Le 28 mai, l’administration Biden a bouclé son premier budget pour l’année fiscale 2022. Ce document de 72 pages, sera soumis au Congrès pour approbation. Les marchés n’accordent en principe que peu d’intérêt à ce processus formel. Il mérite toutefois plus d’attention lorsqu’un changement de tendance politique a lieu. C’est clairement le cas cette fois-ci, compte tenu des conditions particulières liées à la pandémie et de l’inflexion marquée - vers une réduction des inégalités et plus de justice sociale - que Joe Biden entend donner à son mandat.

Résumé des chiffres-clés prévus par gouvernement américain pour la décennie à venir:

  1. La croissance du PIB réel devrait atteindre un pic en 2021 – plus de 5 % – et revenir rapidement à sa moyenne de long terme (croissance potentielle) de 1,8 %
  2. L’indice des prix à la consommation devrait rebondir et se stabiliser juste au-dessus de 2,0 % au cours de la prochaine décennie
  3. Les taux à court terme (proxy des taux directeurs) devraient lentement monter à partir de 2023, mais rester négatifs en termes réels au cours de la prochaine décennie
  4. Le taux des obligations d’État américaines à 10 ans (taux du marché) devrait augmenter et dépasser 2% en 2024, mais rester inférieur à 3 % jusqu’en 2031

On peut le dire, il s’agit d’un scénario économique ¨bénin¨, qui consacre la poursuite du régime de ¨stagnation séculaire¨ de L. Summers, c’est-à-dire une croissance nominale à long terme peu attrayante de 4%. Il traduit également une volatilité du PIB et de l’inflation totalement irréalistes au lendemain du grand choc Covid. La raison de cette déconnexion de la réalité est probablement à chercher au niveau politique. Ce Budget hautement raisonnable et conservateur est donc potentiellement acceptable par le Congrès. Il n’en contraste pas moins avec le discours enflammé des Démocrates qui rappellent la grande relance de Eisenhower. Qu’importent les incohérences, le grand écart n’a jamais fait peur aux politiciens!

Plus instructif, l’administration américaine prévoit la poursuite de la répression financière de la Fed, c’est-à-dire des rendements réels négatifs au cours de la prochaine décennie. Cela semble non seulement contraster avec les attentes plus optimistes du marché, mais aussi, probablement, avec la vision (à révéler) de la Fed de Powell. Biden n’a qu’un seul siège vide à pourvoir au Conseil des gouverneurs, mais il décidera dans les mois à venir de reconduire ou de remplacer le président (Powell – février 22) et les deux vice-présidents (Clarida – septembre 22 – et Quarles – octobre 21 -) à l’expiration de leur mandat. Powell – un républicain – ne semble pas disposé à s’engager dans le NMT ou à diriger une Fed dépendante. Par conséquent, les renouvellements de mandats des directeurs de la Fed mériteront une très grande attention! Une éventuelle réécriture de la mission de la Fed perturberait définitivement le calme actuel des marchés financiers.

Quant aux taux des obligations d’État américaines à 10 ans, inférieurs à 3% pour la prochaine décennie, ils impliquent une forme de ¨contrôle¨, de mise sous l’éteignoir. Cela pourrait être obtenu par la poursuite de l’assouplissement quantitatif de la Fed, ou une opération twist, voire même le YCC, etc. Pour le moment, le marché obligataire ne s’en soucie guère, puisque la fluctuation de l’emprunt de référence à 10 ans depuis plusieurs semaines s’est établie dans une étroite fourchette d’environ 1,45% à 1,85%. La Fed a manifestement gagné le premier set contre le marché obligataire et imposé l’idée que les pressions inflationnistes seront transitoires. Une persistance au T3 de la flambée des prix des matières premières et/ou de la poussée des salaires aux États-Unis, ne manqueraient pas faire remonter les taux longs et de forcer la Fed et ou l’Administration à réagir…

En conclusion, le budget et le message – subliminal – de la Maison Blanche sont importants. Ils confirment que la très faible volatilité actuelle des marchés traduit mal les immenses incertitudes macro-économiques et financières qui caractérisent la sortie de la pandémie.

 

Heravest SA est une boutique indépendante dans le conseil en investissement, du top-down au bottom-up, et un fournisseur de solutions d’investissement.

Rue du Cendrier 12-14
CH-1201 Genève
T +41 22 715 24 40