jetons. Le Japon est en baisse de 0.5%, tout comme Shanghai, mais comme d’habitude dans ce genre de nouvelles qui sont censées les aider, c’est Hong Kong qui cotise le plus reculant de 1.5%.

Pour ce qui est de l’or et du pétrole, c’est assez calme. L’or est à 1844$ et monte en fonction du dollar qui baisse, jusqu’à que l’on ait besoin de se rassurer – quoi que depuis quelques temps, on a l’air de se rassurer bien plus avec du Bitcoin. Et puis, du côté du pétrole, on est à 46.02$.

Les nouvelles du jour

Dans les nouvelles du jour, ce n’est pas terrible, on parle de marché suracheté, d’indicateurs techniques qui sont au bord de l’implosion ou du Warren Buffet indicator qui n’arrête de clignoter en mode panique. Mais aussi des chiffres monstrueux du COVID aux USA et des chiffres qui, selon certains experts, pourraient exploser encore d’ici avril. On espère juste que les experts en COVID sont aussi mauvais que nos experts en finance, ça nous donnera un peu d’espoir.

À propos, il ne faut pas non plus oublier que nous sommes lundi et que le lundi c’est le jour du vaccin et que ça fait des mois que le lundi c’est le jour des bonnes nouvelles, alors on peut espérer un nouveau miracle, comme un vaccin à base de plantes qui n’a pas d’effets secondaires et qui fonctionne à 112% et qui, du même coup, empêche les gens de contaminer les autres. Ce qui ne serait même pas une surprise, tellement on nous a bien « packagé » les lundis récemment. Soyez donc bien attentif autour de midi, il pourrait y avoir une nouvelle importante – aller manger au restaurant est donc plutôt déconseillé. Bon, en même temps c’est fermé. Dans les nouvelles importantes on notera tout de même que les assurances maladie suisses sont venues couiner dans les médias de ce week-end, pour dire que c’était trop dur pour elles et que le COVID leur coûtait déjà plus de 500 millions. C’est horrible ce qui arrive à ces pauvres caisses maladie – sans compter qu’elles n’ont que 11 milliards de réserves. Je suggère que l’on active la chaîne du bonheur pour leur donner un coup de main ou alors non, j’ai une meilleure idées – elles n’ont qu’à nous augmenter nos primes maladie l’an prochain pour compenser. Normalement les gens couinent pendant deux semaines et finissent par payer quand même.

Les chiffres du jour

Côté chiffres du jour, il n’y aura que la production industrielle en Allemagne et les futures sont donc indiqués en baisse, mais ce n’est probablement que pour tromper l’ennemi, puisque nous sommes shootés à l’optimisme et que nous sommes lundi, jour des vaccins.

Morningbull Live

En attendant que cette semaine se lance pour de bon, il me reste à vous souhaiter une excellente journée et un très bon début de semaine. On se retrouve ici-même demain matin.

Thomas Veillet

Investir.ch

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– Claude Pepper