Ce qu’il y a de bien c’est que l’on est toujours capable de trouver des explications sur le pourquoi du comment. Après plus de 30 ans dans ce métier, je trouve toujours aussi fascinant ce besoin d’expliquer ce qui s’est passé hier que nous avons. C’est viscéral, tous les matins on a besoin de comprendre « pourquoi » le marché a baissé de 0.8%, comme si l’on ne pouvait pas commencer une nouvelle journée sans savoir et sans comprendre la journée de la veille. Tant mieux, parce que sinon je ne servirais à rien. Toujours est-il qu’hier c’était le retour du pangolin qui préoccupait les intervenants. C’est en tous les cas le bruit qui court.

L’Audio du 24 mars 2021

Télécharger le podcast (.mp3)

Le retour des contaminations

Cela fait donc bientôt un mois que le marché est inquiet de l’inflation et qu’il a estimé nécessaire d’entamer une rotation de secteur et de flipper sa race sur les technos dès que le rendement du 10 ans passait au-dessus de ce qu’il valait hier. Ou au-dessus de ce qu’il valait il y a 5 minutes.

Cela fait aussi presque un mois que Powell nous dit que ça va mieux et qu’il gérait la situation et que ça ne servait à rien de paniquer à l’idée de voir arriver l’inflation au galop et qu’il ferait tout ce qu’il pourrait pour l’empêcher de nous faire du mal en la retenant avec ses petits bras musclés. Il l’a encore répété hier devant je ne sais plus quelle sous-commission du Congrès ou du Sénat devant laquelle il apparaissait avec MADAME Yellen, la Secrétaire du Trésor et ex-détentrice du poste de Powell. Durant cette présentation à quatre mains, les deux stars de la finance se sont employés à rassurer le public et le monde politique, expliquant à tour de rôle que les autorités feraient tout ce qu’elles peuvent pour aider l’économie et surtout Wall Street. À moins que ce soit l’inverse.

Quoi qu’il en soit, Powell a réitéré sa stratégie du Whatever it takes et Yellen a dit que ça allait mieux, mais qu’il ne fallait pas encore danser tout nu sur la table en s’arrosant de champagne, contrairement à ce qu’ils font durant les festivités du Spring Break en Floride. Pendant que le duo de choc s’employait à rassurer et cajoler l’establishment en espérant que Wall Street en tienne compte, le rendement du 10 ans continuait sa chute vertigineuse entamée il y a 48 heures – chute qui était supposée calmer les angoisses inflationnistes, ce qui tombait plutôt bien en ce moment.

Mais il y avait le pangolin

Sauf que le timing parfait de la baisse des rendements associés à des paroles douces et rassurantes de la part de Janet et Jerome n’auront pas suffi à créer l’étincelle nécessaire pour que le marché se souvienne que ça faisait un an qu’il avait commencé à monter parce que le monde entamait un recovery et que ça allait aller forcément mieux un jour et qu’ensuite il y aurait plein de stimulus. À moins que ce soit l’inverse et que le marché ait entamé sa remontée parce qu’il y avait un stimulus et que le recovery allait peut-être arriver après – Powell a d’ailleurs précisé hier que l’économie avait bien récupéré, mais que le 100% n’était pas encore atteint et qu’il allait falloir bosser encore.

Mais hier, alors que tout le monde faisait des efforts pour créer de la bonne nouvelle, la tête du monde merveilleux de l’investissement était ailleurs. Elle était en train d’analyser les chiffres du COVID et comme à chaque fois que l’on analyse des chiffres du COVID quelque part, ça part en vrille parce que personne ne les lit de la même manière et que chacun fait partie d’un camp différent entre les antis, les pros, les experts formés sur Facebook, les complotistes et ceux qui en ont juste plein le cul et qui voudraient juste aller manger au resto parce qu’ils en ont marre de se faire la 814ème version du riz sauté avec les restes de la semaine et que les pâtes à la bolognaise, ça va 5 minutes et que, définitivement « faire des sushis », c’est un métier et pas un hobby quand on en a envie.

