Si vous mettez un bon millier de personnes sur un paquebot et que vous leur demandez de courir tous ensemble du côté droit pour voir les dauphins qui nagent le long de la proue et que, cinq minutes après, vous leur demandez de courir à bâbord pour aller voir les baleines qui nagent le long de la proue et que vous répétez l’expérience plusieurs fois, normalement, au bout de 10 ou 15 fois vous devriez réussir à faire chavirer le navire à force de le déséquilibrer. Si je parle de navigation ce matin, c’est parce que le comportement moutonnier des marchés, aidé par les médias financiers, est absolument frappant depuis quelques semaines et je ne peux pas m’empêcher de penser que ça va mal finir.

L’Audio du 23 août 2022

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Rien de neuf mais de nouvelles interprétations

Pour être franc, il ne s’est strictement rien passé de fondamental dans les marchés financiers hier. Powell n’a pas offert une soirée spéciale à quelques Hedge Funds managers moyennant finance pour leur dire en avant-première ce qu’il va dire à Jackson Hole. On n’a pas entendu Biden nous redéfinir la récession annonçant que toute personne osant mentionner que le « mot » récession et accuser les USA d’être en plein dedans sera immédiatement enfermée dans une prison de haute-sécurité au fond d’un désert de l’Arizona. Il n’y a pas eu non plus de chiffres économiques qui auraient laissé à penser que l’inflation aurait repris de plus belle et que les chiffres de l’emploi du mois dernier étaient complètement truqués.

Il ne s’est rien passé, c’est à peine si le pétrole est remonté au-dessus des 90$ et que ce matin il se traite à 91$. C’est à peine si les politiciens européens sont en train de flipper complètement à cause de prix de l’énergie ou du manque d’énergie qui risque de frapper l’Europe cet hiver. C’est à peine si les « experts » commencent à baliser totalement parce que le rendement du 10 ans US est de retour au-dessus de 3% et que le 10 ans italien remonte dangereusement, au plus haut depuis 2013. Oui, ce matin le 10 ans italien est à 4.56%. Lui qui était sous les 3% le 9 août. Oui, c’est toujours la merde en Italie depuis que Draghi s’est cassé en vacances en Sardaigne et leur gouvernement ne ressemble toujours à rien.

Mais on change nos fusils d’épaule à la vitesse de la lumière

Non, il ne s’est rien passé de spécial qui aurait justifié que le marché, que les marchés se fassent déglinguer comme ils se sont fait déglinguer encore une fois hier. Il faut dire que la séance de ce lundi était la pire depuis le début du rebond du mois de juin. Il ne s’est rien passé de nouveau, mais tout le monde est en train de tourner la veste. Autant il y a trois semaines, on nous disait qu’il fallait être débile pour aller short et que le nouveau Bull Market était parmi nous, autant depuis quelques jours on a des doutes et on balance aux orties tous les titres de croissance pour se raccrocher à tout ce qui est « value ». Autant on ne veut plus croire que ça peut monter plus haut parce que depuis quelques jours on se demande si Powell n’est pas en train de faire passer l’inflation devant la récession.

Pour je-ne-sais quelle raison, depuis une semaine on est en train de se demander si la FED ne va pas tout donner pour faire baisser l’inflation. Faire du « «Whatever it takes » pour mettre l’inflation à genoux, quitte à déclencher une récession sans précédent. Il faut dire que nous n’en sommes qu’au stade de la spéculation. Spéculation parce que le meeting de Jackson Hole ne commencera que le 25 août et que Powell ne fera son discours que le 26 en fin de journée. Autant dire que s’il vient en nous disant EFFECTIVEMENT qu’il se fout du reste et que la seule chose qu’il désire profondément, c’est broyer l’inflation et que pour le reste, eh ben on verra après, ça ne nous laissera que peu de temps pour vendre le marché, liquider toutes nos positions spéculatives et nous coucher par terre en position latérale de sécurité.

