Je suis intimement persuadé que le monde merveilleux de la finance est peuplé de gens intelligents, brillants, passionnés, visionnaires et même parfois très très beaux, mais par moment, il m’arrive de douter très sincèrement de l’intelligence et de la logique de chacun. Ou alors c’est que depuis le début de l’année nous continuons à vivre dans les bulles de champagne et dans les limbes alcoolisés de la fin d’année. Quoi qu’il en soit, le marché continue d’entendre les mêmes mots, les mêmes réflexions, les mêmes doutes. Et pourtant on a l’impression qu’à chaque fois il l’interprète différemment.

L’Audio du 14 janvier 2022

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L’inflation

Si la veille nous avions dû pagayer avec les chiffres du CPI et en tirer des conclusions presque aussi brillantes que celles que nous avions tirées sur les Minutes du FOMC Meeting, hier nous avons remis l’ouvrage sur le métier et les stars mondiales de la finance se sont excités sur les chiffres du PPI. Le PPI c’est le Producer Price Index, en anglais. Je crois que je n’ai pas besoin de vous le traduire en français, mais disons que celui-là c’est pas celui qu’on paie dans les magasins, mais celui qui représente ce que ça coûte à un patron de produire un bien de consommation. Il arrive même que l’on dise dans les monastères tibétains à l’heure de la méditation ; que le PPI est un chiffre qui DEVANCE le CPI… C’est-à-dire que si le PPI part en sucette, ça veut que nous, le gentil consommateur, on va le payer à un moment où un autre. À moins, bien sûr que les grandes entreprises qui voient leurs coûts de production prendre l’ascenseur, décide de prendre ça pour eux et de réduire d’autant leurs profits afin de soulager le consommateur.

Imaginez la scène :

Tim Cook est dans son bureau de Cupertino, depuis sa fenêtre, il peut voir le Steve Jobs Theater, niché au fond du gigantesque Campus d’Apple. Il a les yeux dans le vague et réfléchit déjà ce qu’il va faire pour les prochaines vacances avec l’énorme chèque qu’il vient de toucher.

C’est à cet instant que son Chief Operating Officer, Jeff Williams pénètre dans son bureau, comme sa secrétaire venait de le lui annoncer. Williams est un type de près de 60 ans qui semble toujours bronzé, probablement à cause de ses cheveux grisonnants qui font ressortir son teint hâlé. C’est le numéro 2 de Tim Cook et probablement le type qui va le remplacer un jour. Williams à l’air grave et ne perd pas de temps :

– Tim, je suis embêté. Je viens de voir les derniers chiffres économiques et il semblerait que l’inflation galope et que le consommateur va finir par payer l’addition à force que tout augmente dans une proportion supérieure aux salaires… J’ai donc envisagé une solution pour faciliter la vie des gens.

Tim Cook a ses deux mains qui supportent son menton, alors que ses deux coudes prennent appui sur son immense desk sur lequel on pourrait facilement organiser un match de ping-pong. Le patron d’Apple, l’homme qui a succédé à Steve Jobs regarde Jeff Williams et lui dit d’un ton nonchalant :

– Je t’écoute Jeff.

Le tout sur un ton qui donne l’impression qu’il est plutôt en train d’hésiter à réserver ses vacances à Hawaii ou en Floride, la question étant de savoir s’il réserve tout l’hôtel ou seulement un étage…

Williams prend une profonde inspiration et commence : 

– Je me suis dit que vu que nos marges sur les iPhones sont monstrueuses, sachant qu’on outsource la fabrication en Asie et qu’on les paie au lance-pierre ; on pourrait baisser les prix de 60% pour rendre nos produits plus accessibles et faciliter ainsi la vie de nos concitoyens. Peut-être même que l’on pourrait entraîner les autres sociétés américaines à faire de même, ainsi tout le monde serait heureux et l’inflation serait maitrisée sans que la FED ait besoin de s’en mêler…

En face de Williams, Tim Cook s’était liquéfié et regardait son COO comme si Lucifer s’était emparé de son corps. Un Lucifer qui aurait été d’extrême gauche et qui voudrait se la jouer Robin des Bois – un fou !!! -. Pendant un instant, les deux hommes se dévisagent, le patron d’Apple hésitant à se lever pour le virer manu-militari de son bureau… Et puis soudain Williams éclate de rire. Tim Cook ne comprend plus rien et Williams reprend, ses paroles hachées par son fou-rire :

– Je déconne, je déconne !!!! AHAHAHAHAHAHAH, si tu avais vu ta tête quand j’ai commencé à parler de 60% de baisse sur les prix, on aurait dit que j’allais y prélever sur ton bonus !!!!

À cet instant très précis, Tim Cook sentit une vague de soulagement parcourir son corps, Jeff Williams, COO d’Apple venait simplement de lui faire une blague ! Heureusement ils allaient pouvoir continuer à monter les prix d’un objet super-cher que ces idiots de consommateurs allaient se faire un plaisir de surpayer, juste parce qu’ils sont totalement intoxiqués.. Et il éclata de rire pour souligner la bonne blague que son COO venait de lui faire…

En gros, je crois que les grandes entreprises préfèreraient se couper un bras que de baisser leurs marges pour faire plaisir à nous, pauvre consommateur. Tout ça pour dire que lorsque le PPI est publié, on a tendance à dire que c’est un indicateur avancé pour le CPI, si l’on voit que les prix à la production baissent, il est probable qu’une partie du bénéfice en revienne au consommateur – je dis bien « une partie »… Et c’est ce qui s’est passé hier.

