D’aucuns prétendent que les cryptos sont des monnaies ou de l'or digital, d’autres que c’est une religion. Et si c’était tout simplement une nouvelle forme de jeu?

 

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Pourquoi l’appelle-t-on «monnaie»?

La confusion initiale vient assurément du bitcoin qui a été présenté comme une nouvelle forme de monnaie électronique décentralisée. De fait, le bitcoin répond à un problème classiquement lié à la comptabilisation des paiements, à savoir le problème de la «double dépense». S’il était possible de dépenser 2 fois le même avoir, le système ne serait pas fiable. Et justement, dans le cas du bitcoin, l’architecture de la blockchain permet d’éviter ce problème. Bitcoin n’est de fait rien d’autre qu’une blockchain – autrement dit un algorithme – qui permet des échanges entre contreparties tout en se prémunissant contre la double dépense.

Au sens plus large, c’est la problématique de l’allocation unique d’une ressources. Cela concerne des domaines divers bien au-delà de la monnaie et des paiements mais l’illustration du principe est plus facilement compréhensible avec l’exemple du paiement. Du coup, tout le monde l’associe à une monnaie alors qu’en réalité, on a juste affaire à un groupe d’individus qui acceptent d’échanger des biens ou services contre « cette chose ». Une forme technico-moderniste du troc. Il y a 40 ans dans la cour de l’école, nous étions tous d’accord sur la valeur des stickers Panini représentant des footballeurs. C’était échangeable contre des chocolats, des bande dessinées ou n’importe quel autre bien susceptible d’intéresser des gamins de 8 ans. Personne n’a jamais prétendu que ces stickers étaient une forme de monnaie…

L’adoubement par les institutionnels

Soyons très clairs, le banquier est un commerçant comme les autres: s’il a la possibilité de réaliser un profit en vendant un produit, il le fera volontiers. Vu que notre économie est organisée en secteurs plus ou moins réglementés, on ne va pas à la banque pour acheter du pain ou une voiture. Le domaine du banquier, c’est tout ce qui touche de près ou de loin aux produits financiers et à l’argent.

On a bien compris que les cryptoactifs s’achetaient, soit de gré à gré, soit sur des plateformes spécialisées n’ayant (du moins à l’origine) aucun statut bancaire. Mais vu les vols et arnaques des premiers temps, le banquier a bien saisi l’intérêt de se poser en intermédiaire de confiance. D’ailleurs, puisqu’on nomme ces choses des cryptomonnaies ou des cryptoactifs, cela doit bien relever de son domaine de compétence. Si les ETF avaient existé en 1637, un financier en aurait probablement proposé un sur les oignons de tulipe (ticker BULB NA).

Alors, voir les crypto-adeptes se réjouir de la reconnaissance des cryptomonnaies par les institutionnels, cela relève à la fois de la complaisance, de la stupidité et du cynisme. Oui, du cynisme aussi, car une partie de ces personnes croient ou souhaitent que les cryptomonnaies amèneront à la disparition des banques, qu’ils accusent de tous les maux de l’économie moderne.

La reconnaissance officielle par le Salvador

La blague de l’année. Un pays que personne n’arrive à placer sur une mappemonde depuis qu’il a quitté l’école élémentaire, dont le PIB (USD 24.8 milliards) le place au 104e rang mondial et qui représente 0.03% du PIB global… comme si cela allait modifier quoi que ce soit à l’échelle du monde.

Bien entendu, un pays souverain fait ce qu’il veut chez lui. Il peut imposer la langue, la couleur des vêtements ou même décider de reconnaitre comme monnaie une crypto volatile et sans valeur intrinsèque créée par quelque inconnu excentrique. De là à modifier l’ordre monétaire global, je ne sais pas ce qu’il faudrait fumer pour y croire.

Il faut avoir la foi

Comme tous les nouveaux systèmes, il y a ceux qui y croient. Il y a aussi ceux qui y croient plus que les autres, qui y dédient toute leur énergie et fortune. Rien de neuf à ce niveau. L’histoire du monde est riche en religions attirant leur foule de prêtres, dévots, simples croyants et hérétiques. Plusieurs auteurs ont analysé les cryptomonnaies et le bitcoin en particulier sous cet angle.

Reste à comprendre où se situe la foi des croyants. Pensent-ils que les cryptos vont renverser l’ordre économique mondial? Nonobstant les moyens à mettre en œuvre pour y arriver, je les invite à réfléchir à ce que sera leur monde d’après. Ils réaliseront rapidement que finalement, c’était mieux avant. D’ailleurs, sous leur très fin vernis libertarien, combien d’entre eux ont-ils lu l’un ou l’autre penseur du libertarisme afin de bien comprendre l’idéologie qu’ils font semblant de soutenir?

Ou alors, on a des croyants plus pragmatiques. Ceux qui croient tout simplement au dieu Argent. Ceux qui pensent avoir trouvé le moyen de devenir riche très rapidement et sans effort. Pas dans un au-delà fantasmé mais ici et maintenant, afin de dépenser toute cette richesse tombée du ciel en s’affichant ostensiblement sur les réseaux sociaux.

Les règles du grand jeu mondial

Voici donc ma conclusion. La majorité des acheteurs de cryptomonnaies ne le font pas avec des arrière-pensées philosophiques profondes, ni même par défiance vis-à-vis du système bancaire, mais sont tout simplement éblouis par les gains potentiels rapides.

De la même manière que certains jouent à l’euromillion, au poker ou aux courses de chevaux, une majorité de joueurs ont été attirés par les gains potentiellement mirifiques du crypto-casino. Preuve en est le marché des dérivés sur cryptos qui représente un volume journalier 10 fois supérieur à celui des échanges en cryptos « physiques ».

Le but du jeu est d’acheter et vendre en pariant sur les événements qui feront bouger les prix, sans aucune logique financière ni lien avec une quelconque valorisation fondamentale (que ce soit un tweet d’Elon Musk ou une annonce de banque centrale). Entrer, sortir, avoir raison avant les autres joueurs, gagner plus de point qu’eux. Se prendre pour un trader expert. Développer des stratégies, comme le font tous les parieurs, convaincus d’avoir décelé le bon pattern. Une partie en temps réel 24 heures par jour et 7 jours par semaine, à l’échelle planétaire, jouable sur son smartphone. Frissons garantis. Achetez vos jetons et rejoignez la partie!

Mais ce n’est qu’un jeu… et comme tous les jeux, on finira par s’en lasser.

 


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