Visionnaires, comme d’habitude

Afin d’éviter de se faire coincer vendredi soir entre deux portes et un apéro sur une terrasse, on a donc décidé d’être visionnaire et de tout vendre AVANT que Powell parle. Hier le Nasdaq a donc perdu 2.55%, le S&P500 abandonnait plus de 2%, pendant que le DAX reculait de 2.32% et qu’Adidas crevait une semelle parce que le CEO s’en allait. Rien à voir avec Powell sur ce coup-là au moins. L’or est à 1750$ et le Bitcoin ne remonte pas. Fonctionnant toujours comme indicateur avancé, tant qu’il ne bouge pas à la hausse, il n’y a momentanément aucun espoir. Il va falloir attendre du concret pour essayer d’inverser la tendance.

En tous les cas, en dehors des quelques chiffres trimestriels qui sont publiés en ce moment, comme Zoom qui peine à faire payer ses utilisateurs et qui perdait encore 8% after close, ou Palo Alto qui prenait 8% tard hier soir parce que le CEO se montrait positif mais prudent pour l’avenir, mais positif. Il faut reconnaître que c’est surtout le « changement de mentalité » de l’investisseur qui est passé de « Youpie on est dans un nouveau bull market le Nasdaq va à 50’000 » à « Ah ben en fait non, on est toujours dans un Bear Market, Powell nous déteste et on va aller chercher les plus bas parce qu’on a une liste longue comme le bras de mauvaises nouvelles qui nous attend »…

Souvent femme varie

Il fût un temps, on disait que « souvent femme varie », bien que de nos jours ça ne soit plus admissible de dire cela parce que ça serait politiquement incorrect. On pourra tout de même dire que « souvent l’investisseur varie » et c’est exactement où nous nous trouvons. Vous prenez les arguments qui justifiaient que le marché montait béatement il y a dix jours, vous prenez la situation géopolitique et macro-économique d’il y a dix jours, c’est facile TOUT EST EXACTEMENT PAREIL AUJOURD’HUI, puis vous mettez le tout dans un grand sac et vous secouez.

Ensuite vous renversez le tout sur la table et vous regardez la même situation qu’il y a dix jours sous un autre angle et vous avez la séance d’hier. On reprend les mêmes infos mais on part du principe que tout va aller de mal en pis alors qu’il y a 10 jours, on partait du principe que ça serait champagne et cotillons pour tout le monde et caviar à la louche pour ceux qui avaient du Bitcoin. Sauf que ce matin, on n’y croit plus et on pense même qu’à côté de Jerome Powell, Voldemort est plutôt sympa comme gars.

Ne cherchez donc pas plus loin, nous sommes dans un marché d’interprétation qui a tendance à bouger comme le reste du troupeau de moutons ; sans se poser aucune question. Ce matin l’Asie ne fait rien, tout comme les futures ne font rien – mais au moins il ne baissent pas – il n’y a pas une news qui vaille la peine d’être mise en avant, comme si tout le monde s’était donné le mot en attendant que Powell parle. Comme si la seule information qui vaille la peine et qui pourrait nous permettre de nous calmer un peu, ne peut provenir que de la FED. Le rendement du 10 ans italien est à 4.5% et tout le monde se prend la tête avec la 22ème version de la stratégie de lutte contre l’inflation et sur la 343ème définition de la récession selon Biden. Mais on sent que la peur est en train de monter… Alors ? Nouveau plus bas à venir ou opportunité d’achat ?? Sans compter que dans 9 jours, on est septembre. Septembre, comme le septembre de « septembre c’est la saison des krachs »…

Pour être franc, je n’en sais rien, les deux seules choses que je sais, c’est que ce marché est clairement bipolaire et l’autre c’est que je ne serais pas là avec vous demain – pour des raisons de fin de vacances, mais que je vous retrouverai jeudi matin, comme d’habitude.

Que la force soit avec vous et à jeudi !

Thomas Veillet
Investir.ch

“The best way to predict the future is to invent it.”

– Alan Kay