Bref, hier on s’est refait une bonne petite angoisse sur le COVID parce que les chiffres des contaminations repartent à la hausse. Alors bon, on sait que 99.5% des gens qui sont contaminés vont s’en sortir et que le problème c’est plutôt la tension des services de réanimations, bla-bla-bla.. Mais bon, faut respecter les gestes barrière, se laver les mains avec un masque et se passer la bouche au gel hydroalcoolique, à moins que ça soit l’inverse, je ne sais plus. Toujours est-il que le fait que l’Allemagne prolonge son confinement, que l’Italie resserre les boulons, que la France utilise la méthode Macron-pour-se-faire-réélire en confinant à l’extérieur parce que le virus est plus méchant dedans que dehors en fonction des heures de la journée. Que la Suisse ne fait rien si ce n’est emmerder les restos, qu’en Angleterre on veut amender tous ceux qui quittent l’île sans une bonne raison – sachant que le week-end à Ibiza N’EST PAS UNE BONNE RAISON – et qu’aux USA, malgré une avalanche de vaccination, la contamination reprend, ça n’a pas rassuré les marchés et du coup, hier on a baissé parce que l’on avait peur, je cite : « que la résurgence du virus et la troisième vague qui arrive puisse impacter le recovery économique mis en place depuis 12 mois ».

Et tout a baissé

Donc du coup tout a baissé un peu partout et il y a même des gens qui commençaient à dire que la mère de toutes les rotations était terminée et que les « value stocks » étaient au bout du rouleau. Dans cette thématique, les pétrolières étaient sous pression et le pétrole était sous pression – forcément – si l’on reconfine tout le monde pour la 112ème fois, on va se voir obligé de prendre les mêmes théories que durant le recovery et de mettre la tête sous l’eau aux pétrolière, aux croisières, aux hôtels, aux Airlines – oui, parce que vu la tournure que ça prend ; votre week-end en de printemps dans le Sud de l’Europe, vous allez pouvoir le transformer en une balade dans la forêt AVEC le masque pour ne pas choquer et terroriser les gens que vous pourriez rencontrer et au retour, si vous avez de la chance, vous pourrez aller chercher de la bouffe à emporter dans des boîtes en cartons, bouffe qui sera à peine tiède en arrivant à la maison.

Bref, hier on craignait de se refaire le même printemps pourri-dégueulasse que l’on s’était fait l’an dernier. Moi je dis qu’un bon petit stimulus supplémentaire serait de bon aloi. De toute façon le pognon est tellement facile à trouver, que l’on ne devrait pas perdre de temps à redistribuer encore une peu de fric pour ne pas laisser le moral des troupes se mettre en berne.

Ce matin en bref

Ce matin l’Asie est en mode bérézina pour les mêmes raisons que j’ai citées plus tôt. La peur du retour du virus, la hausse des contaminations et le fait que l’on ne s’en sorte pas. Soudainement on se fout totalement de l’inflation, mais on a quand même trouvé une raison de tout vendre. Le Nikkei plonge comme si on avait libéré une douzaine de pangolins sur le floor de Tokyo et recule de près de 2%, comme à Hong Kong. En Chine on ne recule « que » de 1.2%, mais la journée n’est pas finie.

Pour le reste, l’or est toujours à 1730$ comme depuis trois jours. J’en arrive à me demander s’il y a des prix payés et si les gens s’y intéressent encore. Côté pétrole c’est la catastrophe, il a cassé les 60$ à la baisse et s’enfonce dans les angoisses du confinement et du ralentissement économique. Le baril se traite à 57.81$. Et le pire c’est que les « experts » commencent même à se dire que le Bitcoin pourrait rentrer dans une phase de correction. Vous imaginez l’horreur si l’essence même de l’investissement qui gagne à tous les coups commençait à baisser ??? La fin serait proche cette fois. Ce matin l’empereur des cryptomonnaies est à 54’000$. Encore un peu on va nous dire que la tendance haussière est cassée et qu’on va tous y passer.

Nouvelles neuves

Dans les nouvelles de la journée on parle beaucoup de GameStop. Comme quoi on est quand même tombé bien bas. Nous voilà réduit à commenter les chiffres pourris d’une boîte pourrie qui préoccupe tout le monde et qui vaut 10 fois ce qu’elle devait valoir fondamentalement parlant. Bon, pour faire simple les chiffres étaient en-dessous des attentes, mais la boîte a annoncé plein de changement dans le management et qu’ils étaient prêts à « amorcer » le changement de business modèle. Ben allez-y les gars, on vous attend, vous nous faites signe quand vous voudrez racheter Microsoft ou vous transformer en SPAC en fusionnant avec une boîte qui fait de la blockchain ou des voitures électriques. Le titre perdait encore 15% hier soir, mais on n’a pas encore entendu l’avis de DeepFuckingValue.