Inflation encore

Oui, hier le PPI est sorti à 0.2% contre 0.4% attendu. Ce qui devrait, ou plutôt ce qui pourrait être interprété comme un signe que l’inflation a fait son top. Pendant un bref instant on s’est donc regardé en se disant que le pire serait peut-être derrière nous et qu’une fois que la FED aura monté les taux quatre fois, on pourra respirer. Et puis ensuite le taux annuel est sorti et c’est là que tout est parti en couille.

Annualisé, le PPI était de 9.7%. C’est le taux le plus haut de l’histoire du PPI. Je ne dis pas qu’en 1714, on n’a pas vu pire, mais comme à l’époque le PPI n’existait pas, 9.7% c’est le plus haut de tous les temps. Là-dessus, vous rajoutez le Numéro 2 de la FED, Madame Brainard qui RE-témoigne pour dire que l’inflation c’est méchant, que l’inflation c’est pas bon et qu’à la fin c’est l’inflation qui gagne. Pour faire simple : exactement la même chose qu’elle avait déjà dit mercredi – mais comme faut nous expliquer longtemps ; on a compris hier.

Inflation

La suite vous la connaissez : on vend la croissance, on défonce le Nasdaq et on va chercher les boîtes qui peuvent bénéficier de la hausse des taux. On se planque en résumé. Le thème de la journée aura donc été et sera encore probablement : combien de fois ils vont nous les monter ces taux et quand ??? On a besoin de réponses très précises pour remplir nos fichier excel qui font des prédictions magiques et ensuite, on pourra passer à autre chose.

On retiendra donc qu’on savait que le cycle de hausse des taux allait commencer en mars, mais le fait que l’on nous le redise trop souvent ne nous plaît pas vraiment. En ce moment, nous sommes en mode « on nous répète les mêmes choses encore et encore, mais elles font toujours aussi mal »….

L’Asie en mode « j’ai peur de l’inflation »

Ce matin l’Asie est dans le rouge parce que, je cite : « les marchés de la région n’aiment pas trop le positionnement « hawkish » de la FED ». Là aussi on croirait qu’il y a quelque chose de nouveau. Mais en fait non. On est en train de reprendre une vieille information, de la « pimper » avec un narratif catastrophiste et le marché se fait taper sur le groin.

Pendant ce temps, je ne sais plus quelle banque d’affaire américaine pense que le baril va à 90$ – pour l’instant, il lui reste 8 dollars à parcourir. L’or est à 1826$, en baisse de 1$ depuis hier. C’est passionnant à observer. On a l’impression que l’or est un détenu qui veut s’échapper de prison. Le mec est debout sur le mur, il fait nuit et un garde passe en-dessous de lui avec un berger allemand en laisse qui n’a pas l’air d’avoir mangé depuis 8 semaines et il retient son souffle pour ne pas se faire repérer avant de sauter de l’autre côté. L’or fait pareil. On dirait qu’il va s’envoler en toute discrétion, histoire qu’on ne le voie pas passer. Le Bitcoin est à 42’900$ et n’arrive pas à y aller – ni dans un sens, ni dans l’autre d’ailleurs.

Les nouvelles du jour

Aujourd’hui c’est le lancement officiel de la saison des trimestriels. On commence par les banques qui devraient avoir rigolé ces derniers temps, cette après-midi, nous aurons Citi, Wells Fargo, JP Morgan et BlackRock. BlackRock qui n’est pas une banque, mais qui gagne plus de fric que les banques. On notera aussi que la Cour Suprême a refusé la proposition de Biden de rendre la vaccination obligatoire dans les grandes entreprises. Le vieux Président est fou de rage et encourage les gens à « ne pas écouter la Cour Suprême ». C’est bien, il devient presque aussi agressif et aigri qu’un écolo genevois. Quand on pense qu’on disait que Trump était autoritaire. Au chapitre du COVID toujours, on a appris hier que le Ministre de la Santé français, le triple vacciné Olivier Veran a été testé positif au COVID… Je vais me faire violence pour ne pas rire. Mais je me fais vraiment violence.

La première grosse IPO de l’année aura été un succès hier. TPG a pris 15% et se traitait autour des 34$ après un pricing à 29.50$, la société vaut déjà plus de 10 milliards. On notera aussi les très bons chiffres de Taïwan Semis qui a également annoncé un plan de lutte contre le shortage des semi’s. Il y a Goldman Sachs qui pense qu’il faudra surpondérér les actions américaines cette année. Si vous cherchez des noms, ils sont super-originaux en proposant les Gamma-Stocks, à savoir Google, Apple, Amazon Meta-Plateforme et Microsoft. Et pour ceux qui pense que les semi-conducteurs ont encore de beaux jours devant eux, on entend que Nvidia est en train de faire un carton en Chine, dans le secteur des voitures électriques.

Chiffres du jour

Actuellement, les futures sont légèrement en hausse et on se demande ce que l’on déjà bien pu « pricer » dans le monde merveilleux de l’inflation. Côté chiffres économiques, l’Angleterre annoncera son GDP et son trade balance, en plus du fait que Boris Johnson est au bord du gouffre, presque autant au bord du gouffre que le Prince Andrew qui est en train de se faire virer de la royauté. Il y aura aussi le CPI en France et en Espagne, le Trade Balance en Europe et Madame Lagarde qui parlera. Aux USA on aura la confiance du consommateur version Michigan et la Production Industrielle qui pourra sûrement encore nous faire flipper au sujet de l’inflation. Et puis, n’oublions pas que le patron de la FED de New York, Williams, va parler et que lui, c’est pas le genre à nous dire qu’il faut garder les taux bas !!!

Il me reste à vous souhaiter un très bon week-end ! Je vais allumer un feu, m’endormir devant et je vous retrouve lundi matin ! Soyez forts et très bonne journée !

Thomas Veillet

Investir.ch

“Don’t wait for your feelings to change to take the action. Take the action and your feelings will change.”

Barbara Baron