Ceci dit, il faudra tout de même noter que l’on vit une époque formidable, puisqu’avant on attendait l’avis de Goldman Sachs ou de Morgan Stanley, mais maintenant on attend l’avis d’un vendeur d’assurance avec un serre-tête en serviette éponge qui s’appelle DeepFuckingValue, on sent quand même qu’on a bien progressé intellectuellement ces dernières années.

Mais encore

Autrement, toujours dans le même sujet passionnant, il y a plus d’une dizaine d’investisseurs qui se sont fait laminer dans la folie de janvier sur GameStop qui attaque Melvin Capital en justice lui reprochant d’avoir manipulé le marché pour « leur faire » perdre de l’argent. Donc, Melvin Capital, c’est le Hedge Fund qui était short sur GameStop et qui a perdu 53% dans la foulée. Et maintenant ces abrutis qui ont mis les mains dans la moissonneuse batteuse en pensant qu’ils avaient tout compris sur le trading et sur GameStop, ont pris un avocat pour venir couiner parce qu’ils ont perdu de l’argent… Franchement ça devient clownesque, risible et ridicule. Bon, en même temps c’est le principe de la loi américaine, on peut poursuivre tout le monde pour tout et n’importe quoi et plus c’est con, plus ça fonctionne. Ils auraient tort de se priver. Mais si à chaque fois qu’un investisseur se fait démonter sur une position, il attaque en justice, va falloir ouvrir des tribunaux.

Pendant ce temps, Robin Hood a rempli les papiers pour son IPO, encore un truc qui va, qui doit prendre 800% la première semaine. Intel annonce la construction d’une nouvelle usine et son CEO déclare : Intel is back. Madame Yellen annonce que les impôts vont augmenter pour financer les plans de Biden et Biden annonce qu’il veut interdire les fusils d’assaut aux USA, il paraît même qu’il veut engager Mister Bean et Casimir le monstre gentil pour gérer le problème. Et puis, pour une dernière touche d’humour ; le Prince Harry vient d’être engagé dans une start-up qui fait dans la santé mentale. Je pense qu’il y a plein de chroniqueurs et d’humoristes qui vont se lâcher sur le sujet. Surtout quand on sait qu’il va être « Chief Impact Officer »…

Chiffres du jour

Niveau chiffres du jour, il y aura le CPI en Angleterre, pas mal de PMI’s partout ailleurs et puis il y aura aussi les Durable Goods, ainsi que le 223ème témoignage de Powell de l’année. Visiblement le patron de la FED travaille sur le fait que le monde de la finance comprend vite, mais qu’il faut leur expliquer longtemps. Quoi qu’il en soit, il parle, il parle et il parle encore.

Pour l’instant, les futures sont légèrement en baisse, alors que les cas de COVID sont légèrement en hausse et que le taux de disponibilité du PQ est de 1.2 et que celui de la boîte de thon est de 1.5, quant au paquet de pâtes, on est à 2, tout va bien de ce côté, on va pouvoir se nourrir de spaghetti au thon jusqu’à que le taux d’incidence baisse à moins 1 et qu’il y ait zéro morts sur 263 semaines pour que l’on puisse rouvrir enfin et ne plus parler de ces confinements, reconfinements et déconfinements.

Autrement, je ce matin je vous recommande de « scroller down » en dessous de cette chronique, vous y trouverez une vidéo qui s’intitule « Interview avec un CIO » –  j’ai eu l’occasion de parler avec Luc Oesch du Centre Patronal au bord du lac… Léman… Et on a parlé un peu de tout et puis à la fin, il m’a même donnée « Le TOP PICK » que l’on n’attendait pas… surtout moi. Bonne vidéo.

Pour le reste, je vous souhaite une bonne journée masquée et un apéro au gel hydroalcoolique en relisant les mémoire d’Alain Berset et les visions du futur selon Guy Parmelin, les deux livres étant disponibles aux éditions « Faites-nous CONFIANCE ».

Moi je vous retrouve demain pour un test PCR.

Thomas Veillet

Investir.ch

« La différence qu’il y a entre les oiseaux et les hommes politiques, c’est que de temps en temps les oiseaux s’arrêtent de voler. »

Coluche